Chapitre 5

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Je m'arrête dans ma lecture et reste bloquée sur cette dernière phrase. À une autre époque j'aurais certainement pleuré en lisant ce passage, peut-être l'ai-je fait en l'écrivant. Mais aujourd'hui aucune larme ne vient brouiller ma vision, et mon cœur ne se serre pas. C'est comme si je ne vivais pas ce moment.

« Continuez, je vous prie. »

Je lève les yeux vers les deux hommes. Ils m'écoutent depuis tout à l'heure, attentivement, et interprètent le ton de ma voix et les expressions de mon visage. Mais je ne trahis aucune douleur, aucune tristesse, aucune rancune.

« Bien sûr. »


J'ai passé les cinq jours suivants à ne rien faire, coincée dans cet appartement. Je ne travaillais plus, Estel était au studio, Connor passait ses journées avec son père et son frère et Rohan, eh bien... je ne savais toujours pas ce qu'il faisait. Et moi j'étais condamnée à rester dans cet appartement.

Mais plus pour très longtemps.

Le cinquième jour, Mère Georgia est venue me chercher. Gianna m'avait aidé à me préparer pour l'insémination et Mère Georgia, avant de m'autoriser à aller dehors, avait vérifié que tout était en ordre. Puis elle m'avait poussée à l'extérieur.

« Rappelle-toi, tu dois embrasser le moment, être en parfaite harmonie avec ton corps si tu veux que cela marche du premier coup. Ton géniteur est déjà au Centre de Santé, pense à lui. Est-ce que tu crois qu'avec sa position il a le temps de s'y rendre tous les mois en sachant que l'insémination sera un échec puisque tu ne coopères pas ? S'il te plait, ne sois pas égoïste pour une fois. »

Moi égoïste ? J'aurais voulu lui répondre. Est-ce égoïste de vouloir être heureuse, de vouloir être réellement une femme et pas seulement une poule pondeuse ? Est-ce égoïste de vouloir épargner un enfant d'une mère catastrophique ? 

Si je le lui avais dit, elle m'aurait simplement répondu que ne pas vouloir servir le Saint et porter Ses enfants pour perpétuer le peuple de la Nation était bel et bien égoïste. Comme si la survie de l'humanité reposait sur mes épaules. Et comme toujours je me suis tut parce que je savais que je serais forcément en tort si jamais je lui avouais le fond de ma pensée.

De nombreuses fois je me suis demandée si c'était normal de penser de la sorte. Se censurer pour correspondre à ce que les autres attendent de vous. Pourquoi est-ce que je devais me taire et subir ? Ah oui, pour que tout se passe bien pour moi.

Aucune Sœur ne nous accompagnait, j'étais seule à l'arrière du van. Une ampoule unique accrochée au plafond éclairait l'endroit dont les murs étaient pourtant blancs. Mais pour moi il n'y avait pas plus morbide que cette couleur. Symbole de pureté, d'innocence et de perfection mon cul. Il n'y a pas de plus salissant que le blanc et depuis que j'étais une Servante, je ne m'étais jamais sentie aussi salie.

Je savais exactement comment allait se passer la procédure, on nous l'avait assez rabâché au Temple, si bien que j'avais l'impression de l'avoir fait toute ma vie. Selon les Mères, il devait y avoir tout un processus de préparation que nous, Servantes, devions effectuer la veille pour mettre toutes les chances de notre côté. Et ce processus consistait essentiellement à prier. Mais comme tu le sais déjà, je n'ai jamais été très pieuse alors la veille au soir, je me suis contentée de me glisser sous les draps, de discuter avec Gianna, allongée à côté de moi, et de dormir.

Peut-être aurais-je dû prier ce soir-là. Peut-être.

Nous sommes arrivés au Centre de Santé bien trop vite à mon goût, je soupçonnais le chauffeur d'avoir été un peu trop vite, certainement sous la pression de Mère Georgia.

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