CHAPITRE 35

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[JENIFER]

14 juin,

Dix jours. Dix putain de jours où je sais que mon enfant est malade. Et plus je sais ça, plus je ressens l'interdiction de l'abandonner, juste, car il est malade. Lui n'a rien demandé, mais d'un autre côté, il n'a pas demandé à vivre avec une maladie. Quand cette idée me vient à l'esprit, je me demande alors quelle est la bonne décision. Déjà, est-ce qu'il y a une bonne décision à prendre ? En plus, je le sais, je ne dois pas être la seule à la prendre. Mais que faire avec un compagnon qui ne nous parle plus, qui est de plus en plus absent ? Oui, Matthieu est différent depuis que l'on a appris la trisomie de notre enfant. Dix jours. C'est court dix jours. Tout comme ça peut être long. C'est à peine si Matt m'a adressé un mot depuis ce jour. Il ne parle plus. Quand il est dans la même pièce que moi, il est sur son téléphone et ne décroche pas un mot. Il faut qu'il accepte. Je le sais. Mais s'il n'y arrive pas, j'aimerais qu'il m'en parle. On est deux, non ? Je pourrais peut-être avoir les mots rassurants qu'il a souvent pour moi. Il me manque. Terriblement. Tout me manque. Son sourire. Sa voix. Son corps. La sensation de son cœur qui bat contre le mien. Sa façon de dire mon prénom. Et même son intonation quand il m'appelle « Ney ».

Son mutisme ne peut plus durer. J'ai l'impression de devenir folle. Habitée avec lui, mais n'avoir qu'un fantôme de lui ne me suffit pas. Il est plus de vingt-deux heures ce soir et j'ignore totalement où il est. Bêtement, de vieux souvenirs me reviennent, ceux d'il y a cinq ans, quand il rentrait aussi tard et que les rumeurs courraient déjà sur ses possibles tromperies, alors que la presse venait tout juste d'apprendre notre relation. Je n'ai jamais pensé une seule seconde que Matthieu pourrait me tromper, il y a cinq ans et même aujourd'hui. Mais que fait-il aussi tard dehors ? Est-ce qu'il erre dans les rues, en attendant une heure tardive pour rentrer, en espérant que je dorme déjà, comme ça, il n'aurait pas à me parler ? Trop tard, ce soir, je l'attends. J'ai besoin de lui parler.

La porte de la maison s'ouvre au même moment. Je lève la tête. Il est là. Quand il remarque la lumière allumée du séjour, il s'avance vers la pièce et il se stoppe quand son regard tombe sur moi. On reste quelques instants sans se parler, avant que je prenne la parole.

— Matthieu, il faut qu'on parle.

— Pas longtemps, je suis fatigué, me répond-il d'une voix roque.

— Je n'en peux plus de ne pas te voir. Et quand tu es là, tu m'évites. J'en ai marre, soufflé-je.

— Désolé, c'est compliqué avec le studio, la fatigue.

Il fuit mon regard quand il se trouve des excuses.

— Je suis sûre qu'il y a autre chose.

— Non. T'inquiète.

— Tu es sûr qu'il n'y a rien d'autre ? Même pas le bébé.

Matthieu baisse le regard vers le sol. J'avais raison, il y a un problème avec le bébé et avec Matt.

— Ça te dérange ? Demandé-je.

Il relève les yeux vers moi. Son visage est fermé, son regard presque noir.

— Bien sûr que ça me dérange Jenifer. Notre bébé est malade ! Tu as vu les complications que ça fait d'avoir un enfant trisomique ?

Il tente de rester calme, sa colère passe dans son poing qu'il serre avec force.

— Mais c'est notre enfant. On peut se battre pour lui, non ?

— Arrête de penser à toi, me hurle-t-il. Pense à lui. Il va se passer quoi plus tard ? Les gens vont mal le regarder ? Les gens vont le dévisager ? Ils vont aussi nous dévisager ? Et ça va être quoi nos vies ? Tu sais qu'il faut être là pour un enfant et encore plus pour un enfant malade. Tu veux que je te rappelle nos métiers ?

— J'arrêterai la musique s'il le faut. Je m'en fiche de comment les gens vont nous regarder, parce que nous, on s'aimera.

Matthieu avance vers moi, je fais un pas en arrière. J'ai toujours détesté le voir en colère, surtout comme ce soir.

— Ah ouais ? Toi qui es toujours en train de te cacher pour que personne sache qu'on est ensemble ! Toi qui penses toujours à ce que vont penser les gens avant d'agir. Tu as refusé combien de choses par peur Jenifer ?

Mes mains tremblent. Moi, comme lui, on sait qu'il a raison. J'ai toujours eu peur. Et avoir un enfant malade me fait peur aussi. Je baisse le regard et je ne peux plus retenir mes larmes.

— Alors on arrête la grossesse ? On abandonne notre enfant ? On fait quoi ?

— J'en sais rien.

Mon cœur se resserre. Ce n'est pas possible. Il n'est pas en train de me dire qu'il pourrait penser à la possibilité de l'avortement ? La tristesse se transforme en colère et je m'avance à mon tour vers lui.

— Tu es sincèrement en train de penser à l'éventualité de laisser tomber notre enfant ? Tu es complètement fou Matthieu ! C'est notre enfant, c'est celui que j'ai fais avec toi, je ne le laisserais pas.

— Je n'y arriverais pas Jenifer.

— Qu'est-ce que tu en sais ?

— Ce n'est pas une fois qu'il sera là qu'il faudra que je m'en rende compte, parce que je n'aurais pas le droit de te laisser toute seule.

— Parce que tu penses avoir le droit de me laisser maintenant ?

— Non. Mais il faut qu'on réfléchisse. Est-ce qu'on pourra assumer ?

— J'assumerai.

— Désolé de ne pas être aussi serein que toi !

— Il n'y a pas à être serein, il faut juste assumer. On s'aime, on a fait cet enfant. On a cette maison. On a repeint les murs de la chambre. Je ne pourrais pas vivre ici si je n'ai pas cet enfant. On va être aidé Matthieu.

— Ah ouais ? Par un médecin qui te dit « vous savez on vit très bien avec la trisomie 21 » ?

— Oui. Je pense que oui, on vit avec.

— Non. Non, Jenifer, on ne vit pas avec une maladie. On est toujours sous le regard des gens, on fait pitié aux autres, on est toujours en train d'aller à des rendez-vous médicaux. Je ne sais même pas si les écoles acceptent les enfants trisomiques ! Ces gamins ont besoin d'accompagnement pour le reste de leur vie. Il va faire quoi quand on sera mort ? Il y aura qui pour l'aimer ?

— J'ai trente ans, et tu en as vingt-sept. Excuse-moi de ne pas penser à la mort tout de suite. D'ici que je meurs, leur condition de vie aura évolué. Je n'arrive pas à croire que tu n'acceptes pas.

— Non, je n'accepte pas que notre bébé ne soit pas en bonne santé. Je suis désolé de ne pas être toi.

Il me dégoûte.

— Sors Matthieu.

— Quoi ?

— Va prendre l'air dehors, tu as l'habitude de le faire en ce moment. Dégage, je ne veux plus te voir ce soir.

Il me regarde quelques instants et il tourne les talons. Quand il ouvre la porte, j'ai envie de le retenir, de lui dire d'être fort et que l'on reparlera du bébé plus tard, au calme. Mais je n'ai pas le courage d'aller à lui. Je le regarde s'en aller, je l'entends claquer la porte. Dès qu'il est à l'extérieur, je m'effondre. Je n'arrive pas à croire à ce qu'il vient de se passer. Il ne veut pas de cet enfant, ce pourquoi on est ensemble à nouveau aujourd'hui. Je ne peux pas m'arrêter de pleurer, même quand j'arrive à me relever, à prendre mon portable. J'ai envie de crier ma colère à quelqu'un. Mon pouce hésite entre ma mère et Amel, mes deux piliers. Mais aucune des deux ne sait pour mon bébé. Je ne veux pas les inquiéter. Je ne dois pas les inquiéter. Je repose mon téléphone sur le canapé et je m'assois à côté. Je me couche finalement dessus et je finis par m'endormir quelques minutes plus tard, morte de fatigue. De cette nuit, je me souviens m'être réveillé à un moment. La couverture était sur moi. Je ne l'avais pas prise. Il l'a mis sur moi, pour que je n'aie pas froid. J'ai serré la couverture dans ma main et je me suis rendormie, pensant fort à Matthieu.

INCENDIE [JENIFER X MATT POKORA]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant