CHAPITRE 7 - Lilah

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Le côté aseptisé de sa chambre d'hôpital ne faisait que rappeler à Lilah ce qui s'était passé quelques jours auparavant. On avait retiré le minuscule bout de verre coincé dans la plante de son pied, celui qui avait causé sa blessure. Elle s'était demandé comment une si petite chose pouvait autant faire saigner, et puis elle s'était rappelé que ce n'était pas valable pour des objets, que ce théorème pouvait aussi s'appliquer aux humains. Lorsque Madame Olga lui avait annoncé qu'on devait lui retirer le rôle de sa vie, Lilah avait lâché prise. Elle savait que sa vie redeviendrait monotone, d'autant plus que, selon les médecins, elle resterait en observation encore une semaine, pour vérifier qu'il n'y ait aucune infection, pour vérifier son poids, qui avait intéressé les médecins parce qu'il était largement en dessous de la moyenne de son âge, et en plus, elle ne pourrait faire aucun sport pendant près d'un mois. Ce qui signifiait un mois sans danse. Sans Giselle. Elle avait laissé sa chance passer, elle lui avait filé sous le nez, pour revenir à sa plus grande rivale du cours, Céleste. Si Madame Olga savait ce qu'elle avait... Céleste serait renvoyée du studio, c'était certain. Mais Lilah ne serait pas une balance, parce que cette concurrence lui était bénéfique. En danse, les danseuses étaient remplaçables à volonté, ce qui maintenait une certaine tension entre les filles. Si des groupes s'étaient formés au cours des années, il s'agissait plus d'alliance que de réelles amitiés. Tout le monde savait tout, sur tout le monde. Lilah soupira et se laissa tomber dans ses draps blancs. De l'autre côté de la porte, ses parents s'entretenaient avec sa professeure et le médecin qui l'avait suivi. Ils n'étaient même pas encore venus la voir. C'était bien la preuve qu'ils s'en foutaient, d'elle. Par contre, Lilah avait été surprise de voir Cameron débarquer aussitôt qu'il avait appris la nouvelle, un énorme bouquet de fleurs dans les bras. Elle lui avait tout raconté, même ce qu'elle avait omis de dire volontairement à Madame Olga, la participation de Julie dans cette entreprise. Elle voulait la voir tomber depuis qu'elles se connaissaient. Elles étaient les deux meilleures élèves de l'école, et ce depuis leur plus tendre enfance. Mais Lilah surpassait toujours Céleste. Lilah était lumineuse, Lilah insufflait de la réalité aux personnages qu'elle dansait, alors que Céleste ne possédait pas ce talent. Techniquement, elles étaient au même niveau. Mais il suffisait d'un tout petit peu plus de passion pour se voir dépassé. Lilah avait tout expliqué à Cam, elle s'était autorisée à pleurer, mais juste un tout petit peu, parce que pleurer, ce n'était pas elle. Elle ne voulait pas rester ici, dans cet univers blanc et opaque qui obstruait son esprit. Elle avait besoin de lumière, de normalité, de miroirs et de colophane. Lilah était faite pour la scène et elle le savait.

Un bruit à la porte attira son attention. De l'autre côté, on pouvait distinguer de grands mouvements de bras. Sa mère faisait une scène, encore. Jamais son père ne se mettrait en avant comme ça, même si la jeune fille savait que sa mère prenait sa défense. Son père laissa sa femme se débrouiller avec la professeure de sa fille et avec le médecin urgentiste. Il rentra dans la chambre, et s'assit au bord du lit.

- Ça va, Lilah ?

- Je peux mentir ou je dois répondre honnêtement ?

Frédéric rit brièvement, puis reprit un air sérieux.

- Je te connais, tu es ma fille. C'est dur pour toi, tu viens de perdre le rôle dont tu rêves depuis tes trois ans...

- Oui, c'est pas facile papa, mais vous n'avez pas besoin d'en rajouter. Surtout maman. Je sais qu'elle va tout faire pour que je me rétablisse vite pour récupérer le rôle, mais je me demande si c'est pas un signe.

- Un signe ? Son père haussa le sourcil d'un air interrogateur. Pourquoi ?

- Et si c'était un signe que je devais arrêter la danse ? Papa, comprends-moi. Je suis inscrite là-bas depuis mes trois ans, je ne fais que ça, et maman vit son rêve à travers moi. J'ai toujours eu les rôles principaux dans tous les spectacles de l'école. Vous êtes fiers de moi parce que je représente seulement votre réussite sociale...

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant