St Thomas

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Un homme d’une quarantaine d’année sortit d’une maison au bord d’une rue pavée. La neige tombait doucement sur son manteau sombre. Il arborait une paire de lunettes noires ovales, une barbe et des cheveux légèrement grisonnants et portait à bout de bras une serviette marron légèrement usée ainsi qu’une mallette de la même couleur dans l’autre main. Il était évident que c’était un médecin, visible également à sa blouse qui recouvrait son ventre légèrement rond. Il monta à bord d’un omnibus, un air préoccupé sur son visage, en direction de St Thomas. Il s’occupait toujours des malades du choléra, bien que la dernière pandémie ne date de 1875. Il officiait depuis la catastrophe de 1866, quand l’East End a été ravagé par la maladie et depuis il s’occupait des survivants. Il n’aimait pas trop Whitechapel mais il avait été assigné là-bas donc il n’avait pas trop le choix. Le véhicule qui le transportait le ramenait tout droit au St Thomas’ Hospital, là où ses autres patients originaires de son lieu d’affectation l’attendaient.

« William ! », entendit-il en sortant de l’omnibus.

Il se tourna vers la voix, puisque c’était son nom.
Un autre homme, un peu plus vieux, vêtu d’une blouse blanche s’approcha de lui. Il avait une calvitie légèrement prononcée, des cheveux noir corbeau, des yeux gris et une barbe de trois jours.

« Bonjour Wilfred », fit l’homme qui se prénommait vraisemblablement William, « Que me vaut l’honneur de cette rencontre ? »
« Je te cherchais, on a recueilli une dizaine de patients inconscient dans ta zone d’assignation, six d’entre eux n’ont pas survécu, mais les quatre autres oui. »
« A-t-on des infos sur les survivants ? »
« Deux hommes, deux femmes, la vingtaine, deux atteints de choléra et deux autres dont personne ne sait. »

William ouvrit la marche en direction de l’hôpital, suivi par son collègue.
St Thomas’ Hospital était l’un des plus grands et l’un des plus vieux hôpitaux de tout le Royaume-Uni avec ses 600 places. Il bordait la Tamise pour un peu plus de 600 pieds de longueur (un peu plus de 180 mètres pour les profanes utilisateurs du système métrique) et était flambant neuf depuis son ouverture en 1871 par la reine Victoria, bien que le nom de St Thomas’ Hospital soit bien plus ancien. En effet, l’institution datait environ du XI ou XIIe siècle, mais celui qui se dressait devant William était la nouvelle version, conçue pour durer. William entra dans le bâtiment principal, celui près du pont. L’hôpital continuait sur la droite pour les services spécialisés mais il était bien plus souvent dans ce bâtiment. C’était un édifice imposant de plusieurs étages, bien droit sous toutes formes, comme si le Ciel avait produit un cube de béton, l’avait posé en plein Londres et que ce cube avait été aménagé par l’Homme. Chaque étage était pourvu de fenêtres, menant sur quatre coins différents de Londres, le plus prisé étant la Tamise qui offrait une vue imprenable sur la somptueuse abbaye de Westminster, mythique lieu de couronnement de la reine Victoria et de ses prédécesseur-euses. En Nord, les patients pouvaient les différents quais industriels de la ville, avec les entreprises de légumes, fruits, viandes et autres aliments mis en conserve, avec du vinaigre pour mieux les conserver. Cela se voyait au paysage que la seconde révolution industrielle battait son plein. En Est, on voyait surtout des quartiers se profiler au loin, maisons des différents ouvriers. Enfin, en Sud, les autres édifices du St Thomas’ Hospital s’étalaient le long des berges du fleuve londonien. William préférait tout de même la vue de Westminster, comme tous les autres patients. Pourtant il lui tournait le dos alors qu’il salua la réceptionniste.

« Bonjour Dr William. »
« Bonjour Margaret, j’ai entendu dire qu’il y aurait du nouveau pour moi ? »
« Tout à fait, voici les informations recueillies sur les différents patients. »
Elle lui tendit une maigre pile de dossiers, cinq pour être exact, contenant chacun une à deux feuilles.
« Cinq ? Pourtant le Dr Wilfred m’a dit que seulement quatre patients étaient arrivés. »
« Le cinquième ne fait pas partie de votre secteur mais a absolument voulu vous avoir en tant que soignant, je n’y suis pour rien. »
« Très bien, merci Margaret. »

Il inclina la tête puis pris congé en se dirigeant vers les escaliers. Il parcouru les dossiers tout en gravissant les marches. Le premier concernait un certain Andrew Partridge, atteint de choléra, habitant à Whitechapel mais ouvrier dans l’usine de conserverie à côté de St Thomas. Il n’y avait pas grand-chose pour lui, à part qu’il avait une condition de vie assez misérable et qu’il était susceptible d’y passer. Le second dossier parlait d’une Ethel Griffiths, elle aussi touchée par la maladie. Fille de joie à Whitechapel, elle aurait été contaminée par l’un de ses clients. Il n’y avait pas grand-chose non plus sur elle, à part qu’elle avait deux enfants de deux pères différents, ils étaient apparemment gardés par la tenancière du bordel d’où Ethel officiait. Elle avait tout de même plus de chance de survie que le pauvre Andrew. Le troisième carton était sur un individu nommé Richard Wiggins, il y avait légèrement plus d’informations sur celui-ci. Ce n’était pas sa première visite à St Thomas puisqu’il y avait été quand son père avait tenté de le tuer. Puis un jour il a disparu de son lit, on a cru à sa mort et pourtant il était à nouveau-là. D’après ses renseignements, il était à la rue dans Whitechapel et s’était fait poignarder par on ne sait qui, fort heureusement ses jours ne semblaient pas être en danger. Enfin les deux derniers dossiers étaient vides et ne contenaient que des pseudonymes : Jane et John Doe. L'un des deux devait être l’homme qui a voulu expressément rencontrer William, quant à l’autre... William décida d’aller d’abord au chevet d’Andrew, comme c’était le patient à traiter d’urgence. Malheureusement il arriva trop tard et le pauvre homme s’était complètement déshydraté. Après avoir fait mander un prêtre pour les derniers sacrements, il se rendit vers le lit d’Ethel. La jeune femme avait vomi plusieurs fois avant d’arriver et à nouveau devant William, mais à part ça elle semblait tenir. Malheureusement l’absence d’hygiène du milieu dans lequel elle vivait aura sûrement raison d’elle d’ici quelques mois. William tenta de garder un sourire de façade, rassurant, comme avec chaque patient, tout en gardant ce qu’il savait au fond de lui. Il chargea ensuite une infirmière d’enrouler l’homme poignardé, Richard, dans une bande de tissu, après s’être assuré que la plaie n’était pas trop profonde. Il allait s’en sortir mais devait attendre de s’être complètement remis avant de quitter l’hôpital. Enfin, le docteur termina la visite de ses patients par les deux inconnus. La nommée par défaut Jane Doe semblait inconsciente. On l’avait repêchée dans la Tamise, encore vivante mais faiblement. Personne ne sait ce qu’elle y faisait, ni comment elle y était tombée. Elle n’avait aucune trace de coups sur le corps que ce soit par arme blanche ou poings. Elle n’avait absolument rien sur elle, si ce n’est une sorte de drap blanc épais qui entourait son corps, comme une sorte de vêtement. Le cas de John était différent, il était éveillé, n’avait pas passé de séjour dans la Tamise et semblait en parfaite santé. Il arborait un sourire qui se voulait bienveillant mais il était froid, comme si l’homme devant William n’était qu’une coquille vide, il ne savait pas comment l’expliquer mais, il avait une sensation très désagréable en le voyant. L’homme ne disait rien mais il le suivait du regard. Ses lèvres étaient légèrement entrouvertes, il respirait faiblement.

« Vous vouliez me voir ? », demanda le docteur au patient inconnu.
Celui-ci ne répondit pas mais son sourire s’élargit.
« Vous vouliez me voir ? », répéta-t-il.
Aucune réponse à nouveau.

William abandonna et sortit de la pièce. Il avait l’habitude d’avoir des patients sortant de l’ordinaire, mais c’est la première fois qu’il était aussi dérangé devant l’un d’entre eux. Il descendit les escaliers, le visage préoccupé. Il se tenta de se détendre en pensant à son épouse, Mary, et ses enfants, Eric et Gretchen, l’attendant à la maison, et cela fonctionnait. Il se voyait d’ores et déjà entrer dans leur modeste maison du centre de Londres, saluant Aimee, sa domestique, puis Herschel, le majordome. Puis il irait embrasser sa femme, sûrement en train de lire un livre près de la petite cheminée de leur salon, dans son fauteuil favori, et il entendrait les enfants descendre quatre à quatre les marches menant vers leurs chambres, sûrement poursuivis par la gouvernante, leur hurlant de ne pas courir dans la maison. Ensuite il attendrait le merveilleux dîner préparé par Herschel lui-même et irait dormir. Et la journée recommencerait, comme à son habitude. C’était un train de vie qu’il affectionnait, il n’était pas touché par la triste monotonie et il en était soulagé. Grâce à ces pensées, il avait oublié le patient étrange en arrivant sur le pas de la porte. C’était toute fois sans compter sur une infirmière dévalant l’escalier à toute vitesse.

« Dr William ! Dr William ! Attendez ! »
Il se retourna vers la voix qui l’interpelait.
« Qui y a-t-il ? »
« C’est votre patient, John Doe. Il vous a demandé. »
« Vous voulez dire qu’il a parlé ? »
L’infirmière acquiesça.
« Et il aussi ajouté : où est Emily. »

EmilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant