Emily

Confrontation

Mon corps tombait, mon esprit tombait. Tout s’écroulait autour de moi. J’étais de retour dans l’Entremonde et j’allais à la rencontre du sol imaginaire. Je tentai de rétablir mon équilibre pour y atterrir sur mes deux pieds. Évidemment, Flora n’était nulle part. Elle avait sûrement repris le contrôle de son corps. Il fallait que je sorte de là, si elle prenait connaissance de la vérité sur son père, qui sait ce qu’il pourrait advenir d’Aimee, Maya et Eric-Gwendoline. Il fallait absolument que je trouve un moyen de sortir d’ici. Je courais le plus rapidement possible pour sortir de la forêt, sortir de l’endroit que Flora avait créé.

« FLORA ! », m’écriai-je en courant, « ÉCOUTE-MOI !! »

Je tombai sur le bord de l’Entremonde et basculai dans le néant, à nouveau. Je me retournai et vit le petit monde de Flora s’éloigner peu à peu. Cette chute sembla durer une éternité. Je ne savais pas combien de temps elle allait encore prendre. Je devais rejoindre le monde réel dès que possible. Avec un peu de chance, elle ne savait pas encore que Réminiscence fût responsable de la mort de son père.

« Plus vite… », suppliai-je, « Laisse-moi sortir. »

Je ramenai mes bras le long du corps, je fendis l’espace tel·le un faucon fondant sur sa proie. L’Entremonde derrière moi se résumait à un point au loin. Autour de moi il n’y avait qu’un vide infini et obscur. La sortie ne devait plus être très loin. Après tout, c’est de basculer au bord du monde qui m’avait permis de sortir de mon esprit, les fois précédentes du moins. Dieu sait ce qu’il se passait à l’extérieur, je devais à tout prix m’extirper de cette situation. Plus vite, plus vite…

Un horrible bruit de nuque brisée stoppa ma chute. Bien évidemment, j’étais toujours dans mon esprit, je ne pouvais donc pas mourir. Cependant, la douleur était bel et bien présente. Il y avait un sol, ou un mur, ici, au milieu du vide. Et je l’avais heurté de plein fouet. Je me relevai et laissa le temps à l’enveloppe corporelle de mon esprit de se régénérer. J’en profitai pour examiner la paroi invisible. C’était assez surréaliste. J’étais debout, encerclée par le néant, sur un sol aussi solide que de la roche. Cela dit, ce n’était pas autant bizarre que tout ce que j’avais vécu ces derniers jours. J’avais le sentiment que, sous mes pieds, se trouvait le point de passage qui pouvait me permettre de regagner mon corps ainsi que le monde extérieur. Était-ce parce que Flora avait le contrôle tout en étant éveillée ? Après tout, les dernières fois que le changement avait eu lieu, c’était parce que nous étions toutes les deux dans l’Entremonde. Le corps empêchait qu’il y ait deux consciences à diriger en même temps, c’était sûrement impossible. Le problème c’est que je n’avais aucun moyen de forcer Flora à revenir ici. À moins que… C’était mon esprit aussi, ici. Je pouvais donc le remodeler comme Flora l’avait fait. Il fallait que j’attire son attention depuis l’intérieur.

Je pouvais faire ce que je voulais… Ce que je voulais… Je fermai les yeux. Peut-être avais-je besoin de l’imaginer pour qu’il se matérialise autour de moi. Il me fallait quelque chose de gros. Quelque chose de lourd et de bruyant. Quelque chose comme…

Un énorme bruit de corne de brume retentit, même si cela ne ressemblait pas tant à ce son, celui-ci semblait bien plus aiguë et surtout plus anachronique. Je rouvris les yeux et sauta en arrière de justesse pour éviter une voiture, mais celle-ci ne semblait pas être tirée par des chevaux, de plus elle était vraiment énorme. Je me souvenais du mot qu’avait employé Faravel. Un "camion". Il devait être semblable à celui qui a détruit mon corps précédent. Il actionnait sa corne de brume à tout rompre. Un deuxième passa, manquant de m’écraser. Puis un autre et encore un autre. J’étais un milieu d’une cacophonie de klaxons sur une route futuriste. Il m’en fallait plus, bien plus. Aussitôt que je les imaginais, une dizaine de routes se matérialisèrent sous mes yeux. Je répétai le processus jusqu’à ce qu’il y ait quelques milliers de camions produisant une symphonie digne des enfers.