Chez les Lewis partie 1

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Je dois vous avouer que je ne comprenais rien. J'étais mort-e, le camion m'avait percuté-e, j'avais senti le coup, ma tête partir, mon crâne se briser sous l'impact. Je l'avais senti. Je me souvenais de l'obscurité qui m'enveloppait. Je me suis senti-e tomber dans les abysses, partir très loin. Le froid. J'ai eu tellement froid. J'ai des périodes sombres dans les coins de ma mémoire mais je me souviens d'Emily, de ma dernière journée sur Terre, de ma mort. La suite... Avant l'hôpital je n'avais rien. Quelque chose a dû se passer entre les deux mais cela relevait trop de la science-fiction pour que je m'y attarde. Ce qui comptait c'est que j'étais là, en Angleterre apparemment et au vu du style vestimentaire de chacun et du journal en ma possession, j'étais plus d'un siècle dans le passé. 1885, si j'en croyais le docteur qui était là à mon réveil. Dans un corps différent, qui plus est, car il était un peu plus en chair que le précédent, avec de la poitrine et de longs et beaux cheveux roux. Lorsque je l'ai vu pour la première fois, je suis resté-e scotché-e. J'avais hérité d'une enveloppe charnelle plus convenable que l'ancienne, comme si mes prières de changement avaient été exaucée. Ma voix était légèrement grave mais suffisamment douce. J'avais un léger problème de respiration, mais comme la médecine était moins avancée qu'à mon ancienne époque, je ne savais pas d'où ça venait. Cela faisait une semaine que j'étais chez le docteur Lewis. Je passais la plupart de mes journées avec Abigail, elle m'enseignait les rudiments de la vie d'une femme en 1885. J'ai pu constater la différence de mœurs entre mon époque originelle et celle où je vivais actuellement, mais il fallait que je me fonde dans le décor, les premiers temps je dû déjà me faire à genrer toutes mes phrases au féminin, je ne voulais pas m'attirer d'ennuis, d'autant plus que je ne savais pas si je pouvais et si j'allais retourner un jour au 21e siècle.


Cela faisait maintenant un mois que je vivais chez le docteur Lewis et Abigail, ils avaient gentiment aménagé leur grenier pour que je puisse y dormir. Je savais désormais cuisiner, faire le ménage, la lessive et m'habiller convenablement, la dernière tâche fut la plus difficile. C'était un travail qui ne m'enchantait pas forcément mais je ne voulais pas faire de vagues, qui sait ce que cela pouvait engendrer. Je passais mes journées à assister Abigail, on s'entendait plutôt bien, même si je sentais qu'il fallait tôt ou tard que je sois dans une autre maison à exécuter le même travail. C'est d'ailleurs ce que faisait monsieur Lewis, lorsqu'il ne s'occupait pas de ses patients, il m'aidait à trouver un travail, mais la peur d'un environnement inconnu m'empêchait de vouloir partir. Jusqu'à ce fameux soir.


Cette journée avait commencé comme toutes les autres journées. Je m'étais levé-e aux aurores, le grenier étant dépourvu de quelconque volets. Il y faisait froid mais lorsque j'étais sous la couverture, gracieusement prêtée par le docteur Lewis. Je me levais du matelas. C'était en réalité une pile de vêtements posés à même le sol, rembourrés avec un peu de paille. Ce n'était pas un confort de luxe mais c'était mieux que rien. Mes vêtements étaient aux mieux sur une chaise, au pire, pliés sur le sol. Le grenier n'était pas très spacieux, je n'étais pas censé-e y passer mon temps non plus. Le sol était un parquet d'un bois craquant, autrement dit je ne pouvais pas me lever la nuit sans faire du bruit. Il n'y avait aucune source de lumière autre que la fenêtre circulaire à l'opposé de l'échelle, celle-ci menant au reste de la maison. Il y avait aussi ma lanterne, qu'Abigail m'avait donné le tout premier jour. Comme chaque matin je descendis avec ma robe et mes sous-vêtements et me rendis dans la salle de bain afin d'effectuer ma toilette. Celle-ci se situait au premier étage de la maison, à savoir juste en-dessous le grenier. Elle faisait face à la chambre de monsieur et madame Lewis, dans un couloir plutôt étroit mais suffisamment grand pour qu'une personne y passe, la priorité était toujours à monsieur puis madame Lewis. Il n'y avait personne à cette heure-ci, le docteur devait s'occuper de ses patients actuellement, il quittait souvent tôt la maison. Abigail était sûrement au rez-de-chaussée à faire son point de croix, dans son fauteuil vert d'eau. J'entrais alors dans la salle de bain. Celle-ci était assez spacieuse, avec une baignoire en fer blanc du côté de la porte, un lavabo du même matériau y était juxtaposé. Juste à côté de celui-ci se trouvait un meuble en acajou, dans lequel étaient stockés les affaires de toilette et autre. Il touchait le mur d'en face de la porte qui possédait une fenêtre. Celle-ci donnait sur Regent's Park, un vaste parc situé au cœur de Londres, non loin de Baker Street (on ne comprenait pas mon enthousiasme à ce fait, peut-être était-ce parce que Sherlock Holmes n'existait pas encore). Je remplis doucement la baignoire et fit chauffer l'eau. J'ôtai mes vêtements et observais à nouveau ce corps que j'occupais depuis un mois, je détaillai chaque courbe, chaque forme. Il était tellement plus intéressant, plus graphique, plus joli que l'ancien, et si le prix à payer était de vivre dans le passé, je le prenais volontiers. Je passai la main dans mes longs cheveux couleur feu et soupirais, presque de contentement.

EmilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant