CHAPITRE 4

295 14 0
                                    

[JENIFER]

23 janvier,

On est arrivé il y a quelques jours à Strasbourg. Depuis, on répète, on finalise des trucs et d'ailleurs, tout est réglé pour le sketch avec Pierre. Plus le temps avance, plus je stresse, mais plus j'ai envie de faire ce sketch. Il me fait vraiment rire et Pierre aussi me fait rire. Ce soir, c'est la première représentation. C'est toujours un moment spécial. On angoisse énormément, car on sait qu'il y a certains tableaux que l'on n'a pas assez travaillés, il y a des chansons pour lesquelles on oublie des paroles. On sait très bien qu'il va y avoir des erreurs ce soir. Mais avec les années, j'ai appris une chose. Les premiers spectacles sont parfaits dans le fait de parfois ressembler à rien. Les gens aiment nous voir mal faire, nous voir partir à gauche alors que tout le monde part à droite. Les premières représentations ramènent toujours de belles anecdotes.

Puisque la journée va être longue et que je ne retrouverais pas mon lit avant une heure tardive, je choisis de faire la marmotte ce matin et je reste au chaud dans mes draps. Je laisse juste dépassé mes yeux pour voir si je suis seule ou pas dans la chambre. Un rapide coup d'œil et je constate que Michèle n'est pas là. Je ne sais pas si je suis heureuse de son absence ou pas. Parce que je n'ai pas trop envie de parler ce matin, mais Michèle est le genre de personne qui fait plaisir à voir dès son réveil. Elle est toujours enjouée, c'est plaisant à voir. Même si je suis sûre qu'elle cache pleins de blessures profondes. Ce sont les gens les plus souriants qui sont parfois les plus tristes. Sans regarder mon téléphone pour voir l'heure qu'il est, j'estime qu'il me reste une bonne demi-heure à m'accorder pour finir ma nuit avant de me lever et d'attaquer cette journée. C'est quand je ferme les yeux et que je me laisse emporter dans les bras de Morphée que la porte de la chambre s'ouvre. Je sens que l'on s'approche doucement de moi. Même si je veux voir, je me force à garder les yeux fermés. J'ai l'impression de me retrouver des années en arrière quand je faisais croire à ma mère que je dormais le soir.

— Jeni, tu dors ?

Je reconnais la voix de Michèle, elle est douce, elle veut savoir si je dors sans pour autant me réveiller. C'est alors que je sors mon plus grand rôle, celui de la personne qui se réveille doucement, en ouvrant les yeux avec difficulté, en baillant et en m'étirant qu'un peu.

— Désolée de t'avoir réveillé. Ça te dérange d'aller voir Pierre ?

— Pourquoi ?

— Hum... Comment dire... Il y a quelque chose à te dire pour ce soir.

— C'est grave ?

Michèle grimace. C'est quoi cette histoire ? Je retire ma couette et intérieurement, je me plains d'avoir été trop brusque parce que j'ai froid maintenant. Michèle se recule et me laisse me lever. Je lui dis que je vais me préparer pour aller le voir. Je crois que je n'ai jamais été aussi vite pour m'habiller, me faire une beauté le matin. Je suis plutôt du genre à traîner un quart d'heure devant le miroir, en espérant que le temps fasse son job sur mon visage encore endormi. Michèle est toujours là quand je sors de la salle de bain. J'ai envie de lui demander à nouveau si c'est grave, mais je doute qu'elle me réponde, au mieux elle fera la même grimace que tout à l'heure. Je cherche mes baskets. Je les trouve que quelques secondes plus tard, un brin énervée. Suivie de Michèle, je quitte notre chambre pour m'attaquer aux couloirs jusqu'à celle de Pierre. Je frappe à la porte. La voix masculine de Matthieu me répond. Mince, j'avais oublié qu'il avait la même chambre que Pierre lui. J'hésite quelques secondes avant d'ouvrir la porte. Je trouve Matt assis sur son lit, le nez dans son téléphone. Mais plus loin dans la chambre, sur l'autre lit, je découvre un Pierre sous sa couette. Ses petits yeux me regardent. Je m'avance vers lui, sans un regard pour Matt.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Demandé-je un peu naïvement.

— Je ne sais pas trop ce que j'ai Jenifer. D'ailleurs, ne t'avance pas trop vers moi, je suis peut-être contagieux.

— Tu as de la fièvre ?

— Et pas que. Je suis vraiment mal. Je ne te parle même pas du mal de ventre.

— Mince. Tu es comme ça depuis quand ?

— Hier soir, tard dans la nuit, quelque chose comme ça. J'ai peut-être attrapé un coup de froid.

— Sûrement, ou un truc que tu n'as pas digéré. Ça va aller pour ce soir ?

— C'est pour ça que je voulais te voir.

Pourquoi j'ai peur ? Ne me dites pas que...

— Je crois que c'est cuit pour ce soir.

Oh non. J'en étais sûre.

— OK, je comprends, vu ton état. Mais, on fait quoi ? Genre, on annule ?

— J'ai discuté avec quelqu'un et il aimerait bien me remplacer. Ce ne sera que pour ce soir, j'espère.

— Ah ! Et c'est qui ?

Pourquoi son regard me quitte pour se poser sur Matt qui est derrière moi ? Ça ne peut pas être lui ? Non, pas Matthieu.

— Matt. Je lui ai fait lire le sketch et il a bien aimé. Ce serait que pour ce soir.

— Mais...

Je me tourne vers le nommé Matt. Il me sourit faiblement. Il joue à quoi ? Bizarrement, je ne me sens pas à ma place ici, devant Pierre et Michèle, pour m'énerver contre lui. Seulement tous les deux, je lui aurais fait la misère. Il sait très bien ce qu'on a convenu tous les deux, aucun sketch, aucune chanson, aucun tableau ensemble. Pourquoi il se propose pour faire ça ? Je préfère qu'on fasse sauter le sketch pour ce soir, tant pis.

— En plus, ce serait sympa de vous revoir ensemble un peu, commence Michèle.

C'est maintenant vers elle que je me tourne. Ils se moquent tous de moi ou quoi ? Ils savent tous. Je ne veux pas.

— On a peu de temps, il faudrait qu'on essaie de le faire au moins une fois, pour qu'on tente, continue Matt en me regardant.

— Non. Je suis désolée, je ne peux pas.

Je choisis de m'en aller de la chambre. J'avance à pas rapides, pourtant j'ai l'impression que quelqu'un va plus vite que moi, me poursuivant.

— Ney...

INCENDIE [JENIFER X MATT POKORA]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant