Chapitre 24

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« Arrêtez-vous là, m'ordonne l'inspecteur Harry.

–Vous ne voulez pas entendre la fin de l'histoire ? Je demande innocemment.

–Si mais nous reprendrons demain, il se fait tard et je crois que nous avons tous les trois besoin d'aller dormir. »

En face de moi, l'inspecteur Mark a les yeux perdus dans le vide. Je donnerai n'importe quoi pour connaître le fond de sa pensée. Est-il en train de méditer sur l'histoire du Saint ? Qu'en pense-t-il ? Il ne prête même pas attention à son collègue qui contourne la table pour m'attacher les mains. Il semble totalement perdu. Bien.

Les mains liées, je me lève sans broncher, jette un dernier coup d'œil vers le livre, mon livre, avant de me diriger vers la porte. Une main dans mon dos et l'autre sur son arme, l'inspecteur Harry ne me quitte pas des yeux. Il frappe trois coups bien distincts sur la porte qui s'ouvre quelques instants plus tard.

« Qu'est-ce que tu fous Mark ? Lance-il à l'attention de son collègue qui n'avait toujours pas bougé. »

Je tourne la tête et observe attentivement l'inspecteur Mark. Il est beaucoup plus courbé qu'en début de journée, beaucoup moins confiant. Il se rend alors compte que je ne suis plus en face de lui et se tourne vivement vers nous. Son regard perdu s'attarde un instant vers moi puis il se lève, comme à bout de forces.

L'inspecteur Harry me pousse pour me faire avancer et j'obéis bien sagement. Nous passons devant de nombreux gardes qui, armes à la main, tentent de se donner une contenance. C'est à ce moment-là que je me rends compte à quel point les gens dehors sont bruyants. Leurs cris et leurs protestations résonnent dans les couloirs, bien plus que dans cette pièce sombre dans laquelle nous avons été enfermés toute la journée.

Ils sont là, de l'autre côté de ces murs, pour moi. Pour nous. Un fin sourire se dessine sur mes lèvres. Nous sommes si près du but, je vois enfin le bout de ces années difficiles.

Nous passons devant des dizaines de portes toutes identiques, s'ouvrant très certainement sur des pièces similaires à celle que je viens de quitter. Toutes, sans exception, sont munies d'une minuscule fenêtre. J'essaie tant bien que mal de regarder ce qu'il se passe dans ces salles, dans l'espoir de le retrouver, mais je n'y arrive pas, l'inspecteur Mark me recadre sans cesse.

Dans mon dos je perçois les pas lourds de son collègue. Je me risque à lui jeter un coup d'œil. Il est recroquevillé sur lui-même, la tête entre les épaules, regardant le sol et les mains dans les poches. Mon récit l'a autant touché ? Lui qui me paraissait impassible lorsqu'il est venu me chercher ce matin, me rappelle à présent un chiot venant d'être abandonné.

Les inspecteurs évitent soigneusement de passer par le hall. Si les gens venaient à me voir, ce serait l'anarchie, j'en suis parfaitement consciente. Ils sont déjà à deux doigts de détruire la porte, les soldats postés devant en sont les seuls remparts.

Nous descendons au sous-sol et arrivés en bas, on m'emmène sur la droite, la partie des prisons réservée aux femmes. Je ne le reverrais pas ce soir. Beaucoup de cellules sont vides, la plupart des prisonnières ont déjà été exécutées. Le gouvernement ne prend pas la peine de garder de simples criminelles ici, ça ne ferait qu'encombrer les prisons.

Un soldat ouvre ma cellule, l'inspecteur Harry délie mes poignets et me pousse à entrer.

« Demain nous terminerons cette histoire de malheur, m'annonce-t-il en refermant la porte, et après nous déciderons de ce que nous allons faire de vous. »

Il s'en va accompagné des soldats. L'inspecteur Mark reste quelques instants de plus. Il m'observe, semble m'analyser, puis tourne tristement les talons. Je reste debout au milieu de cette pièce exigüe jusqu'à ce que le bruit de leurs pas s'étouffe dans les escaliers. Je passe une main dans mes cheveux emmêlés pour les recoiffer et m'assois sur ce lit inconfortable.

ServanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant