Chapitre 21

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L'obscurité du camion dans lequel j'étais donnait le libre arbitre à mon imagination. Alors mon esprit, aussi tourmenté était-il, s'était tourné vers de lointains souvenirs. Le Temple. Cette salle immense où nous étions toutes, mes Sœurs et moi, assises devant notre table personnelle, à regarder ce tableau noir, vierge de toute écriture. Parfois, les Mères y affichaient des images du Saint, elles passaient grâce à un projecteur de nombreuses photos montrant tantôt une grossesse, la création de la Nation et des cités, puis un accouchement, la maladie et enfin des piles de cadavres entassés dans des fosses communes.

Mais ce qui m'était revenu ce jour-là, afin d'occuper mon esprit, c'était ces nombreux discours moralisateurs que les Mères nous déballaient. Parfois, lorsqu'elles parlaient de fausses couches ou de morts prématurées d'enfants, leurs yeux se mettaient à briller et leurs lèvres à trembler et elles semblaient regarder quelque chose que nous, pauvres gamines, ne pouvions voir, quelque chose qui les touchaient profondément. Mais lorsque le sujet tournait autour du Saint et de notre Nation, leurs poitrines se gonflaient de fierté et elles se mettaient toujours à sourire. Et dès qu'elles parlaient du mur et de la maladie, leurs visages se fermaient, elles devenaient plus dures dans le ton qu'elles employaient, les regards s'assombrissaient.

« Le mur, mesdemoiselles, sert à nous protéger de cette infâmie qu'est la maladie. » La voix de Mère Cécilia résonnait dans ma tête, comme si elle était là, à passer entre les rangs, les mains croisées dans le dos, toute habillée de violet pourpre. « Il fait ce que le Saint, loué soit-Il, ne peut malheureusement plus faire, que Son âme s'élève. Il nous écarte de cette chose immonde qui a faillit tous nous tuer. Sans le Saint, loué soit-Il, et sans le mur, ni vous ni moi ne serions en vie. Nous devons les remercier chaque jour de nous protéger aussi bien. »

Je me souviens parfaitement bien de ce moment. Après nous avoir assommées avec son discours, elle s'était tournée vers l'immense portrait su saint qui présidait la salle et avait levé les mains vers lui, juste avant de s'incliner durant de longue seconde. Nous avions toutes baissé la tête, en signe de respect, mais je n'avais pas pu m'empêcher d'observer Mère Cécilia du coin de l'œil. Je l'avais trouvée ridicule.

« Le mur est notre rempart ! S'était exclamée Mère Danielle, un autre jour, toujours dans cette même salle sinistre. Il nous sépare du monde extérieur qui n'est que destruction. Tout ce qui vous attend de l'autre côté, c'est une mort lente et douloureuse, rien de plus, rien de moins. Traverser le mur marque la fin de votre vie et si vous le traversez, c'est que cette vie qu'était la vôtre ne valait rien. Mais vous, jeunes filles, vous êtes d'une grande valeur, vous ne le traverserez jamais. Jamais. »

Jamais. Quelques semaines plus tard, Rose Tyson et Lucie Hansen ont été surprises ensemble et cette dernière était envoyée au-delà du mur. Il fallait croire que ce « jamais » ne signifiait finalement rien.

« Tout se fait selon Sa volonté, nous répétaient les Mères, vous ne pouvez y échapper. »

Était-ce Sa volonté que je parte de la Nation ? Que je fuie Prioratum comme un rat ? Sans doute pas, et c'est pour cette raison que tout ce qu'il s'est produit ensuite, s'est réellement passé. Ça, par contre, c'était bel et bien Sa volonté.

« Là dehors, il n'y a que des sauvages, ravagés par la maladie, qui sont prêts à tout pour mettre la main sur des jeunes filles comme vous. Vous êtes précieuses, surtout celles qui ont la capacité de porter la vie. C'est ce qu'ils veulent, se reproduire, rien de plus. Mais ne vous inquiétez pas, nous vous protégerons, le mur vous protégera de ces monstres qui vous feraient des choses horribles, inconcevables aux yeux du Saint. »

Après tous les mensonges que j'avais découvert, en était-ce un de plus ? Je l'ignorais mais ça m'effrayait. Je ne savais quoi faire, quoi penser. Le chaos régnait dans mon esprit. Je voulais que ça s'arrête, être enfin tranquille. Pourquoi est-ce que j'avais cette manie de penser autant ? De ressasser sans cesse le passé ? Je n'en pouvais plus.

ServanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant