LA BOXEUSE SM

Chapitre 23

Au détour du chemin, en dépassant quelques arbres, le silence et la nuit remplacent subitement celui des bruits et des illuminations de la soirée. L'air y est même plus calme et doux. Tout mon être s'imprègne de cette quiétude.

Nous nous arrêtons en bordure du lac donnant sur la propriété, juste devant un ponton s'avançant dans l'eau. Seul le reflet de la lune à la surface de l'eau et les lampions disposés le long de cette plateforme en bois apportent une lumière diffuse.

A ce ponton, je peux voir deux bateaux arrimés de part et d'autre ; un imposant voilier d'une quinzaine de mètres et une vedette hors-bord de moindre taille. Le léger clapotis contre leur coque ne perturbe pas leur immobilisme.

- Bien joli endroit, n'est-il pas ?

- Et bien calme, Jim. Pourquoi m'y avoir amené ? Ne risquez-vous pas de manquer à vos invités ?

Nous sommes seuls, enfin seuls. C'est le moment que j'attendais tant, depuis si longtemps. Mais mes pulsions meurtrières semblent s'être volatilisées avec la sérénité du lieu.

Je me mords la lèvre de dépit, soudainement abandonnée par ma volonté. Sa présence à mes côtés perturbe mes sens et ma raison, en est-ce l'explication ?

- Ils savent bien s'amuser sans moi. Et puis, quoi de mieux que de passer un moment seul à seul pour mieux vous connaitre, répond-t-il.

- Et pourquoi souhaitez-vous tant me connaitre ?

- Vous m'intriguez beaucoup, Nayda.

- Vraiment ? Qu'est ce qui vous intrigue chez moi ?

- Je ne saurais vous le dire exactement. Disons que c'est quelque chose que je ressens plus que quelque chose de bien réfléchie.

- Et que ressentez-vous ? demandé-je en plongeant mes yeux dans les siens. La pénombre nocturne occulte les traits de son visage mais pas l'éclat de ses yeux, dont les reflets dorés me font penser à ceux d'un fauve.

Mais je ne perçois aucune férocité, ni danger et encore moins de peur chez moi.

En revanche, j'éprouve une attirance ambiguë et pulsionnelle, avec l'envie de m'approcher, de le toucher.

Il se tait et notre silence aurait pu être incommodant au point d'être embarrassant mais ce n'est aucunement le cas. Nous prolongeons ce moment d'échange silencieux et uniquement visuel, comme si nos iris étaient le seul média de notre communication. Moment A la fois frustrant et délicieux entre deux fauves, mâle et femelle, s'observant, se jaugeant dans le crépuscule.

Je ne sais si cet instant à durer quelques secondes ou plusieurs minutes mais il cesse lorsque le crissement de pas approchant sur le gravier de l'allée se fait entendre.

Lorsque je me retourne pour voir qui sont ces intrus, je perçois deux silhouettes aux formes féminines et familières.

- Vous voilà, très chères. Approchez, vous êtes les bienvenues.

- C'est un plaisir de savoir que nous ne vous dérangeons pas, Jim.

Les lumières du ponton éclairent leurs visages masqués

- Vous connaissez sûrement cette charmante personne ?

- Oui. Bonsoir Nayda, dit la plus grande des deux.

Le ton de sa voix me renvoie à hier soir, sur le ring central du gymnase de Tony.

- Bonsoir Ingrid, bonsoir Nina dis-je en hochant la tête pour les saluer.

Jim aborde les deux jeunes femmes et dépose un léger baiser sur les lèvres à chacune d'entre-elles.

Le geste était si naturel et complice qu'il en écartait toute gêne.

- Nous étions en train de converser sur la personnalité troublante de notre invitée et je vois, Nina, que tu as aussi échangé avec Nayda et pas seulement des mots. dit-il en effleurant délicatement la lèvre enflée de Nina. Cette dernière incline la tête pour accompagner sa main, pour en persévérer la caresse comme le ferait une chatte ronronnant avec son maitre.

« Mais je pense que certaines marques sont bien plus profondes » ajoute-t-il en se tournant vers moi.

Ses yeux plongés dans les miens m'hypnotisent et me laisse sans réaction, tel un lapin sur lequel fonce le faucon.

- Cela est bien possible, murmuré-je en revoyant les images horribles de l'assassinat de mes parents.

Je refuse d'être sa chose qu'il peut manipuler par son attitude et ses paroles investigatrices.

« Qui n'a pas connu de douleurs ? N'en n'avez-vous pas vous-même éprouvé ? Ou arrivez-vous à vivre sans qu'elles vous marquent ? contrattaqué-je

- C'est vrai que la vie n'est pas toujours tendre. Mais il serait injuste et abusif de m'en plaindre, si je devais la comparer à celles de bien d'autres personnes.

- En effet, votre train de vie est plutôt envieux.

- L'argent serait-il votre motivation ?

- Pour ce qui est de manger et d'avoir un toit, je dis oui.

- Seulement ? Vos combats vous permettent de gagner bien plus. Et plus que pour satisfaire seulement ces besoins ?

- Seriez-vous du Fisc, Jim ? réponds-je en souriant.

- Hahaha...De ce côté-là, vous ne craigniez rien. Je comprends que mes questions sont quelque peu inquisitrices. Mais vous êtes une énigme et je suis d'une curiosité maladive.

- Dans ce cas, je vais me montrer cruelle envers vous en ne répondant pas à vos questions.

- N'y a-t-il pas moyen d'en savoir plus sur vous ?

- Peut-être, mais c'est à vous de chercher comment. Surprenez-moi, rétorqué-je.

Les yeux bleus aux éclats d'or de Jim Shelby fixent les miens pour tenter d'y déceler les éventuels pièges de ma provocation, jeu du chat et de la souris sans savoir qui servira de plat à l'autre.

- J'accepte volontiers le challenge ! s'exclame-t-il en riant. « Mais, si cela ne vous dérange pas, je vais me faire aider de mes deux amies, ici présentes ».

- Le jeu en sera plus plaisant, ajouté-je.

- Ingrid, Léa, accompagnez notre amie dans la loge rouge.

- Vous n'oubliez pas la fête et vos invités ? objecté-je

- Vous avez entièrement raison, vous souhaitez sans doute en profitez et faire de nouvelles connaissances ? me demande-t-il

- Cela serait-il plus intéressant que la loge rouge ? interrogé-je

- Qu'en pensez-vous mesdemoiselles ? dit-il en se tournant vers Ingrid et Nina.

Ces dernières s'approchent de moi et se placent à mes côtés. Leurs mains gantées de noir enserrent les miennes. L'une est autorité, l'autre est douceur ; Ingrid penche son visage et me murmure d'une voix ferme :

- Viens avec nous.

Nina me sourit.

Et lorsqu'elles, à l'unisson, me tirent les bras, je ne résiste pas.