Chapitre 7 ~ Ce n'est pas grave

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« Léonie... ça va ? »

Elle n'a pas cessé de pleurer, effondrée sur son matelas, recroquevillée sur elle-même. Ses doigts sont toujours crispés sur le manche de son couteau. Jamais elle n'a semblé aussi affectée. Même après avoir tué la petite Laëtitia, elle s'est reprise en quelques heures. Mais aujourd'hui, elle a passé la journée sur son lit, à pleurer sans prononcer un mot.

Elle lève vers moi un visage cadavérique, un visage marqué. Elle porte en elle la mort de tous ceux qu'elle a tués. Ils s'ajoutent peu à peu, creusent ses joues et ses cernes. Peut-être qu'un jour, ils la dévoreront tout entière, peut-être qu'elle ne sera plus que leur empreinte.

« Non... Non, ça ne va pas, admet-elle d'une voix faible.

— Je... tu veux...

— Je m'en veux tellement, Théo, si tu savais... Je n'aurais pas dû... Je me suis laissé emporter, totalement emporter. Comme toujours... Non. Pire.

— Ce n'est pas... »

Je m'interromps, mal à l'aise. Ce n'est pas grave, allais-je dire, mais si, bien sûr, c'est grave. Elle vient de tuer une femme. Je viens de la laisser tuer une femme.

« Si, souffle-t-elle. Si, c'est.

— Léonie...

— Je n'aurais jamais dû ! »

Elle se redresse soudain, avec une telle vivacité qu'elle semble prise de démence. Ses cheveux bruns trempés de sueur pendant autour de son visage, sa pâleur maladive, son regard halluciné, tout lui donne l'air d'une aliénée. Et pourtant... pourtant, j'ai l'impression qu'elle est plus lucide que jamais. Cela me terrifie. Je voudrais qu'elle se laisse retomber, qu'elle se taise, fût-ce pour se remettre à pleurer ; tout plutôt que cette folle conscience.

« Ça ne peut pas continuer comme ça, Théo. »

Sa voix est calme, trop calme. Elle a raison, pourtant il y a cette résolution sur son visage, cette résolution implacable, effrayante... Je sens l'appréhension nouer ma gorge.

« Il faut que nous Les arrêtions. »

Toujours cette crainte enfantine dans sa voix, malgré ce qu'elle propose... On dirait une fillette décidant de chasser les monstres qui la terrifient la nuit venue. Sauf que les siens ne craignent pas le jour. Elle est si fragile, ma sœur, si jeune, bien plus jeune que ses seize ans.

« Qu'est-ce que tu veux dire ? soufflé-je à contrecœur.

— Que nous devons agir. Mais moi, je n'aurais pas la force.

— Qu'est-ce que tu veux dire, Léonie ? »

L'angoisse rend ma voix si aigüe qu'elle me perce les oreilles.

« Je veux dire que... que tu dois le faire, toi.

— Faire quoi ? »

Ses yeux se rivent aux miens. Et derrière la terreur et la résolution qui gouvernent ses iris, je vois ce que je craignais. La lucidité. Elle est parfaitement maîtresse d'elle-même.

« Tu dois me tuer, Théo. »

Je la fixe, sans mots. Elle ne peut pas être sérieuse. Elle ne peut pas vouloir... C'est Eux qui la gouvernent, forcément. Ça ne peut être qu'Eux.

Mais je le sais bien, au fond : c'est elle qui a pris cette décision, elle et seulement elle.

« Tu dois me tuer.

— Mais... »

Elle esquisse un sourire las.

« Nous n'avons pas le choix. Si on ne le fait pas... si je continue à vivre...

Les larmes de la lionneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant