Mr Smith

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Le temps filait tranquillement son cours au domicile de la famille Duncan. Le docteur William partait très tôt le matin s'occuper de ses patients à St Thomas, Mary Duncan partait, elle aussi, avant l'aube pour travailler. Elle officiait dans une usine de textiles sur les bords de la Tamise. Étant issue d'une famille fortunée, elle ne faisait pas partie de la main d'œuvre qui était entassé dans un entrepôt qui ne voyait pas la lumière du jour mais était dans les haut-placés qui gérait toute la production. Il lui arrivait, de temps en temps, de se salir les mains pour faire passer le temps. Je ne les croisais pas beaucoup, comme j'étais réveillée après qu'ils avaient été partis. Je passais mes journées à m'occuper de leurs enfants et, quand ils revenaient, je prenais congé pour aller lire les livres dans la salle de cours et je passais du temps avec Aimee et les cuisiniers, Robert et Clara. Bien que j'arrivasse à bien m'entendre avec le premier, j'avais d'ailleurs appris qu'il était muet (cela ne nous a pas empêché de communiquer par le biais d'un carnet sur lequel il écrivait ses réponses), j'en étais moins sûr-e avec elle. Elle me regardait avec des yeux méfiant à chaque fois que j'arrivais dans la cuisine. Aimee aussi me regardait bizarrement parfois, surtout quand j'allais me coucher dans les quartiers de la gouvernante, mais globalement nous nous entendions bien.

La première année s'acheva sans que je m'en rende compte, principalement dû au fait que mes journées étaient bien remplies, à m'occuper de Gretchen et d'Eric. Je sentais une certaine alchimie avec la petite fille. Elle était si pleine de vie, si joyeuse, si drôle, en comparaison avec son petit frère qui était assez froid, distant et me causait un certain malaise lorsqu'il se retrouvait seul dans la pièce avec moi. Il faut dire que sa phrase énigmatique datant du jour de notre rencontre me tournait encore dans la tête.

« Hey, ça va ? »

Je m'étais endormi-e sur le bureau de la salle d'instruction, la tête dans un livre que j'étais vraisemblablement en train de lire avant de m'assoupir.

« Hmm hmm... », marmonnais-je en essayant d'éviter un bâillement qui se fraya tout de même un chemin.

« Ce n'est pas la première fois que tu tombes de fatigue ici, ce sont les enfants qui te surmènent ? »

« Les enfants ? Mais non, ils sont... », je m'arrêtai pour bailler à nouveau, « ...adorables. »

« Alors pourquoi es-tu encore en train de rattraper ta nuit toute seule dans cette salle froide ? »

« Il ne fait pas si f-f-froid que ça. », répondis-je en tremblant.

Aimee soupira en m'entourant d'un plaid qui recouvrait préalablement ses épaules.

« Tu sais très bien qu'en cette période de l'année il fait froid ici. T'aurais pu allumer le poêle. »

Nous étions effectivement en fin février de l'année 1887. La neige ne tombait plus depuis quelques jours mais il subsistait un froid glacial qui empêchait toute sortie du domicile (du moins pour moi). Je restai donc très souvent entre les quatre murs de la salle d'instruction à feuilleter et lire les différents livres qui peuplaient les bibliothèques. Bien que je ne fusse pas un-e très grand-e lecteur-ice, c'était la seule chose qui pouvait m'occuper en cette période temporelle, lorsque tout le monde n'était pas disponible pour passer du temps avec moi. Je m'enveloppais dans le châle de mon amie pour me réchauffer un peu. Je regardais l'horloge éclairée par les lampes au gaz. Il était presque vingt heures.

« C'est l'heure de manger ? », demandai-je, la voix encore engourdie par le sommeil.

« Pas encore. Monsieur William et le reste de la famille sont toujours en train de manger. »

« D'accord... »

Je restai à fixer le vide pendant une bonne trentaine de secondes, le silence brisé par le tic-tac de la pendule.

EmilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant