La rentrée était dure pour la jeune fille. Elle n'était pas allée au lycée la semaine précédant les vacances, elle avait trop honte. Elle, la petite fille parfaite, en béquille ? Elle ne voulait pas affronter les regards de pitié, les regards moqueurs des quelques filles qui la détestaient. Et surtout, elle ne voulait pas voir le regard brûlant d'Audrey. Elle avait évité la soirée d'Halloween de son amie sans rien lui dire, elle ne voulait voir personne. La jeune fille détestait tout le monde, et par-dessus tout elle se détestait elle. Elle n'avait rien avalé depuis son retour à la maison, à part peut-être de l'eau, des fruits, pas grand-chose de plus, si ça comptait vraiment. Lilah ressentait le fait de devoir se préparer comme une torture, mais sa mère, la veille, était venue dans sa chambre pour secouer sa fille. La jeune fille avait passé la deuxième semaine de ses vacances à supplier ses parents de ne pas retourner au lycée, mais ils avaient refusé catégoriquement. Pour eux, l'éducation était primordiale, et s'ils avaient accepté de justifier l'absence de leur fille avant les vacances, il n'en était plus question aujourd'hui. Lilah savait que la semaine allait passer dans un nuage. Et c'est exactement ce qui arriva. La semaine suivante était celle de la représentation de Giselle, et Lilah avait insisté pour y assister. Frédéric avait essayé de la dissuader, mais têtue comme elle l'était, Lilah avait refusé. Agacés, ses parents avaient alors acheté une place en plus à Madame Olga, et c'est en pensant à ce spectacle qu'elle ne ferait jamais que la jeune fille se préparait pour retourner à l'école. Elle ne fit aucun effort. Pas de maquillage, juste un sweat, un pantalon, ses longs cheveux réunis en une queue-de-cheval. Pourquoi en ferait-elle, après tout ? Si elle avait réellement tout perdu, très bien, c'était que le ciel ou elle ne savait qui en avait décidé ainsi. Elle décida de prendre le bus. A l'arrêt, elle aperçut Audrey, qu'elle évita sans même lui lancer un regard ou un sourire. Plus loin, ce fut Cameron qu'elle vit. Elle enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et partit s'installer à côté de lui en silence. Elle savait que son ami respecterait son mutisme, aussi elle lui accorda un petit sourire. Un sourire bref, mais sincère. Elle était heureuse de revoir un des piliers qui lui montrait que sa vie n'était pas que danse. Le bus était bruyant, la jeune fille augmenta le son de la musique. Leur moyen de transport était en retard, et ils arrivèrent au lycée juste avant que la sonnerie ne retentisse. Lilah, d'un geste de la main, signifia à Cameron qu'elle allait aux toilettes. Elle y passa toute la première heure, celle de français. Elle était assise au sol, et elle pleurait. Elle résista pourtant à l'idée de s'enfuir pour rentrer chez elle, dans sa chambre, où personne n'exigeait rien d'elle. Lorsque la sonnerie se fit entendre, elle se leva, essuya ses yeux, et elle soupira en se regardant dans le miroir. Elle se lava les mains et sortit. En cours d'anglais, elle retrouva Cam, dont les yeux l'interrogèrent. Elle esquiva, encore. Décidément, elle ne faisait que ça depuis le matin. Le cours, et tous ceux qui suivirent, étaient comme enrobés d'un coton épais qui endormait Lilah.
*****
Par habitude certainement, par réflexe peut-être, Lilah avait pris la direction du studio une fois sortie des cours. Cette fois-ci pourtant, elle ne pressa pas le pas, elle n'avait pas l'impression d'être pressée pour quoi que ce soit. Devant le bâtiment, elle hésita. Devait-elle entrer ou tenter de faire son deuil du rôle ? Merde. Elle poussa la lourde porte et entra. Sur la moquette, quelques traces de sang persistaient, malgré le ménage évident. Dans le vestiaire, les bancs étaient encombrés, mais elle réussit à se trouver une petite place devant la porte que Madame Olga gardait toujours ouverte. En regardant le vestiaire plus attentivement, elle remarqua les affaires de Céleste à sa place. Enfin, les places n'avaient jamais été officielles, mais Lilah s'installait là depuis son arrivée. Peut-être que ce simple fait lui fit plus mal encore que la plaie de son pied. Elle se releva, et avant même d'avoir pu se retenir, elle jeta les affaires de Céleste partout dans la pièce. Les larmes lui montaient aux yeux, elle voulait crier. Cependant, elle se calma et se rassit face à la porte. Personne ne faisait attention à elle, toutes étaient concentrées sur le chignon roux de sa rivale qui bougeait sur la musique. Sa musique, de sa variation. Céleste était douée, plus qu'elle, même. Incapable d'en supporter plus, la jeune fille laissa les larmes dévaler ses joues et attrapa la nouvelle paire de pointes de la rouquine. Où trouver du vinaigre, dans cette école ? Nulle part. Le cours se terminait dans quarante-cinq minutes, il y avait une épicerie juste en bas du studio, elle avait le temps d'y faire un saut. Elle se dépêcha, courut, acheta le vinaigre, remonta. S'enferma dans les toilettes. Boucha l'évier. Ouvrit le vinaigre. Le versa dans l'évier. Trempa les pointes. L'odeur lui donna envie de vomir. Pourtant, voir le si joli tissu satiné se tâcher la faisait se sentir si libre, si bien. Ce n'était rien, par rapport à ce que Julie lui avait fait subir. Elle reposa les pointes dans le sac rose bonbon hideux, abimant toutes les affaires de la danseuse en passant, et se dirigea vers les toilettes. En faisant bien attention de fermer la porte cette fois, elle vida l'évier et se laissa tomber sur les genoux près des toilettes. Un effleurement au fond de sa gorge suffit, deux doigts, et elle vomit. Tout ce qu'elle avait dans le ventre. En d'autres termes, rien. De l'eau. Son affaire terminée, elle sentit des larmes tomber contre la cuvette. Et elle s'effondra.
« - Lilah. Lilah. Tu vas bien ?
Une fille aux cheveux courts la fixait d'un air inquiet. Elle hocha la tête en guise de réponse. Qui était cette fille ? Elle ne l'avait jamais vue, et portant c'était comme si elles se connaissaient depuis toujours. Oh. Un flash.
- Maya.
La fille acquiesça, un sourire aux lèvres. Sa bouche avait parlé sans réfléchir. Lilah ne comprenait plus rien.
- Je suis vraiment contente de pouvoir te voir, Lilah. J'aimerais bien te rencontrer en vrai, un jour.
Moi aussi, Maya. Moi aussi. Mais c'est impossible, songea la jeune fille en fixant les bras abîmés de son vis-à-vis.
- Pourquoi ?
Maya lisait dans ses pensées. Au lieu de trouver ça effrayant, Lilah aimait ça. Alors elle lui répondit sans parler. Tu comprendras plus tard, en même temps que tous les autres. Vous comprendrez tous en même temps.
- Comprendre quoi ?
Maya avait les sourcils froncés. Tu verras. »
Et Lilah se réveilla, trouvant sa mère et Madame Olga penchées au-dessus d'elle. Elle sourit. En fond, étouffés, les pleurs de Céleste. Mais Lilah n'en revenait pas. Elle avait vue, l'inconnue qui n'en était plus vraiment une. Et elle connaissait son nom. Maya.
Quel beau prénom.
- Je sais, répondit la jeune fille recroquevillée dans un coin de sa tête en souriant. Toi aussi tu as un joli prénom. Et tout ce qui va avec, alors que moi...
La Lilah de la réalité repartit en voiture avec sa mère, contente d'avoir rencontrée Maya. De savoir son prénom. De le connaître, peut-être même. De l'aimer, un jour.
- Pourquoi tu es allée au studio, Lilah ? Tu étais censée rentrer juste après le lycée pour le kiné.
- Je voulais voir Céleste danser. Lilah avait les yeux dans le vide. Elle n'avouerait jamais à sa mère qu'elle y était allée pour saboter les affaires neuves de la rouquine, elle serait terriblement déçue.
D'ailleurs, Sasha soupira et secoua la tête.
- Lilah, tu dois te reposer. Tu dois éviter la danse pendant ce mois, surtout que tu as voulu aller voir Giselle. Jamais je n'aurais imaginé te dire ça, mais sors et arrête de te torturer avec la danse. Fais-toi plaisir, va au centre commercial, je sais pas, moi !
Lilah hallucinait, elle était abasourdie. Sa mère, qui insistait depuis toujours pour qu'elle se surpasse et qui l'envoyait à ses cours même quand elle était malade, lui demandait d'arrêter et de briser tout ce qu'elle avait instauré !
- Mais maman, la danse me fait plaisir, tu peux pas me demander ça !
- Si, je peux. Tu es privée de sortie, Lilah, tu rentreras tous les soirs après les cours. Si je dois aller te chercher encore une fois quelque part le temps de ta punition, je prendrais ton téléphone et ton ordinateur et tu seras consignée dans ta chambre.
La jeune fille n'en revenait pas. Où étions-nous ? Elle croyait rêver. Et puis, elle se demandait comment sa mère pouvait ne pas sentir l'odeur de vinaigre qui embaumait l'habitacle. Peut-être ne voulait-elle simplement pas la sentir.
Toute cette histoire avait abîmé la découverte du prénom de l'inconnue ; pourtant Lilah se raccrochait au souvenir de leur rencontre.
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Le fil rouge
Teen FictionMaya est une lycéenne. Elle ne va pas bien, elle va même clairement mal. Elle enchaîne les problèmes à la maison. En somme, une fille très complexe. Lilah est une lycéenne. Petite fille modèle, danseuse classique, de bonnes notes. En somme, la fille...