Chapitre 3 ~ Au-dessus des hommes

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Le jour finit par se lever.

Étendu sur le canapé, j'ouvre les yeux sans savoir si j'ai dormi ou non. Je suis... perdu.

Les rayons du soleil ne chassent pas les images qui s'imposent encore à moi. Elles me heurtent avec la même violence, indifférentes à la lumière dorée qui illumine le salon et aux pépiements des rares oiseaux.

La terreur sur le visage de Sélène Lemercier, la main tremblante de Léonie, la lame du couteau, le sang qui jaillit. Encore et encore. Sans répit.

Le cliquetis des talons de Sélène Lemercier sur le sol. Le son aigu et régulier, qui m'évoque les aiguilles d'une horloge. Tic, tac, tic, tac. Dix minutes avant sa mort... Cinq... Quatre... Trois... Deux... Une... Non !

Sa voix hautaine au début, assurée, dominatrice, qui a cédé la place à un murmure. Quelques balbutiements sans conviction, quelques protestations suppliantes, et puis le silence, le silence...

Et c'est Léonie qui a fait tout cela.

Le regard qu'elle a posé sur moi quand elle m'a aperçu. J'aurais pu l'aider. Si j'avais hurlé, Léonie n'aurait pas pris de risque et se serait enfuie. L'avocate aurait survécu, ma sœur n'aurait pas été inquiétée. Rien ne nous reliait à elle. J'aurais pu l'aider.

Pourtant, j'ai soutenu son regard suppliant sans prononcer un mot.

Est-ce à cause de tout ce dont ma sœur l'accusait ? À en juger par la réaction de Sélène Lemercier, ce n'étaient pas des paroles en l'air. L'avocate a réellement battu et tué son mari. Est-ce pour cela que je me suis tu ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui m'a empêché de l'aider.

Et derrière tout cela, il y a Léonie. Léonie qui a orchestré ce crime, Léonie qui... a tué cette femme.

Je ressasse les mêmes idées, encore et encore. Ça ne sert à rien. Ça me fait du mal. Soudain, l'idée de rester allongé ici à me heurter sans cesse aux mêmes souvenirs me semble insupportable. J'ai besoin d'air, d'aérer mon esprit... de parler... Je ne veux plus me heurter à moi-même, subir le ressac inlassable de mes pensées. Je ne peux plus. Écartant mes couvertures, je me lève avec brusquerie.

Il faut que je lui parle. Que je comprenne ses raisons. Elle m'a dit qu'elle m'expliquerait.

Je me dirige vers notre chambre et entre sans frapper. Léonie est recroquevillée sur le lit. Une légère chemise de nuit couvre à peine son corps frêle d'adolescente, presque d'enfant. Elle a l'air soudain démunie, elle qui hier était si forte... si démunie que, l'espace d'une folle seconde, je me dis que ce n'est pas possible, que ce n'était pas elle, que j'ai rêvé, oui, j'ai rêvé...

Un reflet du soleil sur le couteau tranche aussitôt mes doutes. L'arme est posée sur le lit à côté d'elle, à la place où je devrais être. Comment peut-elle dormir à quelques centimètres du rappel de son crime ? Ne sent-elle pas la mort de Sélène Lemercier envahir la pièce, son sang masquer la lumière du soleil, son silence assourdir le chant des oiseaux ?

Elle lève ses yeux cernés sur moi et je ne sais plus ce que j'avais prévu de dire. Si j'avais prévu quelque chose. Alors je prononce les premiers mots qui me viennent à l'esprit.

« Tu es une meurtrière. »

Une affirmation, brutale, tranchante. Elle ne répond rien. Il n'y a rien à répondre.

« Pourquoi ? » ajouté-je d'une voix tremblante.

Elle détourne la tête et je pense qu'elle va ignorer ma question, s'enfermer dans le silence.

« Je dois le faire, dit-elle enfin. Tu... tu ne comprendrais pas.

— Explique-moi, alors. »

Elle ne répond pas. Sa respiration est saccadée, ses épaules se soulèvent et s'abaissent. Je mets un moment à comprendre qu'elle pleure.

Les larmes de la lionneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant