CHAPITRE 5 - Lilah

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Le mardi s'était écoulé presque aussi rapidement que le lundi, et en apprenant la nouvelle, Cameron et Audrey lui avaient acheté le justaucorps que Lilah convoitait depuis un moment. Cette dernière passa la journée sur un petit nuage. Le soir, après le lycée, elle se rendit dans sa salle de danse pour s'entraîner sur sa première variation. L'avantage de finir à 16 heures... Elle avait abandonné Audrey et Cameron à la sortie du lycée, Giselle était plus importante. C'était triste à dire, mais c'était réel. Son école était renommée, et à chaque représentation des recruteurs de conservatoires étaient présents pour repérer de « nouveaux talents », comme ils disaient. Lilah en rêvait, être admise dans un conservatoire, danser du matin au soir. Etre loin de sa mère, aussi.

Elle souffla et posa la jambe sur la barre. Et soudain, elle sentit une présence derrière elle. Pas une présence concrète, mais plutôt comme si un esprit était avec elle, la regardait. Elle se retourna, la tête lui tourna, et elle s'effondra sur le sol. Personne autour d'elle. La jeune fille s'assit. Sa hanche droite lui faisait mal, mais c'était surtout son ego qui en avait pris un coup. Sentir des présences, c'était comme entendre des voix, ce n'est pas fait pour une personne parfaite. Tomber aussi, d'ailleurs...Elle se redressa, s'assit, et la présence se fit sentir de nouveau. Cette fois, Lilah vit une jeune fille aux courts cheveux bruns avec un carnet noir entre les mains s'effacer dans un coin du complexe. Celle-ci était pâle, très pâle, et ses cernes étaient si foncées qu'on aurait dit qu'elle n'avait pas dormi depuis des années. Les deux jeunes filles se regardèrent, l'apparition avait les yeux vides, si vides, comme sans aucune vie, comme si toute joie l'avait quittée, et qu'elle ne savait pas pourquoi elle vivait encore. Ses bras étaient dénudés, et surtout, ils étaient couverts de coupures à peine dissimulées par des pansements. Assise au milieu de la salle, Lilah croisa son propre regard dans le grand miroir. Elle avait l'air d'une folle, les jambes étendues devant elle, échevelée à cause de sa chute, la bretelle de son justaucorps noir descendue sur son épaule. La fille avait disparue, Lilah était seule. Elle entendit du bruit dans les vestiaires, elle entendit les petits talons de Madame Olga cliqueter sur le sol en lino. Le cours allait commencer, et Lilah n'avait rien révisé de sa variation, c'était à peine si elle était concentrée.

*****

« Au milieu. »

La voix de Madame Olga résonnait dans la salle, toujours aussi sèche. La professeure montra un enchaînement à ses élèves. Lilah se sentait partir, elle voyait ses jambes monter moins haut que d'habitude, et elle savait que les autres filles le voyaient aussi, et qu'elles sauraient en profiter pour la rabaisser dans les vestiaires.

« Lilah. Tu es dans la lune. Tu veux vraiment qu'on te retire le rôle-titre ? Je ne pense pas, te connaissant. Alors fais un effort, ou le rôle ira à Céleste. »

La doublure de Lilah, Céleste, lui sourit du coin de la salle. Un sourire hypocrite, un sourire qui lui disait « Je veux que tu rates. » Alors, parce que surtout, surtout, elle ne devait pas rater, elle ne doit pas être nulle ! Pas maintenant, pas aujourd'hui, pas après avoir tant travaillé pour avoir ce rôle. Alors elle ne dit rien, et leva sa jambe encore plus haut. La jeune fille lança un regard à Céleste, comme pour lui dire qu'elle ne raterait jamais.

« Je préfère te voir comme ça, Lilah. » Madame Olga hocha la tête d'un air content. Après tout, Lilah n'était pas l'une de ses meilleures élèves pour rien. Elle fit un petit sourire, et le cours reprit.

*****

Pour une fois, son père était à la maison, et pour une fois, c'était un repas complet qui attendait la jeune fille. Cependant, malgré la bonne odeur de poulet qui émanait du four, Lilah avait l'estomac noué, et elle ne put rien avaler à part un peu d'eau. Elle embrassa rapidement et monta dans sa chambre. La vision de la jeune fille l'avait vraiment chamboulée. Alors elle fit quelque chose qu'elle n'avait pas fait depuis des mois : elle écrivit. Dans son journal intime, elle raconta le moment où elle avait aperçu cette fille aux cheveux courts et à l'air si fatigué. Elle écrivit longtemps, très longtemps, et, à deux heures du matin, elle se rendit compte que son poignet lui faisait mal, et que, plus grave encore, elle n'avait pas fait ses leçons pour le lendemain. Pour la première fois de sa vie, la jeune fille n'ouvrirait pas son cahier de textes, elle était trop fatiguée par cette journée. Dans le pire des cas, elle ferait ses exercices de français dans le bus. Alors elle se coucha, et elle s'endormit rapidement.

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant