Chapitre 2

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 « Souvenez-vous les filles, il n'y a pas de plus grand honneur que d'entendre son nom le jour de la Sélection. Arborez votre manteau vert, symbole de fécondité et d'espérance, avec fierté car la chance de porter la vie vous sera donnée. »

Ce discours-là, je l'ai entendu des milliers de fois. L'honneur et la fierté sont, je pense, les deux valeurs qu'on tente le plus de nous inculquer au Temple.

« Honorez le Saint et rendez-le fier les filles, c'est la seule chose qui vous est demandée. »

Les Honorées Mères nous le rabâchaient sans cesse jusqu'à ce que nous y croyions au plus profond de nous-même. Mais je n'ai ressenti ni honneur ni fierté lorsque mon nom a été prononcé. Non. Mon cœur s'est serré, commençant déjà à faire le deuil de cette vie tant désirée qui n'a durée que trois ans. Trois petites années seulement avant d'être de nouveau rattachée au Temple et ce, jusqu'à la fin de ma vie. Avec un peu de chance mon géniteur ferait partie de la haute société et je n'aurais jamais à quitter Prioratum, mais je n'avais pas eu de chance jusqu'ici.

J'avais besoin d'en parler mais à qui ? Estel sauterait dans mes bras et m'énumérerait tous les avantages à ma nouvelle fonction et Rohan était introuvable. Je n'avais personne d'autre. Peut-être était-il temps de me tourner vers le Saint ? Après toutes les heures passées au sanctuaire depuis ma tendre enfance durant lesquelles je faisais semblant de prier, je pouvais au moins le faire une fois.

Alors j'ai allumé une bougie que j'ai posé devant ma fenêtre puis je me suis mise à genoux, mains jointes et yeux fermés.

« Ô Saint tout puissant, j'ignore ce que Tu veux que je fasse mais pourquoi m'infliger une telle chose ? Je sais que je n'ai pas été la plus pieuse des Sœurs du Temple, et peut-être aurais-tu dû accorder cette chance à Estel qui en rêve depuis ses premières règles. Je sais que je ne serais pas à la hauteur, je ne suis pas la Servante que Tu recherches alors pourquoi m'avoir choisie moi ? Quels sont Tes projets ? »

Je n'ai jamais eu de réponse. Et peut-être était-ce ce jour-là où tout a basculé.

Je n'ai pas dormi de toute la nuit, angoissée. Et j'ai regardé, des heures durant, le petit papier de Rohan. Seulement en cas d'extrême nécessité. En était-ce une ? J'ai passé la nuit à y réfléchir et le jour s'est levé avant que je ne puisse trouver la réponse. Aujourd'hui je me dis que j'aurais sans doute mieux fait de sortir de cet appartement à la seconde où mon nom s'est échappé de la bouche d'Estel pour rejoindre Rohan. Tout aurait été différent.

Ce matin-là j'ai enfilé pour la dernière fois une robe grise et des chaussures plates. Et je me suis longuement regardé dans le miroir pour imprimer dans mon esprit la Lénore Clain que j'ai été durant trois ans. Les cheveux relevés dans un chignon strict, la robe portefeuille grise arrivant en-dessous du genou, au col montant et aux manches longues, cintrée à la taille. Ces yeux sombres sans vie et cette peau démaquillée. Je me trouvais banale, trop banale peut-être. Comment une fille comme moi pouvait devenir une Servante et se faire respecter par la Nation toute entière ?

Les Mères et les Sœurs du Temple sont arrivées dans la matinée pour venir me chercher. J'ai reconnu l'Honorée Mère Georgia qui apparemment allait surveiller de près ma future grossesse. Les Mères du Temple sont des femmes qui ont autrefois été des Servantes et qui, à cause de leur âge, ne peuvent plus porter d'enfants. Elles se consacrent alors entièrement au Saint et à l'apprentissage des Sœurs qui deviendront, pour quelques-unes, des Servantes à leur tour. Comment les distinguer ? Elles ne portent pas de vert comme les Servantes non fécondées ou de bleu comme celles qui ont déjà eu un enfant (elles peuvent d'ailleurs porter du vert si cela leur chante, mais le bleu est plus noble). Les Mères, elles, portent le violet de la sagesse et de la sérénité. Et il était évident que cette couleur n'allait pas du tout à l'Honorée Mère Georgia.

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