Servante

Chapitre 1

Où est-ce que tout a commencé ? Je n'en ai pas la moindre idée. Je sais seulement que la moindre petite chose a pu tout balancer, la moindre parole, le moindre geste. Tout. Alors comment savoir ce qui a tout déclenché ? Impossible. Peut-être que je devrais commencer par raconter ma vie au Temple, parce qu'après tout c'est là-bas qu'on m'a enseigné à être une femme modèle, là-bas qu'on m'a préparé à devenir celle que je suis devenue.

Le Temple. Ma vie en ce lieu me semble si loin à présent et pourtant j'y ai passé presque toute ma vie, de ma naissance jusqu'à ma majorité. Après, j'ai eu l'âge d'aller travailler et c'est ce que j'ai fait, je devais contribuer à l'avancée de notre société. La vie n'y était pas déplaisante, si on obéissait bien entendu. Je me souviens avoir été punie une fois. On m'avait enfermé dans ce que j'appelais la boîte, un genre de cercueil où nous étions condamnées à rester debout sans manger ni boire. Tout ça parce que j'avais tourné la tête au mauvais moment durant la prière. Je n'avais jamais aimé prier, nous y consacrions une heure entière chaque jour avant le repas du soir.

Ce jour-là j'avais horriblement faim parce que je n'avais pas eu mon repas du midi, je n'avais pas terminé de nettoyer le sol du hall. Et j'avais été obligée de recommencer lorsque mes Sœurs sont allées manger, elles avaient tout sali en rentrant. Alors oui, j'avais très faim et je n'arrivais pas à me concentrer sur la prière et lorsque je n'arrive pas à me concentrer, je regarde un peu partout pour me trouver une occupation. Je voulais simplement oublier cette fichue faim qui me tordait le ventre. Mais une des Honorées Mères, les gardiennes du temple et les doyennes, m'a surprise. Pensant que je trahissais le Saint en ne l'honorant pas, on m'a fait enfermer jusqu'au lendemain sans que je ne puisse manger.

La boîte pouvait rendre folle, je l'ai constaté sur quelques-unes de mes Sœurs et j'ai été ravie de voir que mon petit séjour dedans n'avait en aucun cas affecté mon esprit. Mais il fallait croire que j'étais chanceuse. L'une de mes Sœurs n'a pas eu cette chance. J'entends encore ses hurlements alors que nous étions en train de manger. Elle blasphémait en disant que le Saint n'aurait jamais enfermé l'une de ses filles dans cette boîte et que les Honorées Mères n'étaient que des tyrans. La dernière fois que j'ai vu son visage c'était lors de sa dernière punition. On avait toutes été réunies dans la cour, en cercle. Au centre se trouvaient une Honorée Mère et notre Sœur blasphématrice, je ne me souviens même plus son nom, on nous avait demandé de l'oublier. Notre Sœur a reçu cinquante coups de fouet, je les ai comptés, avant de s'évanouir et d'être emmenée au loin. Un soir, j'ai été voir l'une de mes Sœurs, Estel, et je lui ai demandé si elle savait où notre Sœur avait été emmenée.

« Au-delà du mur, avait-elle murmuré pour qu'on ne nous entende pas, c'est là-bas qu'on envoie les traîtres. Ils sont condamnés à mourir de la maladie, la mort la plus lente et la plus douloureuse qui soit.

–J'espère qu'elle succombera de ses blessures avant, avais-je susurré.

–Seul le Saint pourra en décider. »

Nous avions treize ans.

Des Sœurs qui disparaissaient il n'y en avait pas beaucoup. La plupart d'entre nous vivaient au Temple depuis leur naissance et on nous avait apprit à ne jamais blasphémer. D'autres, issues de familles riches, ne vivaient pas avec nous mais encore avec leurs géniteurs. Ceux-ci étaient bien trop pieux pour qu'un de leurs enfants trahissent la Nation. Alors les traîtresses étaient rares.

Ce qui aurait pu déclencher cette histoire ce serait sans doute un de nos enseignements en particulier. Celui où on nous apprenait à devenir une Servante. Bien entendu nous avions les mêmes cours qui étaient enseignés aux garçons dans leurs écoles, les langues, les sciences, les mathématiques, l'histoire, la géographie, tout pour que nous réussissions dans notre futur métier. Mais nous devions être prêtes si jamais nous étions sélectionnées pour devenir des Servantes. La Sélection se déroulait environ tous les ans, une fois que toutes les Servantes de la dernière Sélection avaient donné la vie.