Chapitre 20

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Le portable vibre sur le meuble de la salle de bain, au moment où je me concentre pour l'appliquer les traits du eye-liner.

Pas de numéro, mais le mot « inconnu » qui s'affiche. Je prends l'appel, cela doit être le chauffeur. Cela me stresse de me savoir en retard.

- Hello

- Mademoiselle Naciri ? s'enquiert la voix grave d'un homme.

- Oui, c'est bien moi.

- C'est Zack Carter, votre chauffeur. C'est pour vous signaler que je suis devant la porte de votre maison.

- Désolée, vous pouvez me laisser encore cinq minutes ? Lui demandé-je en espérant qu'il sache que cinq minutes en veulent bien dire au moins dix ou quinze de plus.

- Pas de souci, mademoiselle Naciri.

- Merci à vous. A tout de suite.

- Entendu. Je vous attends.

La boule qui logeait, depuis ce matin, dans l'estomac vient de doubler de volume.

Il faut que je me convainque que c'est juste ma tête qui la créée. Elle n'a pas d'existence en dehors ; l'image que me renvoie le miroir, est bien celle d'un ventre plat et musclé par de longues séances d'abdominaux. Je ne vois pas cette protubérance d'anxiété qui me tenaille.

"L'esprit dirige le corps" me disait Tante Jenny.

Le fond teint que j'ai mis est efficace. Il dissimule les marques résiduelles des bleus pris la semaine dernière. Seule, ma lèvre légèrement enflée témoigne encore du traitement infligé par les poings de Nina.

Méfiante sur mon état d'angoisse, je préfère m'assoir et m'accouder sur le meuble de la vasque pour parfaire l'opération du eye-liner. Pour y réussir, je me récite les conseils de Léa, bien plus experte que moi sur la question.

Je relie ensuite les légers pointillés au ras des cils pour le tracé. Puis un moment d'attente pour qu'il soit bien sec avant d'ouvrir grand les yeux ; impeccable ! Merci Léa !

Juste une question d'entrainement, pensé-je, tendant à minimiser ma performance. Il me reste plus qu'à passer au recourbe-cil et mascara , en prenant soin d'opter pour une couleur en accord avec la couleur de l'eye-liner.

J'enfile mes sandales à talons hauts achetés à EastChase et fixe la bride au niveau de la cheville.

Je jette un œil à la glace. Et après un dernier geste rituel sur mes cheveux tirés en arrière et une dernière touche avec le rouge à lèvres pour compléter le tout ; je me sens prête, ou plutôt "enfin prête " corrigerait mon patient chauffeur.

Quand je descends l'escalier, je retrouve Léa au bas devant l'entrée, la porte est ouverte.

Une impression de déjà vu me revient brusquement ; le souvenir de mon premier bal de Lycée.

Sauf que ce jour-là, ce n'était pas ma mère qui était sur le pas de la porte mais une tante de mon père ; Jenny.

Déjà âgée quand j'avais pas encore dix ; son visage est resté le même que celui de mon souvenir. Comme si le le temps avait figé de façon immuable ces rides et son sourire de vieille dame aimable.

Seule parente proche habitant sur Montgomery, l'assistance me confia à elle à la mort de mes parents. Et elle assura ce rôle avec beaucoup d'affection comme si nous étions mère-fille ou plutôt grand-mère – fille. Bien que, célibataire, elle n'eut jamais connu l'expérience d'être maman.

Elle prit toujours soin de moi en me régalant de ses plats qu'elle passait des heures à préparer dans la cuisine.

Injuste envers elle au début de notre coexistence, je me montrais rebelle, voire quelquefois insolente, surtout quand le chagrin se montrait trop vivace et me submergeait.

Mais de son côté, patiente, elle n'eut pas un mot plus haut que l'autre et elle se montra toujours affectueuse avec moi.

Je lui dois beaucoup et les rares visites que je lui fais, depuis que j'ai quitté sa demeure, sont bien peu de choses en comparaison de tout ce qu'elle m'a donné et offert. C'est encore cette tante qui m'avait inscrite aux cours de boxe chez Tony, dont le gymnase se trouvait à deux pas de la maison.

Elle, qui me paraissait si conservatrice avec ses principes et sa rigueur, n'hésitait pas à sortir des sentiers battus du "quand-dira-t-on" sur bien d'autres aspects. Elle ne cessait de me répéter qu'une femme doit apprendre à être indépendante et être prête à se battre . Et quoi de mieux que se retrouver la seule fille parmi tous les autres boxeurs ; j'ai appris à taper plus fort et aussi à savoir encaisser les coups.

Et quand je revenais à la maison avec un œil au beurre noir et des ecchymoses, son autre adage qu'elle empruntait, d'après elle, à un philosophe allemand ; "Ce qui ne tue pas, te rend plus forte".

La discipline et la maitrise de mon énergie débordante, qu'elle avait bien du mal à m'inculquer avec ses maximes, ce fut finalement la boxe et Tony Hernandez qui le firent. Ou du moins, pour Tony, il ne le réussit que dans un premier temps. 

La réprobation, que je lis sur son visage pour mes combats clandestins, ne changera en rien mon désir de vengeance.

Je pense que tante Jenny l'avait bien compris. Elle ne chercha jamais à me dissuader de poursuivre cette route. Je m'amuse à penser qu'elle m'a laissé faire ce choix après une lecture d'une sentence philosophique écrite sur un bout de papier trouvé dans un biscuit chinois, ou sur un forum dédié à Maitre Yoda.

Aujourd'hui, au bas des marches, c'est ma princesse Léia ou plutôt Léa que je retrouve. Elle, ses seules rides sont celles qui se dessinent au-dessus de son nez qu'elle retrousse dans ses moments d'intenses concentrations ou quand les soucis l'habitent. 

Mais là, j'observe la stupéfaction au travers d'yeux grands ouverts et la bouche entrouverte.

J'esquisse un sourire de satisfaction de l'effet produit.

- Ma robe te plait-elle ? demandé-je ingénument.

- Si c'était juste la robe. Tu es vraiment superbe ! s'écrie-t-elle avant d'ajouter avec un ton déçu : « Il y en a qui auront de la chance se soir ».

Sa main posée sur la hanche remonte le long de ma robe moulante noire pour glisser ensuite sur mon épaule nue.

Je frissonne à ce contact sensuel.

- Ils ne feront que de me voir. Cette nuit, je serai entièrement à toi, promis-je.

- J'en suis impatiente.

Nos bouches s'effleurent. Mais alors que je veux chercher le gout de sa langue, elle se recule.

Surprise, je l'interroge du regard. Elle pose délicatement l'index sur les lèvres pour me faire taire.

- J'ai trop envie de toi et je ne résisterais pas à te retenir, murmure-t-elle. « Et puis, cela fait bien un bon quart d'heure que ton carrosse t'attend », ajout-elle plus légèrement.

En regardant au-dessus de son épaule, je vois une immense limousine avec un homme, large d'épaules, en costume sombre à côté.

Quand mes yeux retrouvent le visage de mon amie, je distingue ses rides si significatives d'inquiétudes qui se dessinent en surplomb de l'appendice nasale.

- Tu as raison, ne faisons pas trop attendre, rétorqué-je après un bref moment d'hésitation.

- N'oublie pas ça, dit-elle en me tendant le masque et le collier de cuir ; les fameux cadeaux spéciaux joints avec l'invitation à la soirée de Jim Shelby.

Nos mains se touchent dans un frôlement, comme un aurevoir muet.

Je me dirige vers l'arrière du véhicule sans me retourner.

C'est une fois assise à l'intérieur, sûre d'être trop loin pour qu'elle remarque mes yeux humides, que je me retourne vers elle pour la saluer de la main avant que la portière ne se referme.  

LA BOXEUSE SMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant