Chapitre 11 ~ Toutes mes illusions

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Léonie n'a pas été reconvoquée. Pendant les semaines qui suivent, j'écoute mes cours d'une oreille distraite. La seule question que j'ai envie de poser à mes professeurs, c'est ce que risque ma sœur si elle est découverte. Bien évidemment, je ne le fais pas. Je ne le cherche pas non plus sur Internet, au cas où les sites que je visite soient espionnés. Que cette décision témoigne d'une sage prudence ou d'un délire paranoïaque, je m'y tiens avec rigueur.

Je ne me prive pas, en revanche, de me renseigner sur les suites de « l'affaire Lion », comme l'ont nommée les journaux. J'apprends ainsi que, quatre jours après notre audition, Éric Valiaux et sa femme Irina ont été placés en garde à vue. Si Irina Valiaux a été relâchée après quelques heures, son mari est l'objet d'une attention plus poussée, comme Léonie l'a prédit. Les informations se font rares. Deux mois après les faits, tout ce que je sais est que l'enquête est en cours.

J'ai eu, en revanche, une discussion avec Victor. Il n'en est ressorti grand-chose, ni l'un ni l'autre n'acceptant de lâcher des informations. Je m'en suis tenu à ma version précédente et mon cousin a affirmé que son affaire avec Lucas Bisson ne me regardait pas, que c'étaient « des trucs d'ados ». Face à mon insistance concernant l'aide qu'il apporte à Léonie, il a répondu qu'il avait ses raisons et que je n'avais qu'à l'appeler mère Teresa si je le voulais. Je n'ai pas voulu en savoir davantage. La dernière fois que j'ai tenté de savoir ce qui ne me regardait pas, j'ai découvert la Liste de Léonie, et je préfère ne pas retenter l'expérience.

Octave a failli me présenter Sarah, de laquelle il est toujours amoureux, mais ils se sont disputés suite à des rumeurs selon laquelle il fréquenterait une fille de notre classe. Le point positif, c'est qu'il a oublié Eugène Ormier et ne me parle plus que de son hésitation à lui faire confiance.

Quand on discute, lui et moi, je pourrais presque croire que tout est normal. Je n'ai jamais senti un tel décalage entre ce qui se trame chez moi et ce que je lui raconte. C'est tellement perturbant que j'écourte souvent nos discussions. Je déteste cette impression que je ressens dès que je ne suis pas chez moi, l'impression que je pourrais fermer les yeux, tout oublier, et ne plus jamais y penser... Sauf qu'à la maison, il y a Léonie, Léonie et son regard plein d'attente, Léonie et son air perdu.

Avant ce matin du 8 février, je pensais ma voie toute tracée. Je me voyais déjà devenir juge à la fin de mes études. Un juge intransigeant et impartial, pas du genre à se laisser influencer – menacer ou soudoyer, je ne l'ai jamais su – comme ceux d'Eugène Ormier l'ont probablement été. Un juge qui ne condamnerait qu'une fois sûr de la culpabilité des accusés, un juge qui prendrait les circonstances en compte, qui appliquerait la loi comme elle est écrite et pas comme on la lui explique, qui écouterait la justice plutôt que les promesses de carrière. Un homme qui respecterait ses valeurs, les règles qu'il se serait fixées.

Puis Léonie est rentrée, pâle et tremblante, et m'a avoué qu'elle avait tué quelqu'un. Elle m'a dit que je devrais la suivre, l'accompagner je ne sais où. En quelques phrases bien choisies, l'avenir que je m'étais construit s'est écroulé. Le juge incorruptible que je voulais être témoignerait-il de l'innocence d'une criminelle ? L'homme valeureux en lequel je me voyais aurait-il couvert un meurtre ?

Je repense à ma surprise, au début de l'année dernière, quand j'avais parlé à Octave pour la première fois. Il m'avait demandé ce que je faisais ici, j'avais répondu par une banalité du genre « J'ai toujours aimé ça » et lui avais retourné la question. Il avait haussé les épaules et répliqué : « Pour me faire de l'argent. » Sur le coup, j'avais trouvé ça stupide, et même immoral. Mais qui réussit à suivre ses principes toute sa vie ? Il n'y a pas de vertu et de vice, juste ceux qui s'aveuglent et ceux qui parviennent à arracher le voile d'espoir qui couvrait leurs yeux.

Les larmes de la lionneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant