John et Jane Doe

17 2 0
                                    

Le docteur remonta les escaliers à toute vitesse pour revoir l’individu. Celui-ci souriait toujours.
« Où est Emily ? », demanda-t-il au médecin qu’il avait demandé à voir.
« J’ai une bien meilleure question, qui est Emily ? »
« Ne jouez pas les innocents, nous savons que vous la connaissez. », répondit l’homme avec le même sourire froid.
« Qui êtes-vous ? Vous n’avez été enregistré sous aucun nom ? »
« Vous pouvez m’appeler John Smith, si ça vous chante, ou John Doe, peu m’importe, mon nom ne vous intéressera guère. », poursuivit l’inconnu.
« Que faites-vous à Londres, monsieur Smith ? »
« Je cherche des réponses, des questions et Emily. »
« Souffrez-vous de quoi que ce soit, monsieur Smith ? »
« Eh bien oui, je souffre de ne rien savoir, je souffre d’être ici et je souffre du fait que vous ne m’apportez aucune réponse, docteur Duncan. »
Le docteur se sentit de plus en plus mal à l’aise vis-à-vis de son interlocuteur.
« Ici tout le monde m’appelle docteur William. », fit-il d’une voix blanche, « Personne ne connaît mon nom. »
« Pour protéger votre famille, je sais docteur Duncan, vous ne voulez pas qu’un quelconque meurtrier de votre secteur d’affectation s’en prenne à eux, je comprends. Après tout, nous ne sommes qu’en 1885, rien ne pourrait arriver de grave d’ici quelques années. »
Le sourire froid de l’homme se changea en une grimace cruelle, de toute évidence il n’était pas très bien intentionné.
« Sortez tout de suite de cet hôpital, monsieur Smith. Vous n’avez rien à faire ici. »
L’homme sortit du lit et se leva. Il était bien plus grand que William, entre 6 et 6,3 pieds. Il avait une légère couche de cheveux sur son crâne blanchâtre, pâle comme la mort. Son iris était entièrement noire, contrastant avec le blanc du reste de l’œil. Ses lèvres étaient minces et pincées. Il était habillé d’un costume intégralement sombre et peu commun pour l’époque, il devait sûrement être riche. Mais cela ne changeait rien au fait que le docteur ne voulait plus l’avoir entre ses murs, quelque chose chez cet homme ne lui inspirait pas confiance.
« Vous avez raison. », rétorqua l’inconnu, « Ce que je cherche n’est pas ici, pour l’instant mais ça ne saurait tarder. Je reviendrais. »
Il sortit, toujours en souriant, d’un pas lent, presque robotique. C’est le moment que choisit la jeune fille du lit opposé pour se réveiller. Elle semblait perdue, confuse et poussa un cri quand elle ouvrit les yeux. Le docteur William s’approcha d’elle comme pour la rassurer. Elle eut un mouvement de recul.
« Où suis-je ? Qui êtes-vous ? », hurla-t-elle avant d’être prise d’une violente quinte de toux qui la fit rendre l’eau du fleuve. Heureusement le médecin eut la présence d’esprit de récupérer la bassine à côté de son lit pour ne pas qu’elle salisse la literie.
« Tout va bien. », déclara William d’une voix qui se voulait apaisante, « Vous êtes à St Thomas’ Hospital, Londres, en face de Westminster, en l’an de grâce 1885. »
« 1885... », répéta la jeune fille.
Celle-ci avait de longs cheveux roux, bouclés, salis par l’eau de la Tamise. Ses yeux étaient d’un vert émeraude éclatant. Elle avait des oreilles légèrement hautes, mais qui devaient être cachées derrière sa longue chevelure la plupart du temps. Concernant le reste du corps elle avait quelques rondeurs un peu partout, enveloppées dans un drap blanc tâché de boue.
« Qu’est-ce que je fais ici ? », demanda-t-elle.
« D’après nos informations vous avez été repêchée dans la Tamise, nous n’avons constaté aucune blessure physique sur vous. »
« La Tamise... Qu’est-ce que je faisais là-bas ? »
« Nous n’en savons rien, nous n’avons pu récupérer que vos vêtements qui ne contenaient pas grand-chose à part un petit carnet, que nous n’avons pas osé ouvrir plus loin que la deuxième page. »
L’infirmière donna à la patiente le carnet. Celui-ci était marron délavé, il était sec depuis peu. Il ne devait pas faire plus de 6 pouces de hauteur. Un nom était écrit au dos mais il a été effacé par l’eau du fleuve, il était donc illisible à part le nom de famille.
« Nightingale. », lu-t-elle, « C’est mon nom... »
« Est-ce que vous avez un prénom avec ça ? », questionna le docteur.
Elle secoua négativement la tête.
« Rien ne me revient, même le Nightingale ne m'évoque rien. »
« Vous souvenez vous de quoi que ce soit ? »
Elle figea le mur pendant plusieurs longues secondes, fouillant sûrement dans les moindres recoins de sa mémoire.
« J’ai quelques vagues souvenirs. » répondit-elle, « Je me souviens de... d’un violent coup à la tête, je me souviens être tombée dans la Tamise... Je- »
Elle s’arrêta soudainement, une grimace de douleur déformait son visage.
« Ma tête, j’ai mal ! »
Elle toussa à nouveau, mais cette fois-ci elle arrosa ses draps de quelques gerbes de sang.
« Essayez de vous calmer. », fit William, « Ce n’est pas grave si tout ne vous revient pas. Nous réessaierons demain. »
Elle acquiesça sans répondre et le médecin prit congé. Il descendit à nouveau les escaliers et sortit de l’hôpital, pour se diriger vers son chez-lui, il avait hâte d’être rentré et d’oublier l’inconnu étrange.
Cependant à St Thomas la journée était loin d’être terminée. Dès que la nuit fut tombée et que les bougies étaient éteintes, la nommée Nightingale se leva de son lit et sortit de la pièce commune pour rejoindre le couloir menant aux escaliers. Elle se souvenait de plusieurs choses qu’elle avait omis volontairement de dire au docteur. Elle ne pouvait décemment pas lui dire, il ne l’aurait pas crue de toute manière. Sa tête lui faisait mal quand elle essayait de se souvenir alors elle arrêta et décida de se concentrer sur la tâche actuelle. À pas feutrés elle descendit les escaliers. L’accueil de l’hôpital était vide pour l’instant. Sans faire de bruit elle s’en rapprocha et commença à fouiller les registres. Elle repéra le numéro de sa chambre d’hôpital ainsi que le pseudonyme qu’ils le lui avaient donné : “Jane Doe”. En face il y avait un autre numéro, d’après le dossier il s’agissait d’un numéro de casier. Son expédition se poursuivit à la recherche d’un vestiaire. Elle le trouva assez rapidement puisqu’il se situait au rez-de-chaussée. C’était une assez grande pièce constituée de plusieurs rangées de rangements numérotés. Une infirmière était censée surveiller l’endroit mais celle-ci était endormie sur une chaise près de la porte, la bougie à ses pieds éteinte. Il faut dire que l’époque actuelle était légèrement éprouvante. La jeune fille loua sa bonne étoile et se mis à la recherche de son casier. Ce dernier ne contenait pas grand-chose à part une robe d’assez bonne fortune ainsi qu’un corset et un sac qui contenait quelques pièces d’or.
« Je ne sais pas à qui appartenaient ça. », murmura-t-elle, « Mais je n’ai pas le choix de les prendre. »
Dans la pénombre des rangées de rangements, elle ôta le drap qui lui servait de vêtement et enfila le corset puis la robe. Elle eut un peu de mal avec le premier et prit plusieurs minutes à l’attacher. Quand elle eut elle retourna à l’accueil pour récupérer un crayon puis, sur une feuille arrachée de son carnet, elle nota :
Cher docteur, je suis désolé de vous avoir faussé compagnie de la sorte mais j’ai besoin de réponses, aussi je suis parti de l’hôpital en quête de souvenirs. Je vous laisse quelques pièces en tant que dédommagement. Merci d’avoir pris soin de moi.
Elle plia la lettre et retourna dans la chambre. Sur ses draps, elle la posa, ainsi qu’une dizaine de pièces, après avoir refait le lit. Toujours en silence, elle descendit à nouveau les marches de l’escalier principal et sortit.
L’air de Londres était froid, surtout à cette époque de l’année, mais ça ne l’arrêtait pas. Il fallait qu’elle en apprenne plus sur le soir où elle était tombée dans le fleuve. Elle décida de retourner sur les lieux où tout avait commencé : Whitechapel.

EmilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant