Chapitre 18 - Où il l'embrasse sous la pluie ✓

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La pluie tombe drue depuis une heure et les ruisseaux urbains qui ont commencés à se former dans les caniveaux, sur les routes et parkings, filent droit vers les égouts de la ville, emportant eau bouillonnante, mégots détrempés et feuilles mortes sans distinction.

Debout sous l'abri-bus faisant face à la prison, Elijah piétine, éclaboussant ainsi les revers de son jean anciennement gris, mais assombri par l'averse. Il aurait pu rester au chaud, et surtout au sec, dans la voiture, mais il a craint de rater Jared, de le laisser penser que personne ne l'attendait.

— Qu'est-ce qu'ils foutent ? bougonne-t-il pour lui-même en vérifiant l'heure sur son téléphone pour la sixième fois en moins de cinq minutes.

La libération des prisonniers est prévue à 7 h du matin tous les jours sauf le dimanche. En tout cas, les jours où une libération est prévue. Car loin de compter autant de détenus que les plus grosses prisons du pays, celle de Pikecove ne peut s'enorgueillir d'en faire sortir tous les jours. Pas plus qu'elle n'en fait entrer, d'ailleurs.

Seulement, là, il est 7 h 05, on est jeudi et la porte reste aussi close qu'elle l'était à 6 h 50, 6 h 40 ou même 6 h 30. Car oui, Elijah attend maintenant depuis pas loin de quarante minutes sous l'abri à moitié défoncé où s'engouffrent les bourrasques mouillées de cette matinée automnale. Impatient, inquiet et aussi un peu excité.

Soudain, un bruit métallique et bref interrompt la mélodie aussi monotone qu'assommante de la pluie s'écrasant sur le toit de plastique. Quelques secondes plus tard, le bruit se fait à nouveau entendre, claquement d'une porte de geôle moyenâgeuse, et une silhouette apparaît de l'autre côté de la route.

Juste vêtu d'un pantalon de toile, de vielles tennis et d'un t-shirt à la teinte douteuse, cette même tenue qu'il portait le jour de son arrestation un mois et demi plus tôt, Jared s'avance, hagard, sous les trombes d'eau qui s'abattent sur le monde.

Alors qu'il s'élance dans sa direction, traversant la route déserte sans un regard ni à droite, ni à gauche, Elijah remarque les joues creusées de son ami, sa taille affinée et son pantalon désormais trop lâche qu'il porte plus bas sur les hanches qu'à l'ordinaire. Il est furieux contre lui-même de ne pas l'avoir remarqué plus tôt alors que son ami apparaissait en salle de visites dans son uniforme pénitentiaire.

Le regard encore un peu hébété, Jared voit un homme surgir du rideau de pluie qui lui cache la vue morne et grise du parking bétonné.
Se rendant compte que l'individu, bien que pratiquement arrivé à son niveau, ne ralentit pas l'allure et ne va pas tarder à le percuter, il fait la seule chose qui lui semble censée. Il ouvre les bras.
Car il a reconnu celui qui court vers lui.

Il ouvre les bras et Elijah s'y engouffre, le faisant vaciller sous l'impact avant de refermer les siens dans son dos.

Dehors.
Jed est dehors.
Il peut le toucher.
Enfouir son visage dans le creux de son épaule.
Serrer les bras si fort autour de lui que ça en devient douloureux.

Pressant fortement le corps de Jared contre le sien, Elijah plonge le nez dans son cou, le serre plus fort encore, inspire à pleins poumons cette odeur qui lui a tant manqué.

Mais il ne la reconnaît pas immédiatement, camouflée par celles du savon générique avec lequel il s'est lavé le soir précédant, de la lessive agressive utilisée pour nettoyer les uniformes, mais aussi de la testostérone, la sueur et le foutre qui composent les notes de tête, de fond et de cœur, pour peu qu'il en reste encore un peu dans un établissement tel que celui-ci, du parfum qu'exhalent tous les hommes détenus entre ces quatre murs.

— Jed ! Bordel de merde. On l'a arrêté, ce con. On l'a arrêté.

Incapable de le lâcher, de peur de le perdre à nouveau, dans l'espoir insensé et non formulé de faire disparaître toutes ces odeurs inconnues sur sa peau pour les remplacer par la sienne, par les leurs, mélangées, Elijah s'agrippe à ses épaules en lui résumant les événements de la nuit passée ayant menés à la capture et à l'emprisonnement du meurtrier de Victoria.

Degenerate Kings - Le vampire de TregartaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant