Après à peine une semaine de cours, la jeune fille était extenuée. Le soir même était prévue la soirée d'Audrey, et elle devait terminer rapidement ses leçons pour trouver une nouvelle manière de s'enfuir discrètement de chez elle. Elle ne savait pas vraiment comment cacher sa disparition, mais son sac pour le soir était fin prêt. Talons hauts, robe courte en velours rouge foncée, lisseur, fer à boucler, maquillage... Lilah devrait se retenir de trop boire ou de fumer, ou sa mère se rendrait compte de la supercherie.
Avant de réfléchir sérieusement à sa stratégie, la jeune fille devait se pencher sur ses devoirs de français et d'anglais. Et, très honnêtement, elle en chiait. Elle passait tant de temps au studio, ou à s'étirer dans sa chambre pendant l'été qu'elle n'avait pas pensé à réviser ses cours, aussi se retrouvait-elle perdue au lycée dès la première semaine. En lisant l'énoncé de la rédaction de français qu'elle devait écrire, elle souffla.
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Vers vingt-deux heures, Lilah entendit sa mère monter se coucher, et son père ne serait pas de retour avant le lendemain midi – ses réunions s'étaient éternisaient tous les soirs, et comme l'ardu de travail qu'il était, il ne pouvait pas rentrer chez lui sans avoir tout fini. Elle attendit encore quelques minutes emmitouflée dans ses couvertures, en attendant que sa mère vienne vérifier qu'elle soit bien dans son lit, en train de s'endormir. Elle entendit sa porte s'entrouvrir lentement, sentit un rai de lumière frapper l'arrière de sa tête, et relâcha son souffle lorsque la porte se referma. Elle attendit une dernière fois d'être sûre que sa mère était bien dans sa chambre, en regardant l'écran plat installé au-dessus du lit parental. La jeune fille s'entendit respirer, et elle avait l'impression que ce bruit réveillerait tout son voisinage. Elle enfila rapidement un jogging et un sweat à capuche, ses baskets, attrapa son sac, et sortit par la fenêtre. Dans l'après-midi, sous prétexte de travailler son cardio pour sa variation, elle avait légèrement déplacé son trampoline pour qu'il soit bien en dessous de sa chambre. Ainsi, même si elle n'était pas vraiment loin du sol, au cas où elle devrait lâcher son rebord, elle ne se blesserait pas. La jeune fille empoigna son sac à dos, s'assit sur le rebord de sa fenêtre et souffla. C'était le moment. Elle avait déjà prévenu Audrey qu'elle ne pourrait pas l'aider à préparer sa soirée d'anniversaire à cause de sa mère, et son amie avait été très compréhensive : elle savait à quel point la mère de Lilah pouvait être intrusive, et elle connaissait le pouvoir de pression qu'elle avait sur sa fille.
Cette dernière mit sa main sur sa poitrine ; son cœur battait à une vitesse phénoménale. Elle était consciente qu'au moindre dérapage, sa mère comprendrait et la punition serait terrible. Elle se laissa tomber...et sentit tout à coup les ressorts du trampoline se tendre sous le choc. Elle sourit, elle avait réussi ! La première étape de sa fugue était une réussite. Elle courut à travers son jardin, enjamba le petit portail, et traversa la rue. Son amie habitait un peu plus haut dans la rue, et on entendait déjà la musique battre son plein.
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Lilah, enfin changée, dansait, entourée de visages anonymes du lycée. A côté d'elle, Cameron embrassait un garçon quelconque, et Audrey parlait avec des copines de sa classe. Tous avaient un verre à la main, et vint rapidement l'heure d'ouvrir les cadeaux. Audrey, derrière une table, faisait face à tous ses amis réunis devant elle et ouvrait un à un les paquets entassés. Quand arriva le tour de Lilah, les deux amies échangèrent un regard entendu. La jeune fille avait acheté à son amie des livres, et mieux encore, des tickets pour une croisière d'une semaine en Corse. Rien qu'elles deux. Sans adultes, pour fêter leur amitié.
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Après de longues heures de danse et de nombreuses bières bues, peut être accompagnées de quelques shots, Lilah se rendit compte que l'heure tournait et qu'elle devait rentrer chez elle avant que sa mère ne remarque son absence. Elle embrassa rapidement la joue de son amie, fis un signe de la main à Cameron – elle n'était pas sûre qu'il l'ai vu, toujours occupé à embrasser le garçon avec qui il était depuis le début de la soirée. La jeune fille empoigna son sac, et dévala la rue en courant pour la seconde fois de la nuit. Elle enjamba de nouveau le petit portail et courut vers son trampoline. Cachée en dessous, une échelle, qu'elle colla au mur pour l'escalader et ouvrir sa fenêtre qu'elle avait bien pris soin de laisser entrouverte. Faire le mur pour aller en soirée était devenu une habitude, peut-être un peu malsaine et dangereuse, mais une habitude tout de même. Elle enfila rapidement son pyjama, pressée de se glisser dans son lit pour tenter de dormir deux heures, avant que son réveil ne sonne à sept heures. Lilah se dit que, quand même, autant boire alors qu'elle devrait enchaîner les heures de répétition au studio, ça n'était pas la meilleure idée du siècle. Elle avait soif, elle ne s'était pas réellement hydratée depuis le début de la soirée. Cependant, elle n'eut pas le courage de se relever pour aller chercher un verre d'eau.
Le réveil fut compliqué pour la jeune fille, mais c'était sans compter sur sa mère, déjà coiffée, habillée, et maquillée qui vint ouvrir ses rideaux d'un grand geste énergique.
« - Ça pue, dans cette chambre. Tu la rangeras, elle ne ressemble à rien. » Supporter la voix nasillarde de sa mère dès sept heures du matin constituait une épreuve en soi. Elle se leva, un peu molle et sans réelle motivation, pour descendre prendre son petit-déjeuner. Encore une fois constitué de fruits et de graines...
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Le week-end passa encore plus rapidement qu'elle ne l'aurait pensé. La jeune fille avait mis une demi-journée à se remettre de sa gueule de bois, puis elle avait travaillé, et s'était rendue seule au studio pour répéter une dernière fois sa variation pour l'audition.
Le lundi matin, elle se sentait un peu stressée. Le soir même avait lieu son audition pour la représentation du ballet d'automne. Cette année se jouerait Giselle, son ballet préféré, et elle donnerait tout pour pouvoir incarner son héroïne favorite. Elle avait préparé sa variation pendant des mois et des mois, avait sacrifié des heures avec ses amis, s'était privé de repas presque normaux pour ne recevoir aucune remarque de sa professeure. Elle devrait être parfaite aujourd'hui, mais au moins, si elle obtenait le rôle, la pression redescendrait. Enfin, Lilah l'espérait.
Aussi la jeune fille était un peu dans les nuages pendant son cours d'anglais, et sa professeure l'avait remarqué.
« - Lilah ! Est-ce que tu te donnes au moins la peine de suivre ? »
La jeune fille, sortie de force de sa rêverie, leva les yeux vers sa prof, et hocha la tête. L'adulte lui sourit et reprit son cours. De son côté, Lilah se redressa sur sa chaise et, au lieu d'écouter le cours, elle dessinait et écrivait des mots, des bribes de phrase. Elle ne se comprenait pas elle-même, jamais elle n'avait jamais griffonné quoi que ce soit dans ses cahiers. Surtout que les phrases n'avaient aucun sens... Elles parlaient d'une jeune fille aux courts cheveux bruns et à l'âme torturée. Elle décrivait une jeune fille qu'elle ne connaissait pas, qu'elle n'avait jamais vue, et pourtant, c'était comme si elles se côtoyaient depuis toujours. Cet état de semi-présence continua toute la journée, et elle n'avait écouté aucun de ses cours, au point de se faire réprimander par ses professeurs qui s'étaient habitués à son profil sérieux et travailleur. Elle avait continué d'écrire, et ses dessins avaient commencé à ressembler à la fille qu'elle décrivait.
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Lilah soufflait, agitait ses mains qui tremblaient, s'étirait. Elle ne tenait pas en place. Le moment était venu, elle prouverait à madame Olga ce qu'elle valait, elle lui démontrerait qu'elle était faite pour ce rôle, qu'elle était faite pour danser. En attendant son tour, elle lissait son justaucorps noir, qui pourtant ne présentait aucun défaut, elle remontait son collant, elle serrait son chignon, et enfin, Madame Olga l'appela.
La musique pénétrait par tous les pores de sa peau, elle l'imprégnait, et Lilah ne se sentait plus exister. C'était pour ça qu'elle aimait autant la danse, pour se perdre dans les sauts, s'oublier dans les pirouettes. Elle vivait à travers Giselle, s'identifiait à elle, et elle savait qu'elle avait réussi son audition. Quand elle se stoppa, en pleine arabesque, et que la musique s'éteint, elle vit Madame Olga lui sourire. Alors, Lilah sut qu'elle avait gagné, parce que jamais Madame Olga n'avait souri à une de ses élèves. Elle était soulagée, et respira comme si elle s'en était retenue pendant les longues minutes de sa variation.
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Ses parents avaient fêté sa réussite par un grand repas dans le restaurant préféré de leur fille. Cette dernière avait eu beau leur expliquer que rien n'était encore sûr, ils avaient quand même insisté pour sortir. Aussi se retrouvaient-ils réunis tous les trois pour la première fois de la semaine, et Lilah se sentait gênée. Tous ses muscles la tiraillaient, son corps lui disait qu'elle avait atteint ses limites, et le regard narquois de sa mère l'empêchait de toucher à son assiette. Elle tripotait sa fourchette et chaque bouchée la faisait se sentir lourde. Si elle avait vraiment gagné, si elle avait obtenu le rôle, contrairement à ce qu'elle pensait, ce ne serait que le début. La pression ne retomberait pas, au contraire : elle augmenterait, elle la pousserait à travailler encore plus, et la jeune fille mangerait moins, ne travaillerait plus autant qu'avant. Lilah se connaissait, elle savait que surpasser les autres était un travail constant.
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Le fil rouge
Teen FictionMaya est une lycéenne. Elle ne va pas bien, elle va même clairement mal. Elle enchaîne les problèmes à la maison. En somme, une fille très complexe. Lilah est une lycéenne. Petite fille modèle, danseuse classique, de bonnes notes. En somme, la fille...