Chez les Lewis partie 2

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Abigail se dirigea vers la table et prit le lourd manuel de recettes. Elle le feuilleta pendant plusieurs secondes avant de s'arrêter sur une double page.


« Nous allons faire du poisson. », déclara-t-elle.


Je m'approchai pour voir la recette. Il s'agissait de filets de sole frits. Je repensais à la cuisine française et je dois avouer qu'elle me manquait beaucoup. Ici c'était radicalement différent, et moins digeste également, mais j'ai fini par m'y habituer, je n'avais pas vraiment le choix. En lisant la recette je me fis la réflexion que j'arrivais à la décoder parfaitement. Pourtant elle était écrite en anglais normalement, et je n'ai jamais été une flèche en cours. Est-ce que lors du transfert de corps j'ai hérité des compétences de la jeune Nightingale ? Pas forcément parce que j'avais l'impression d'être entièrement moi, tel-le que j'étais avant ma rencontre avec le camion. Ou alors comme ce corps était anglais, j'ai juste fait un changement de langue, comme sur une nouvelle télévision. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pensé à ce mot. Télévision. Qu'est-ce que c'est, d'ailleurs ? Est-ce que ça existe ? Pourquoi je connaissais ce mot ? Je sentais mes souvenirs d'avant s'éloigner comme un lointain rêve, de toute façon je ne savais pas ce que j'allais en faire. J'étais coincé-e ici pour le reste de ma vie.


Mais cela voulait dire que mes pensées également étaient en anglais. Cela voulait dire que je ne pouvais pas parler le français à nouveau. Si je sortais un "bonjour" il serait automatiquement traduit dès lors qu'il franchirait mes lèvres. Je remarquai que je m'étais laissé-e perturber par le fil de mes pensées et que, par conséquent, je n'avais pas du tout écouté ce qu'Abigail était en train de dire. Je tentais de récupérer le train en marche.


« ...chou-fleur. Ta tâche va être que tout soit prêt quand Barney et son collègue arriveront. As-tu des questions ? »


Un bon milliard en vérité, étant donné que je n'avais absolument rien suivi, mais je préférais les garder pour moi, au lieu de ça je lui demandai :


« Dois-je acheter le nécessaire ? »


Elle acquiesça.


« Tu dois réaliser ce repas de A à Z, cela inclut d'aller sur le marché, de choisir et d'acheter les ingrédients et de revenir pour les préparer. »


« Bien madame. »


Elle me tendit une feuille de papier griffonnée à l'encre.


« Je t'ai inscrit la liste des ingrédients que tu dois prendre. Si tu veux être efficace, je te conseille de revenir ici avant la fin d'après-midi. »


Je pris le papier et le plia soigneusement pour le glisser dans mon carnet.


« Merci madame. », fis-je en m'inclinant.


« C'est à toi de bien gérer ton temps. Tu peux vaquer à tes occupations comme aller directement sur le marché pour acheter les ingrédients mais le repas doit impérativement être prêt pour ce soir, d'accord ? »


Je hochai la tête sans dire un mot de plus. Je regardai l'horloge de la cuisine, il était pratiquement 10h. J'avais le temps de me balader un peu dans la ville avant d'aller acheter le nécessaire au marché. Abigail prit congé de moi après s'être assurée que tout allait bien. Je pris un panier, un double des clés de la maison et une besace, qui contenait mon carnet ainsi que l'argent pour les ingrédients et sortit.


L'air était plutôt frais, nous étions en plein mois de novembre. J'avais remarqué que j'étais arrivé-e ici au milieu d'octobre, cela coïncidait à la même date à laquelle j'avais quitté-e l'époque contemporaine, j'avais donc voyagé un nombre exact d'années sans bouger de jour ni de mois. Je m'étais emmitouflée dans un manteau et une écharpe qu'Abigail m'avait gentiment prêté. Il avait plu dernièrement, les pavés étaient légèrement glissant. En prenant mes précautions je fis ma route à travers les rues de Londres. Je contournais Regents' Park pour traverser Baker Street. Ce détour était tout à fait inutile mais il me faisait sourire, je pouvais voir cette rue avant qu'elle ne devienne internationalement connue d'ici un siècle. Je continuai à me balader, je me sentais bien finalement dans cette époque victorienne. Certes il y avait pas mal d'inconvénient, et mon apparence féminine n'était pas là pour m'aider, mais je me sentais bien mieux dans cette enveloppe charnelle qu'à mon époque contemporaine. De plus la ville avait un certain charme, mélangeant l'industriel et l'antique, les deux se mariant plutôt bien. Le développement de Londres était à une époque charnière qui allait la faire basculer dans la modernité.

EmilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant