CHAPITRE 44

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[JENIFER]

28 octobre.

L'accouchement a eu lieu il y a plus de vingt-quatre heures. Depuis, il s'est passé pas mal de choses, notamment cette hémorragie. J'ai l'impression d'être toujours aussi fatiguée, mais je vais mieux. La douleur n'est plus là, même si quelques fois, des douleurs semblent me parvenir. Je suis remontée dans ma chambre ce matin, les médecins ont estimé mon état bien pour reprendre mes quartiers dans ma chambre au service de maternité. Matt était heureux. Pour lui, c'est synonyme de ma rencontre avec Vannina. Il a hâte, alors que j'appréhende. Vingt-quatre heures, c'est au moins le nombre d'heures que l'on a passé loin l'une de l'autre. Je suis mélangée entre culpabiliser ou ne pas culpabiliser. C'est mon enfant après tout. Mais c'est bizarre, car je n'ai jamais demandé à la voir. Matt va bientôt revenir avec la petite dans ses bras. On frappe à la porte. Je me redresse. Matthieu entre dans la chambre avec un bébé dans les bras. Son sourire me fait l'imiter.

— Tu vois, je t'avais dit que maman était là, tu vas pouvoir la retrouver, dit-il doucement à Vannina.

Il ferme la porte et s'approche du lit. Je lui propose de s'asseoir sur le bord du lit, près de moi, avant de me la donner. Il est beau avec sa fille dans les bras. Vannina a les yeux ouverts, fixé sur son père. Elle ne m'accorde aucun regard. Pourtant, moi je la fixe. J'ai vu plein de bébés à la naissance, en photo sur internet surtout. Et j'ai vu les enfants d'Amel. Et ils n'étaient pas comme ça. Ils étaient si beaux. Vannina n'est pas... Si, elle est jolie, mais elle est si différente, si malade.

— Tu veux la prendre dans tes bras ?

Je lève le regard vers Matthieu. Il va falloir que je fasse ce pas un jour. Je ne pourrais pas l'ignorer pendant plus de temps. Alors, j'accepte. Matt se lève du lit, je plaque mes bras contre mon corps et il dépose Vannina contre moi.

— Tiens bien sa tête, me dit-il.

Oui, sa tête, c'est ce qu'il y a de plus fragile. J'ai imaginé ce premier contact des milliers de fois. Mais jamais je n'avais imaginé qu'il allait se dérouler comme ça. L'amour, c'est ce que je pensais ressentir, mais rien. Je la regarde et il ne se passe rien. Je n'ai pas mon cœur qui s'emballe, je n'ai pas le sourire aux lèvres.

— Elle est belle, n'est-ce pas ?

Ce n'est qu'à ce moment-là que je souris. Si Matt le dit, alors oui, elle est belle.

— Elle ne me ressemble pas, dis-je froidement.

— Bien sûr que si elle te ressemble, regarde ses petites mains, elles sont aussi douces que les tiennes.

Un bébé c'est doux, par définition. Heureusement que Vannina est douce. Si elle ne me ressemble pas, elle ne ressemble pas non plus à Matthieu. C'est donc ça, on fait un enfant, on le porte neuf mois pour qu'il ne ressemble à aucun de ses parents. J'aurais tellement aimé qu'elle ait mes yeux, ma bouche. J'aurais aimé qu'on puisse la regarder et se dire « oui, c'est la fille de Jenifer ». Là, j'ai l'impression que ça peut être la fille de tout le monde. Des larmes me montent aux yeux. Vannina se met à pleurer. Ça y est, mon cœur s'emballe, pas parce que je trouve ça mignon ou quoi que ce soit, mais parce que j'ai peur. J'essaie de me souvenir des cours de pré-accouchement auxquels on a participé avec Matt. Qu'est-ce qu'on doit faire avec un bébé qui pleure ? En plus, elle ne pleurait pas dans les bras de son père. C'est de ma faute si elle pleure, c'est sûr. Je regarde Matt.

— Reprends-la, s'il te plaît.

— D'accord.

Matt est pris de court, mais il vient récupérer Vannina. Et presque instantanément, elle se calme. Il sait comment faire lui. Il bouge un peu pour la bercer, il lui chuchote des mots. Ça vient naturellement, mais pour moi, rien n'est venue.

— De toute façon, elle ne va pas tarder à avoir faim. Tu voudras lui donner son biberon ?

Je voulais la nourrir au sein. C'est ce qui était prévu. Mais je n'ai pas pu. Et je crois que c'est trop tard, avec les médicaments que je prends à cause de l'hémorragie.

— Je vais essayer.

Il appelle l'infirmière qui arrive quelques minutes plus tard. Elle discute avec moi pour savoir comment je me sens et elle fait l'aller-retour pour aller chercher un biberon.

— Premier biberon donné par maman, dit Matt en la remettant dans mes bras.

Vannina se met à nouveau à pleurer et j'essaie de la calmer. Mon index vient caresser sa main pour lui montrer ma présence. Oui, ça fait vingt-quatre heures qu'on ne s'est pas vu, il faut que se réhabitue l'une à l'autre, pourtant, nous avons déjà passé neuf mois toutes les deux. On devrait reprendre nos marques.

— C'est parfait, annonce mon compagnon en me voyant lui donner à manger.

Vannina s'est calmée pour manger et je crois que oui, c'est parfait, pour le moment. Ça me fait plaisir de la voir comme ça, mais je n'ai toujours rien de plus. Je l'aime ? Oui, je crois, c'est naturel d'aimer son enfant, mais c'est bizarre cette envie de vouloir m'en débarrasser quand elle est avec moi. Bien qu'elle soit calme, je préférerais la voir dans les bras de Matt plutôt que dans les miens.

— Vous êtes belles toutes les deux.

Je lève la tête vers Matthieu qui vient doucement m'embrasser. S'il le dit, il doit avoir raison. Je me sens coupable de me sentir comme ça avec Vannina alors que lui ne peut pas être plus qu'heureux de l'avoir. Pourquoi je ne suis pas comme lui ? Pourquoi je n'ai pas le sourire aux lèvres ? Pourquoi dès qu'elle a fini, je la redonne à Matt ? Ça ne devrait pas se passer comme ça. Car je sais que c'est ma fille, elle était avec moi pendant de longs mois, mais aujourd'hui, il n'y a rien.

INCENDIE [JENIFER X MATT POKORA]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant