Chapitre 5 ~ Comme un chat

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Léonie rentre à onze heures, trente-quatre minutes et cinquante-trois secondes selon ma montre. Cela fait presque trois heures que je l'attends en faisant semblant de lire dans le salon. J'ai dû lui envoyer quarante messages pour lui demander où elle était et quand elle comptait revenir à la maison. Elle ne m'a pas répondu, pas plus quand je l'ai appelée – alors qu'elle sait que je n'aime pas parler au téléphone et que je ne le fais qu'en cas d'extrême nécessité. Je ne savais pas quoi faire d'autre ; j'ai dû me résigner à patienter.

J'ai envisagé d'appeler la police, mais on m'aurait raccroché au nez. Je m'inquiétais pour si peu, réalisais-je lorsque je tentais d'être objectif. Un nom, un poème, une absence et Théo Proklyatyy imaginait le pire. J'ai tenté de me convaincre que j'avais dramatisé. Je n'ai pas vraiment réussi.

C'est pourquoi, quand la porte d'entrée s'ouvre et que Léonie se glisse dans la maison, je ne sais pas comment réagir. Je m'étais promis de ne pas la laisser filer vers sa chambre avant que nous n'ayons eu une petite discussion, mais je suis incapable de me lever ou de parler. À nouveau, des émotions que je tente en vain de contenir prennent possession de mon esprit. Soulagement, colère, inquiétude, tout cela m'assaille brusquement, alors qu'une seconde plus tôt je ne ressentais que de l'angoisse.

Des images dansent dans mon esprit, des images qui me terrifient, ma sœur étendue au sol, inerte, dans une rue inconnue, et lui, son sourire joyeux. Ç'aurait pu arriver. Mon regard plongé dans ses yeux sans vie, Marie qui se met à trembler comme ma mère avant elle. Ç'aurait pu arriver.

Cloué sur le canapé, je ne peux que regarder ma sœur entrer dans le salon, le visage troublé. Elle vacille légèrement, comme si elle était ivre, me jette à peine un regard et se dirige vers l'escalier. Lorsque je reprends le contrôle de moi-même et me lève pour l'arrêter, elle a déjà disparu à l'étage.

Irrité par ma récente tendance à perdre la maîtrise de mes émotions, je monte à mon tour et frappe sans trop d'espoir à la porte de sa chambre. À ma grande surprise, elle me répond d'entrer, d'une voix un peu éraillée.

Elle a ouvert sa fenêtre et respire l'air frais à grandes goulées, comme si sa vie en dépendait. En m'entendant refermer sa porte, elle se retourne. Son visage est livide, creusé, ses yeux sont cernés et elle semble nauséeuse. Elle a vraiment bu alors ?

« S... salut, Théo, coasse-t-elle. Tu n'aurais pas une bassine ?

— Reste ici, ordonné-je fermement, je reviens tout de suite. »

Je me précipite vers la salle de bains, attrape en vitesse une bassine et une boîte de Doliprane, remplis un verre d'eau et reviens, un peu plus lentement pour ne pas renverser le verre. Elle accepte la bassine et se détourne pudiquement. J'entends quelques raclements de gorge peu harmonieux. Elle refuse d'un signe de tête le Doliprane, boit le verre et va vider sa bassine.

« Merci, me glisse-t-elle en rentrant dans sa chambre où je l'attends, me sentant quelque peu inutile. C'est... gentil.

— Léonie, ça va ? »

Elle me fixe d'un air désorienté. Visiblement, elle s'attendait à tout sauf à cette question. Elle finit par m'adresser un signe de tête, à mi-chemin entre le oui et le non. J'hésite, ne sachant pas comment poursuivre sans la braquer.

« Je... je sais pas, souffle-t-elle, en s'asseyant sur son lit. Ça se bouscule dans ma tête... »

Tiens, je ne suis pas le seul, on dirait.

« J'aurais... pas dû, ajoute-t-elle après une pause, je n'ai pas... réfléchi. Enfin, si, mais... mais non. Je... Je ne vais pas... »

Elle enfouit son visage entre ses mains et se roule en boule sur son lit. Je n'ose pas m'approcher. Je me suis rarement senti aussi maladroit et inutile. C'est aux parents de gérer la première cuite de leurs enfants, non ?

Les larmes de la lionneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant