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C'est la dernière semaine. C'est dingue, j'ai l'impression d'être arrivé hier, tout est passé si vite que je regrette de ne pas avoir plus profité de certaines choses ; Emma par exemple. Si j'avais su ce qu'elle ressentait, si j'avais su qu'elle était avec un homme et qu'elle allait autant souffrir, j'aurais réagi autrement. J'aurais pu débarquer l'année passée ou l'année encore avant, lui dire tout ce que j'avais sur le cœur et on aurait perdu moins de temps.

Le plus malheureux, c'est que maintenant que tout cela s'est passé, nous n'allons même pas pouvoir en profiter. De un, je pars vendredi. De deux, Emma bosse toute la semaine, elle ne peut pas se permettre de ne pas y aller puisqu'elle a beaucoup trop de travail. Le troisième obstacle n'est autre que ce garçon qui me fixe depuis 5 minutes par-dessus son bol de céréales.

- Tu vas finir par t'étouffer avec ton lait, si tu continues.

Et comme depuis tout à l'heure, il ne me répond pas, il se contente simplement de me regarder en buvant le restant de ses céréales et ça m'amuse.

- Très bien.

Je prends mon portable entre mes mains afin de composer le numéro de Gabi, le sourire jusqu'aux oreilles. Je le mets en évidence sur la table, le haut-parleur activé et mon regard ancré dans celui de mon meilleur ami.

- Raccroche.

- Allô ? résonne la voix de Gabi.

- C'est une erreur, désolé, dit Samuel d'une voix précipitée.

Il raccroche à ma place et, toujours souriant, je croise les bras en fronçant les sourcils.

- Tiens, j'entends enfin le son de ta voix. Tu m'expliques ce qu'il t'arrive maintenant ?

- Rien du tout. Je te surveille, c'est tout.

- Ouais bah tu fais flipper. Pourquoi est-ce que tu me surveilles ?

- Il y a quelque chose entre toi et ma sœur ?

Je ris doucement en levant les yeux au ciel et en poussant un petit soupir.

- Non Sam.

- Vous avez l'air proche.

- Ça fait trois fois que tu nous le dis. Je te le répète : on s'est rapproché mais je n'ai pas de mauvaise intention envers elle.

- Plus proche qu'avant, je l'ai bien vu Liam, dis-moi la vérité.

Agacé, je pose mes mains sur la table, prêt à rétorquer mais le père de Samuel débarque dans la cuisine, un énorme sourire sur les lèvres.

- Bonjour les garçons, alors ce mariage ?

- Super, sourit Sam, ironique.

Il sort de la pièce en me laissant seul avec son père et je me sens soudainement mal à l'aise.

- Il a l'air de mauvaise humeur. Il s'est disputé avec sa copine ?

- J'aimerais bien le savoir, marmonné-je en regardant mon portable qui se met à vibrer.


Emma : Tu me manques déjà. J'aime beaucoup dormir dans tes bras, tu es sûr de ne pas vouloir prolonger tes vacances ?

Liam : Ça ne fait que deux nuits, tu es déjà accro ?

Emma : Depuis tellement longtemps.


Un énorme sourire prend place sur mes lèvres, bêtement, et personne ne m'a jamais rendu aussi niais qu'aujourd'hui. Tout est possible, surtout avec Emma.

- Tu as l'air d'avoir passé un bon week-end.

Je dépose mon portable pour ne pas paraître impoli et je me lève afin de me préparer une omelette, simplement.

- Très bon. C'était super.

- Tu as l'air également très heureux.

Je regarde l'homme aux cheveux noirs, une main sur son menton et un bras croisé sur son torse, il me scrute du regard et je peux voir en lui les mimiques d'Emma ainsi que ses traits sur le visage de son père.

- Je le suis.

- Vu ton comportement, il ne peut s'agir que d'une fille. Les messages, le sourire, les yeux qui pétillent. Fiston, félicitations.

J'émets un léger rire tout en cassant les œufs sur la poêle graissée et je secoue mon visage, plutôt gêné.

- C'est Téa ? me demande-t-il subitement.

- Oh... non. Non, nous ne sommes plus ensemble, grimacé-je.

- Alors ça ne peut être que ma fille.

J'ouvre grand les yeux en cassant, un peu plus fort que prévu, l'œuf que je tiens dans ma main. Comment peut-il le savoir ? Pourquoi me dit-il cela de cette façon ? Le père Wilson m'a toujours impressionné, déjà petit, je n'osais jamais venir lorsqu'il était là. Sa prestance, le ton de sa voix et son air sérieux sur le visage me faisaient flipper, je l'avoue. Aujourd'hui, il est beaucoup plus décontracté qu'auparavant, son style n'est plus le même, il rigole plus souvent mais je me méfie tout de même. À tout moment, il peut me mettre son poing dans la figure. Dois-je dire la vérité ?

- En plein dans le mile, rit l'homme.

- Je... Pourquoi est-ce que vous pensez cela ? demandé-je timidement.

- Elle a le même sourire que toi sur ses lèvres. Je vois bien qu'il y a quelque chose, vous ne vous lâchez pas du regard.

- Je ne sais pas quoi dire, dis-je en passant ma main sur ma nuque.

- Tu n'as rien à dire, fiston. Je suis heureux que ce soit tombé sur toi. Je n'aimais pas tellement ce garçon... Mmh... Antoine.

Surpris, je lui souris, plus à l'aise désormais, hochant doucement le visage avant de m'occuper de mon omelette.

- Samuel ne le sait pas. Et je redoute le moment où l'on devra lui dire...

- Samuel a toujours été protecteur envers sa sœur. Peut-être un peu moins au moment de son adolescence mais il a toujours pris soin d'elle. Quand elle était petite, il voulait tout le temps la porter dans ses bras, il voulait s'en occuper comme si elle était sa propre fille. Je pense que leur relation s'est détériorée à cause de nous. On se disputait beaucoup, leur mère et moi, elle s'occupait beaucoup plus d'Emma que de Sam et je pense que, dans sa tête, sa fille semblait plus fragile que son fils mais c'était faux. Emma est forte, Sam a toujours pensé que nous avions une préférence pour notre fille et il s'est défendu de cette manière, en en voulant à Emma.

- C'est horrible... dis-je en fronçant les sourcils. Je n'ai jamais remarqué aucune différence.

- Leur mère avait le don de faire ça discrètement, par des petits cadeaux, des petites attentions ou même vis-à-vis de leur étude, elle était tout le temps derrière Emma, elle laissait Samuel de côté et je m'en suis rendu compte trop tard. Il a développé une certaine haine envers nous, il a cru que je jouais là-dedans également alors... voilà. Je pense simplement qu'en grandissant... il a compris. Il a compris que ce n'était pas la faute d'Emma mais bien de sa mère.

- Il surprotège sa sœur Monsieur Wilson, ça je ne m'en fais pas. Mais je pense qu'il devrait avoir une conversation avec sa mère.

- J'aimerais aussi, soupire l'homme. Sache juste que c'est tout à fait normal qu'il prenne mal le fait que tu sois avec Emma, il a peur qu'il lui arrive quelque chose. Il a peur de la perdre et rien qu'en quelques jours, je l'ai compris.

- Qu'est-ce que je suis censé faire ?

- Dites-lui la vérité. Il le prendra mal, quoi qu'il arrive, mais plus tôt il le saura, plus vite ça passera.

Je lui souris sincèrement, les bras croisés et le dos appuyé contre le plan de travail. Je suis soulagé intérieurement malgré que je réalise maintenant qu'Emma et moi, ça devient sérieux. Est-ce cela que je souhaitais ? Est-ce que je ne vais pas regretter d'avoir gâché notre amitié ? Où est-ce que ça nous mènera, nous deux ?

- Merci Monsieur Wilson.

- De rien Evans, fais attention à ton omelette, elle va prendre feu.

Le temps d'un étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant