Chapitre 15 ~ Ce qu'Ils sont

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« Je ne peux même pas imaginer que tu aies fait ça ! »

Léonie tient toujours le couteau qui a servi à tuer Diane Rafalen et, l'espace d'un instant, je crains qu'elle ne s'en serve contre moi. Je réprime cette crainte stupide.

« Encore une fois, ajoute-t-elle, la voix tremblante de colère. Tu m'as encore abandonnée...

— Je... je ne voulais pas. »

Cela fait dix minutes qu'elle fulmine, faisant les cent pas dans les six mètres carrés qui nous servent de logis. Assis sur le matelas miteux, je tente de me défendre, mais elle ne tient pas compte de mes protestations. Entre ses mains, le couteau jette des éclats sanglants alors qu'elle l'agite sans y prêter attention.

« Tu ne voulais pas ? Tu ne voulais pas ? » Elle éclate d'un rire féroce, un rire plein de douleur lancé comme une bravade. « Ce n'est pas toi qui es aux commandes de ton corps, Théo ? »

Tu es bien placée pour dire ça, pourrais-je lui répondre. Elle me fixe d'un regard brûlant de haine. Je l'ai abandonnée, j'ai frappé la lionne au seul endroit où je pouvais l'atteindre. Mais les fauves blessés ne renoncent pas. Ils enragent, ils sortent leurs griffes et leurs crocs pour défendre ce qu'il leur reste. Jusqu'à ce qu'il ne leur reste rien. Mais si la lionne n'est plus rien, il en ira de même pour ma sœur. Je ne peux pas gagner le combat de cette manière.

« Je suis désolé, dis-je avec l'espoir que mon semblant de calme l'apaise. Je ne voulais pas te faire de mal. Mais... je devais le faire. Je n'avais pas le choix.

— Parce que tu crois que moi je l'ai ? Alors quoi Théo, tu n'as pas le choix, je n'ai pas le choix, on ne sortira jamais de cette impasse ? C'est ce que tu veux ?

— Bien sûr que non ! Tu crois vraiment que j'aime cette situation ?

— Je ne sais plus quoi croire. Tu entends ? Je ne sais plus qui croire ! »

Elle pleure, elle hurle, elle ne se contrôle plus. Peut-être qu'un passant entendra nos voix, qu'il s'inquiètera de la présence d'intrus dans cette cave désaffectée, qu'il préviendra la police, peut-être qu'on nous reconnaîtra, qu'on nous enfermera. Cela ne m'effraie pas, en cet instant. Ce serait facile. Je n'aurais plus à trancher entre le bien et le mal. Il me suffirait de me laisser porter. Oui, passer le reste de ma vie entre quatre murs, voir ma sœur grandir en prison, cela me semble désormais préférable à l'incertitude qui me torture. Je voudrais qu'on me dise quoi penser, en qui croire, comment agir. Qu'on éteigne ma conscience.

Léonie s'est calmée. Assise contre le mur en face de moi, haletante, elle me fixe sans un mot. Je n'ose pas lui rendre son regard, de peur qu'elle n'y lise ma lâcheté.

« Tu n'as pas le droit, Théo, finit-elle par murmurer d'une voix brisée. Si tu te mets avec elle, c'est comme si... comme si tu disais que je suis la coupable. Comme si... »

Elle fronce les sourcils. Traduire l'impression qu'elle ressent ne semble pas évident. Suspendu à ses lèvres, j'attends, craignant de respirer trop fort, d'interrompre sa réflexion.

« Comme si vous aviez raison parce que je suis seule, lâche-t-elle d'un trait.

— Ce n'est pas ce que je veux...

— Mais ce n'est pas vrai, enchaîne-t-elle comme si je n'avais pas parlé, je n'ai pas moins raison que toi. Je... j'ai raison, Ils ont raison. Ce que je fais, ce n'est pas mal. Mais quand tu essaies de m'en empêcher... c'est comme si ça l'était. »

Parce que c'est le cas. Le bien, le mal, tout est flou dans son esprit. Et dans le mien...

« Ils n'ont pas raison. Ils te font faire le mal.

Les larmes de la lionneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant