Où elle console la fille en pleurs ✓

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La nuit s'étire à la vitesse d'un escargot arthritique lancé sur une piste de gravillons et les deux policiers voient défiler dans la loge la totalité du staff.
Des roadies aux amis et partenaires en passant par les employés chargés de scanner les billets à l'entrée, tous les individus présents ce soir se voient questionnés sur les relations qu'ils entretenaient avec la victime.

Deux descriptions s'affrontent parmi celles et ceux qui ont croisé le chemin de la jeune femme. D'un côté une fille souriante et franche, qui aimait être le centre de l'attention, mais non dépourvue d'humour. De l'autre, une harceleuse prête à tout pour mettre les hommes qu'elle désirait dans son lit, avec option chantage pour les plus influents d'entre eux.

Après pas loin de sept heures passées enfermés dans une pièce minuscule à enchaîner les dizaines de témoignages de personnes tantôt énervées d'avoir dû attendre aussi longtemps, tantôt inquiètes quant à la suite des événements, Shiloh et Dustin se sont un peu rapprochés. Eux, qui s'étaient jusque-là montrés plutôt distants l'un envers l'autre, semblent avoir développé une certaine forme de complicité.

En rentrant dans la pièce après avoir été leur chercher deux cafés, Shiloh trouve son coéquipier à moitié affalé sur la table. La tête reposant sur son bras gauche, les yeux fermés, il ne réagit même pas quand elle referme la porte.
— Le légiste a terminé, j'ai autorisé son équipe à emporter le corps.
Aucune réaction. Shiloh pose les cafés sur la table avec un peu plus de vigueur que nécessaire, ce qui est accueilli par un grognement.
— Il n'en reste que trois, on pourra bientôt aller se coucher, ajoute-t-elle en faisant glisser vers lui la feuille sur laquelle sont listées les personnes présentes au moment de la découverte du corps.

Se redressant, Dustin s'en saisit et y jette un œil.
— Pourquoi le manager passe-t-il si tard ?
— Il me plaît pas. Trop arrogant.
— T'es dure. Il va être d'une humeur massacrante. Même s'il a vu ou entendu quelque chose on n'obtiendra rien de lui.
Shiloh se laisse tomber dans le second fauteuil de leur côté de la table.
— Alors on le fera venir au poste pour répéter. C'est lui que ça fera le plus chier, pas moi.

À ce moment, on frappe à la porte et une jeune femme blonde à l'air intimidé et aux yeux rougis entre dans la pièce.
Intéressant, pense Shiloh, qui n'a encore reçu aucun témoin semblant réellement attristé par la disparition.
— Siana Hamilton ?
La fille approuve d'un mouvement de la tête.
— Asseyez-vous.

Tous trois sont épuisés et Shiloh, ne souhaitant pas prolonger l'entretien plus que nécessaire, attaque aussitôt.
— Quand vous rappelez-vous avoir vu Miss Evans pour la dernière fois ?
— Je dirais cinq minutes avant que le concert commence.
Bon, sauf si elle est la dernière personne à avoir vu la victime en vie. Shit ! Pourquoi cette fille ne passe-t-elle que maintenant ?
— Que faisait-elle ?
Siana hésite et Dustin, qui souhaite en finir au plus vite, appuie ses coudes sur la table.
— Dites nous ce que vous savez, Miss. Toute information gardée secrète pourra être considérée comme une obstruction à l'enquête.

La fille se mordille la lèvre inférieure, apparemment en proie à un dilemme interne. Elle cherche de l'aide du côté de Shiloh qui l'incite à continuer d'un mouvement du menton et d'un sourire.
— Elle... Quand je l'ai vue, elle se disputait avec Nora.
— À quel sujet ?
— Je l'ignore.
— Où était-ce ?
La fille grimace et Shiloh comprend avant même qu'elle ait ouvert la bouche.
— Dans la réserve, derrière la scène.

— Racontez nous exactement ce que vous avez vu, demande Dustin.
— Je venais ranger du matériel dont on n'aurait pas besoin avant la fin du concert, des caisses, ce genre de trucs. Quand j'ai ouvert la porte, j'ai entendu deux personnes se disputer. Je n'ai pas compris la raison de leur dispute, il y avait déjà beaucoup de bruit dans la salle et il montait jusque-là. J'hésitais à entrer, mais Mr Barlow est passé derrière moi et m'a dit de me dépêcher, alors je suis entrée. Là, j'ai trouvé Nora et Victoria face à face. Quand elle m'a vue, Nora a reculé et lui a dit « Tes jours sont comptés parmi nous » et elle est sortie par la seconde porte. J'ai demandé à Victoria si tout allait bien et elle a rit en répondant qu'elle était la plus sexy et que Nora le vivait mal.

— Vous étiez amie avec Victoria ? s'enquiert Shiloh.
La fille fait oui de la tête, mais ne dit rien, ses yeux s'emplissant à nouveau de larmes qu'elle tente en vain de contenir.
— Que s'est-il passé ensuite, Siana ?
La technicienne prend trois grandes inspirations, essuie une traînée humide sur sa joue et continue son récit.
— J'ai dit à Vic que le concert était sur le point de commencer, elle m'a éloignée des caisses et m'a dit d'y aller, qu'elle allait ranger et arriver. Je devais encore vérifier certains câblages alors j'ai obéi. Je ne pouvais pas deviner... Deux grosses larmes perlent à nouveau aux coins de ses yeux, Shiloh lui prend la main au-dessus de la table.
— Non, vous ne le pouviez pas. Vous n'êtes pas responsable. Rien ne dit qu'elle serait encore en vie si vous étiez restée. Peut-être même que vous seriez mortes toutes les deux. Vous n'avez aucune raison de vous en vouloir.

Shiloh console la jeune femme comme elle peut puis elle la laisse aux mains d'un de ses collègues.
Plus que deux se répète-t-elle en fermant la porte. Mais plus important, larmes de crocodile ou pas ?

La suivante n'est autre que la photographe aux cheveux bleus. Elle est épuisée, n'a rien vu, rien entendu, mais les quelque 6000 clichés sur son appareil ne seront peut-être pas tout à fait du même avis.
Shiloh réquisitionne les cartes mémoires le temps d'en faire des copies et invite la femme à venir les récupérer deux jours plus tard au poste de police.
Encore une fois, elle est partagée entre deux sentiments contradictoires. D'un coté la lassitude de devoir passer en revue des milliers de photos à la recherche d'un détail dont elle ignore encore tout, et de l'autre, l'excitation de pouvoir passer en revue des milliers de photos des Kings prises par une photographe suffisamment douée pour avoir été autorisée à entrer en coulisses.

Alors qu'elle abandonne la photographe aux mains d'un agent chargé de la raccompagner dehors Shiloh passe devant la porte ouverte de la loge des DK où un seul homme se trouve encore. Assis à la table, son ordinateur portable allumé devant lui, il rédige un texte d'un air furieux. Sans entrer, elle frappe deux coups à la porte.
— Mr Barlow, c'est à vous.


***

Edit de réécriture du 19 août 2021 : Ce chapitre a été amputé d'une grosse partie de ses dialogues. C'est la première fois depuis que je réécris cette histoire que je supprime autant de texte en une fois, mais je crois que c'est pour le mieux.
Des bisous

Degenerate Kings - Le vampire de TregartaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant