Octobre était rapidement arrivé, et avait apporté avec lui sa froidure, les feuilles d'arbres par terre et les journées de plus en plus courtes. La semaine précédente était passée si rapidement que Maya n'avait même pas pu profiter de sa sœur et de sa grand-mère, tant elle avait été ensevelie sous les piles de livres et de polycopiés. C'était à peine si la jeune fille avait pu ouvrir son carnet de croquis pour en rajouter dans le book qu'elle voulait présenter aux Beaux-Arts et à Emile-Cohl pendant sa dernière année de lycée. Elle commençait sa préparation dès la première, pour... Pourquoi, en fait ? Pour avoir un peu plus de chance de s'enfuir rapidement de cette maison de malheur. Plongée dans ses pensées, elle soupira, et ouvrit son carnet de croquis à la première page vierge. Cela faisait un moment, peut être une dizaine de jours, que l'inconnue n'était pas apparue aux yeux de Maya. Elle rassembla tous ses souvenirs pour la dessiner, en plein mouvement, vêtue d'un long tutu blanc avec de petites ailes accrochées dans son dos. Autour d'elle la pièce s'effondrait, morceau par morceau, bris de miroir par bris de miroir. La pointe de son fusain grattait frénétiquement la page vierge, qui ne l'était plus tellement. Partout, des lambeaux, des bouts incohérents de la pièce. Bientôt, Maya releva la tête. Sur son carnet, une goutte d'eau était tombée sur la page, au milieu du pied tendu de la ballerine. Elle passa sa main sur son visage et sentit de petites gouttes d'eau, qu'elle essuya rapidement. Elle pleurait. Pourquoi pleurait-elle ? Pour cette fille qu'elle ne connaissait pas ? Pour une fille qu'elle n'avait jamais vue ? Qui n'existait peut-être même pas ? Pourquoi ? Et avec toutes ces histoires, la jeune fille n'avait toujours pas ouvert ses cahiers...
*****
Elle s'était couchée tard, mais avait réussi à finir ses leçons. Cette petite incartade lui valait des cernes bleus, mais elle n'était plus à ça près. Sa mère était rentrée tard, Mila dormait déjà, et Maya espérait, un peu naïvement peut-être, qu'elle serait trop ivre pour venir la voir. Faux espoir. Vain espoir. Sa mère était arrivée, une ceinture en cuir à la main. Elle ne s'en était pas servie. C'avait été pire. Les mots, les insultes, les coups de poings. Lancée sur son bureau, encore. Sur un bleu à peine cicatrisé. Elle s'était retenue de hurler, pour ne pas réveiller sa sœur, pour ne pas alerter les voisins. Même si elle rêvait qu'ils se rendent compte de ce qu'il se passait chez elle. Ou peut-être le savaient-ils déjà. Peut-être ne disaient-ils rien, tout simplement. Le trajet avec sa cousine avait été silencieux comme d'habitude, et Maya avait enfoncé ses écouteurs dans ses oreilles, pour éviter toute tentative de communication avec sa cousine, ou avec les gens du lycée. Même avec Ash, même avec Emilie et Maëve. Ses amies ne disaient rien, elles étaient habituées à son mutisme matinal. Seule Ash la regardait dans les yeux. Elle savait, elle devinait, elle était au courant. Maya n'avait jamais rien dit à son ex, seulement un jour où elles étaient ensemble, seules chez Maya, sa mère était apparue. Sans compassion aucune pour la petite amie de sa fille, elle l'avait attrapée par les cheveux, et c'était un ballet bien connu qui avait débuté. Quand sa mère était sortie de sa chambre, Ash ouvrait des yeux grands comme des soucoupes, et Maya évitait son regard. Cette dernière ne voulait pas, et surtout elle ne pouvait pas assumer ce qu'il se passait chez elle devant sa copine. C'était trop. Trop dur, trop triste, elle ne voulait pas lire de la compassion dans les yeux d'Ash, et encore moins de la pitié.
Lorsque la cloche sonna l'heure des cours, Maya souffla, ravie de s'échapper de l'emprise du regard lourd de sous-entendus de son ex. Elle s'enfuit, toujours sans un mot, vers sa salle d'arts plastiques. Elle avait pensé à ramener son carnet neuf, cette fois, même si elle avait déjà noirci bien des pages. Elle savait que son professeur lui dirait, lui répéterait, que les postures de ses personnages était encore trop statiques. Elle soupira – une constante depuis le matin. Rien n'allait. Heureusement, son professeur d'arts était un des êtres le plus gentil et le plus compréhensif que Maya avait rencontré, il connaissait son élève, et il savait qu'il devrait la laisser tranquille. Et c'est ce qu'il fit. Maya travailla sur son projet en individuel, pendant que les autres élèves de l'option travaillaient en groupe. Le prof allait et venait, discutant avec ses élèves, regardant Maya de temps à autre. Celle-ci sentait son regard pesait sur elle, un regard perçant, et elle avait l'impression d'être mise à nu, elle avait l'impression qu'on pouvait voir tous les bleus sur son corps, toutes les marques, toutes les blessures, les cicatrices qu'elle essayait de cacher. Parce que cacher, camoufler, c'est bien plus facile que dénoncer ou dire qu'on souffre. Parce que si Maya souffrait, qui s'occuperait de Mila ? Elle ne pouvait pas avoir mal, elle devait retenir sa douleur. On ne devait pas savoir. Oui, elle va bien, merci de demander. Arrêtez de la regarder, elle va bien. Et pourtant c'était faux, et elle voulait que les autres remarquent sa peine. Mais comment remarquer la peine de quelqu'un qui faisait tout pour la cacher ?
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Le fil rouge
Novela JuvenilMaya est une lycéenne. Elle ne va pas bien, elle va même clairement mal. Elle enchaîne les problèmes à la maison. En somme, une fille très complexe. Lilah est une lycéenne. Petite fille modèle, danseuse classique, de bonnes notes. En somme, la fille...