Jack

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J'étais horrifié·e par la scène qui venait de se dérouler devant mes yeux. La pauvre jeune fille qui, quelques instants plus tôt, se battait pour sa vie, gisait désormais dans une mare rouge vif. Son sang coulait entre les interstices des pavés et s'infiltrait dans le sol. La mystérieuse figure sombre s'affairait au-dessus du cadavre. Il la mutilait avec une horreur innommable, découpant la chair tel un boucher aux mœurs douteuses. Maya redoubla d'efforts pour me tirer en arrière. Mais ce n'était plus de la curiosité qui m'empêchait de bouger, plutôt une peur viscérale qui me tétanisait. L'ombre pouvait se retourner à tout moment et déchaîner sa rage meurtrière sur nous deux. Il semblait chercher quelque chose mais nous ne l'avions pas, la pauvre fille de joie non plus et elle l'a payé de sa vie. Au prix d'un effort surhumain, mes pieds bougèrent enfin et nous retournâmes, le plus silencieusement possible, sur la voie principale. Nous marchâmes en silence pendant de longues minutes, silence brisé par le bruit de nos chaussures claquant sur le pavé des trottoirs et par le bruit des ébats provenant des divers bordels situés à Whitechapel. Ce silence pesant nous suivi jusqu'à l'Île aux Chiens quand, enfin, je décidai de briser le silence :

« C'était quoi ? Cette ombre, cette pauvre femme ? »

« C'est pas l'heure... Tu le sauras bien assez tôt, je ne peux pas t'en révéler sur lui. », me répondit Maya sur un ton ferme, qui trahissait une certaine anxiété.

« Donc tu connais l'existence de cet individu. Tu as dit que ça devait se passer. Il y a eu un drame de cette ampleur en 1887 ? »

« 1888. », corrigea-t-elle.

« Pardon ? », m'arrêtai-je.

« Pas 1887, 1888. Nous avons atterri en 1888. Je m'en doutais un peu quand nous sommes arrivées, quelque chose clochait. Mais quand j'ai vu Jack, j'ai su. »

« Attends, attends. Quoi ?! », m'exclamai-je, « 1888 ?! Nous avons un an de retard ?! Et qui est ce Jack ? »

« Tu sauras tout en temps et en heure, pour l'instant nous devons atteindre la maison des Duncan le plus rapidement possible. »

Je savais que le moment n'était pas propice à la discussion mais j'en avais marre de ne rien comprendre. De plus nous étions en retard d'un an. Qu'allaient penser monsieur Duncan ? Les enfants ? Et surtout, qu'était devenue Aimee, pauvre Aimee... Je redoublais de vitesse dans ma marche, mais je gardais à l'esprit les questions que je voulais poser à Maya, j'avais besoin de ces réponses, ne serait-ce que pour enfin comprendre quelque chose à ce méli-mélo ambiant. Nous continuâmes donc à marcher sans bruit, mais mon cerveau bouillonnait.

Au bout d'un moment, je sentis que mes jambes commençaient à fatiguer. Je ne m'étais pas totalement préparée physiquement pour marcher autant, sachant que nous étions censé·es réapparaître dans la salle de bain délabrées de la chambre de Smith. Je supposais nous étions en plein été et que, par conséquent, les soirées n'étaient pas trop fraîches. Nous avons eu de la chance de ce côté-là.

Je repensais au ton sadique de l'ombre, enfin Jack (puisque c'est ainsi que Maya l'appelait). J'eus un frisson désagréable dans le dos. Maya avait dit qu'une telle horreur devait se produire mais je refusais d'y croire. Comment un être humain pouvait se livrer à un acte aussi barbare ? Et pour quelle raison ? Que cherchait-il ? Toujours plus de questions tournaient dans ma tête alors que nous continuâmes notre traversée de Londres. Je savais que Greenwich n'était pas loin, je l'avais senti. Mais plus la maison des Duncan approchait, plus j'appréhendais ce retour parmi eux. Qu'allais-je bien pouvoir leur dire, moi, après avoir été absente toute une année ? Mes pieds commençaient à me faire vraiment mal, signe que nous arrivions bientôt à notre destination.

« Tu penses que Faravel sera toujours là-bas ? », demandai-je à Maya.

Elle fit non de la tête.

EmilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant