CHAPITRE 24 - Maya

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Le bac, enfin. On lui en parlait depuis des années, dès la sixième on l'y avait préparée. Les textes que Maya avait révisés étaient toujours dans son esprit, elle en rêvait même. Mais pour l'instant, c'était le jour-j. Elle était face à sa salle, sa convocation et sa carte d'identité dans les mains. Elle sentait bien qu'elle tremblait, mais elle se sentait néanmoins plutôt confiante. Elle ne s'inquiétait pas tant pout elle-même, mais surtout pour Lilah. Bien que la jeune dessinatrice savait que son amie était une élève studieuse, elle ne pouvait pas s'empêcher d'imaginer le pire. Peut-être n'avait pas révisé du tout. Peut-être avait-elle complétement lâché prise sur tous les aspects de sa vie, même sur son futur. Lilah ne croyait plus en rien, et bien qu'elle faisait croire le contraire à tout le monde, Maya n'était pas dupe. Quand il fut temps d'entrer dans la salle d'examen, elle laissa ses pensées pour Lilah de côté et se concentra sur les écrivains morts depuis des lustres. En découvrant les sujets de dissertation, Maya abandonna directement sans y réfléchir plus que ça, et se dirigea vers le commentaire composé. Pendant quatre heures, elle écrit sans relâche, couvrant des copies doubles de son écriture déliée et de connaissances acquises en cours d'année. Elle ne pensait plus à rien sinon à ce qu'elle écrivait. Elle avait du mal à penser que toute sa vie, tout son avenir, allait se jouer en quelques heures, autant cette année que l'an prochain, quand elle serait en terminale. Les professeurs décideraient de sa valeur par rapport à sa copie, et pour être honnête, cela l'énervait un peu.

Elle releva la tête, fixa du regard l'horloge fixée au-dessus du tableau blanc. Cela faisait maintenant près de deux heures qu'elle était penchée sur son travail, il lui restait donc autant de temps pour terminer. Maya se retint de soupirer et se repencha sur sa feuille.

*****

Voilà deux jours que l'épreuve écrite du bac de français s'était terminée, et aujourd'hui, le dix-huit juin, était l'anniversaire de Lilah. Maya ne savait pas comment elle était au courant, après tout elles n'en avaient jamais parlé. Mais bon, elle le savait, et la dessinatrice était quelque peu déçue de ne pas avoir pu se trouver à Toulon pour la soirée que son amie avait organisée la veille pour fêter son anniversaire avec ses amis.

D'ailleurs, la lycéenne espérait que les « amis » de Lilah en étaient réellement, et qu'ils n'étaient pas venu à sa soirée simplement pour profiter de l'alcool ou d'elle ne savait quoi, bien qu'elle avait le mauvais pressentiment que ç'avait été le cas. Elle ne pouvait pas le savoir, mais elle espérait avoir l'occasion de parler avec Lilah d'ici la fin de la journée. Histoire de pouvoir, au moins, lui souhaiter un bon anniversaire. Mais pour l'instant, elle était enfin en vacances, et elle comptait bien profiter de Mila et de leur grand-mère, aussi étaient-elles toutes les trois dans la petite voiture de Mamie Joséphine, en direction du centre commercial. Cela faisait des mois que la jeune dessinatrice n'avait pas passé du temps avec sa famille, tant elle s'était enfouie sous ses révisions du bac et dans ses recherches pour retrouver la trace de Lilah. Elle regrettait un peu de s'être autant laissée aller, de ne pas avoir assez fait attention à sa petite sœur, qui était toujours aux prises avec leur mère. Mais Mila n'était plus aussi jeune que Maya le pensait, elle avait pris les devants, s'était rendue au poste de police accompagnée de sa grand-mère. Là-bas, elles avaient été envoyées, avec une recommandation, vers une assistante sociale. Mila l'appréciait beaucoup, et elle était toujours heureuse lorsque qu'elle venait les voir dans leur petite maison pour les informer de l'avancée de leur mère dans son but d'arrêter de boire de l'alcool sans cesse. Véronique était donc en cure de désintoxication depuis presque un mois et demi déjà, et bien que Maya ait beaucoup moins fait attention à Mila, elle constatait que le sourire revenait sur son visage, qu'elle avait un pas plus léger. Leur grand-mère vivait avec elles, désormais, et Joséphine assistait avec assiduité aux comptes rendus quotidiens de l'assistante sociale. Maya, elle, était la seule à détester ce changement. Evidemment, elle était heureuse que sa sœur aille mieux, que Véronique semble vouloir se reprendre en main, mais elle en voulait à sa grand-mère. Si elle avait toujours voulu les aider, comme elle l'affirmait, pourquoi ne pas avoir fait de signalement aux services sociaux bien avant ? Alors elle se cachait dans sa chambre dès que le téléphone sonnait à heure fixe ou qu'elle savait que l'assistante sociale devait venir, pour éviter le regard insistant de sa grand-mère. Si elle devait descendre, elle le faisait le plus rapidement possible, sans ne jamais regarder personne dans les yeux, avec un regard noir collé au visage. Sa famille, sous l'impulsion de l'assistante sociale et de l'éducateur qui avait commencé à l'accompagner, lui avait pris rendez-vous chez une psychologue. Bien sûr, Maya avait joué la gentille fille, acceptant sa peine sans broncher, parce qu'ils pensaient tous que la violence de sa mère avait lui laissée des séquelles mentales et certainement physiques. Mais la dessinatrice ne s'était pas rendue au cabinet de la psy, elle n'en voyait pas l'intérêt. Si elle devait voir quelqu'un, elle voulait le faire d'elle-même, utiliser son libre-arbitre. Il s'agissait de sa santé mentale, pas de celle de quelqu'un d'autre, et pour l'instant, elle ne pensait pas plus que ça en avoir besoin. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, mais elle voulait décider pour elle, sans jamais être soumis à une autre personne. Elle avait compris cela grâce à Lilah, elle avait tout compris grâce à Lilah. Lilah pour qui on avait toujours décidé, qui n'avait jamais eu de libre-arbitre, Lilah qui apprenait enfin à vivre pour de vrai.

*****

Pour fêter la fin des épreuves écrites, Maëve avait invité Emilie, Ashley et Maya pour une espèce de soirée pyjama. C'était si enfantin que cela en devenait grisant, et la dessinatrice avait plus que hâte de retrouver son petit groupe. Maintenant que tout avait été réglé avec Ash, leur bande se portait mieux que jamais. Et même si la lycéenne les avait laissées de côté pendant les quelques mois où elle s'était renfermée sur elle-même, elle les aimait toujours autant. Elle ne le leur avait jamais dit pourtant, mais ces trois petits mots étaient sous-entendus dans tout ce qu'elle faisait avec ses amies. Elle savait que durant la soirée, Maëve lui tresserait les cheveux – autant qu'elle le pourrait, parce que Maya les portait courts. Emilie leur raconterait tous les potins du lycée, même ceux qu'absolument personne ne connaissait. Ashley ne dirait pas grand-chose, mais elle les regarderait comme une mère regarde ses enfants, comme si elle était fière d'elles toutes. Et peut-être que c'était bien la vérité, après tout. Les problèmes avaient été arrangés. Les mots étaient sortis. Maya et Ashley avaient raconté leur histoire à Maëve et Emilie, puis d'un commun accord avaient décidé de ne plus jamais en reparler, pour éviter d'instaurer à nouveau un mal être au sein du groupe. La purge avait été complète, et Maya se sentait tellement soulagée, tellement libre. Plus aucun poids sur ses épaules, mis à part peut-être son oral de français, et, plus important encore, la bulle de mystère qui continuait d'entourer Lilah.

*****

Finalement, son oral de français s'était bien passé, et voilà maintenant la jeune lycéenne enfin en vacances. Fini, la première, les galères, deux mois de vacances ; plus qu'un pas, le plus important de l'année, et tout serait complètement terminé. L'an prochain, la terminale l'attendait. Le bac, Parcoursup, l'orientation. Elle ne voulait pas y penser, pourtant elle ne pouvait pas s'en empêcher. L'avenir l'effrayait. L'avenir lui avait toujours fait peur, parce que le futur n'existait pas encore, qu'elle devait le créer, le façonner de toute pièce. Maya ne savait pas ce qui l'attendait, mais, pour la première fois de sa vie, elle n'avait plus peur. Elle avait ce pressentiment, cette intuition, qui semblait lui souffler qu'une chose importante allait arriver. Un tournant. Positif ou négatif, peu lui importait, elle voulait seulement savoir. La vérité, qu'on lui avait toujours cachée, elle avait enfin l'opportunité de la connaître.

Mais pour l'instant, elle attendait Emilie et Ashley, qui passaient leur oral le même jour qu'elle. Maya et ses deux amies avaient prévu de retrouver Maëve, pour fêter la fin de l'année dignement. De loin, elle aperçut les cheveux gris d'Ash, les longs cheveux noirs d'Emilie. Elle leur sourit, leur prit le bras. La lycéenne avait l'impression d'être dans un film lorsque bras dessus, bras dessous, elles franchirent le portail du lycée avec un air théâtral. Le dernier pas de l'année, le premier pas de l'été. Maya, prise d'un pincement au cœur, se retourna tout de même une dernière fois vers le bâtiment. Il s'était passé tant de choses, cette année. Lilah, Ash, sa mère. Elle n'en revenait toujours pas. Elle avait survécu à une année chaotique, pleine de rebondissements, de hauts de bas, et surtout de bas. Elle en était reconnaissante, si reconnaissante, parce que ces aventures, ces murs qui s'étaient dressés entre elle et son moi heureux, avaient forgés celle qu'elle était devenu. Elle avait tellement changé, en neuf mois. La fille triste, renfermée sur elle-même, qui ne s'ouvrait qu'à son carnet de croquis dans le silence feutré de l'internat, avait laissé place à une Maya épanouie. Elle n'était peut-être pas totalement heureuse, mais elle se sentait vraiment mieux. Elle avait progressé en dessin. Elle avait arrêté de se faire du mal, parce qu'elle avait compris qu'elle devait se reprendre, au moins pour sa petite sœur et pour Lilah. Ses dernières cicatrices remontaient à un mois, plus ou moins. Elle savait qu'elles resteraient à vie, que jamais elles ne partiront, que rien ne pourra les enlever. Et, franchement, elle en avait tout sauf envie. Sa lame avait été sa meilleure amie pendant si longtemps qu'elle voulait s'en rappeler toute sa vie, pour ne jamais retomber dans ses travers. Ses cicatrices étaient, elles aussi, une partie d'elle, impossible à camoufler. Mais, maintenant, elle les assumait au grand jour, parce que, oui, avoir mal était normal. Elle avait repris du poids, recommencé à manger correctement, sans se priver pour Mila. Parce qu'elle n'en avait plus besoin, que Mila était prise en charge, qu'elle pouvait vivre sa vie de jeune adolescente.

Oui, Maya avait grandi. Mûri. Expérimenté.

Enfin, les larmes aux yeux, elle détourne les yeux de l'établissement. Voit ses deux amies à quelques pas de là, Maëve qui arrive en leur faisant de grand signe de la main, sa queue de cheval flottant derrière elle. Puis, elle pensa à Lilah.

Oui, cette année, Maya avait réellement tout gagné.

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant