CHAPITRE 15 - Lilah

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Lilah soupira. Elle était devant sa garde-robe, en train de décider quelle tenue porter pour la soirée d'Audrey. Cette dernière avait enfin daigné lui adresser la parole, du moins par le biais de Cameron, pour l'inviter à sa soirée du Nouvel An. La jeune fille espérait que cette soirée leur permettrait de mettre les choses au clair. Mais elle n'était pas naïve, elle savait que quand Audrey buvait, elle avait tendance à balancer les quatre vérités à son interlocuteur.

Elle croisa son regard dans le miroir. Le reflet n'était pas le sien. C'était une jeune fille qui lui ressemblait, mais ce n'était pas elle. L'autre fille était grande, élancée, aux longs cheveux bruns et aux yeux verts. Au lieu d'être musclée, comme elle l'était avant, elle était juste maigre. Ses clavicules ressortaient, ses hanches saillaient, elle avait l'air gravement malade. La tête lui tourna et elle dût s'asseoir brutalement par terre. Comment avait-elle pu se faire du mal à ce point ? Elle avait l'impression que toute sa vie tournait autour de la nourriture, des calories comptées, de la danse. Elle en oubliait ses amis, sa famille, les cours, même si elle devait être parfaite même à l'école et dans ses relations sociales. Elle avait besoin de changement, et seulement après elle pourrait s'habiller.

*****

Elle fixait les cheveux qui l'entouraient, tombés sur le sol comme autant de poupées sans vie. Elle avait peur de relever la tête, de voir son visage sans ses longs cheveux. Elle se sentait légère et libre, comme si avoir fait ça l'avait séparée de la petite voix dans sa tête. Lilah baissa le regard vers ses ciseaux, ses ciseaux d'école, et se demanda ce qu'elle pourrait en faire de plus. Finalement, devant le grand miroir de sa penderie, elle osa lever les yeux. Choc. Elle se mit à pleurer. Des larmes de joie, mélangées à des larmes de peur. Mais de tristesse, pas maintenant. Si, même avec un changement si drastique, personne ne remarquait qu'elle allait mal, alors elle n'aurait plus rien à faire ici.

En séchant ses larmes, elle choisit une robe moulante noire à manches longues, qui couvrirait les cicatrices de brûlures sur ses épaules. Elle se maquilla, abusa sur le fard à joue et le rouge à lèvres, enfila sa paire de chaussures à talon, les plus hauts qu'elle avait, prit sa veste, son sac, et sortit en claquant la porte. Dehors, le froid mordant du mois de janvier la prit au corps, mais elle n'eut pas le courage de mettre la veste qu'elle avait pris, puisque Audrey habitait à quelques rues à peine. En arrivant, elle entendit la musique résonner et les basses battre dans tout son corps. Ça commençait bien...

Les personnes dans la maison formaient une masse noire indistincte, et Lilah n'arrivait pas à trouver Audrey, et encore moins Cameron, qui devait probablement être en train d'embrasser une quelconque personne dans un coin de la maison. Il n'était que vingt heures à peine, et la soirée semblait déjà folle. Elle se dirigea vers le bar, et se servit un shooter de vodka. Elle s'était promis de ne pas boire, parce qu'elle n'avait rien dans le corps, et elle savait ce que donnait un taux d'alcoolémie élevé dans le sang lorsqu'on ne mangeait pas. Et elle voulait éviter à tout prix de faire encore un malaise. Elle les avait enchaînés pendant la semaine passée, même si elle avait arrêté de se faire vomir après chaque aliment qu'elle avalait. Pourtant elle sentait cette envie de retrouver la porcelaine froide, et elle savait que c'était à sa portée. Que la salle de bain d'Audrey était à quelques pas du salon où elle se trouvait. La petite voix était revenue, elle lui susurrait d'y aller, de céder à la tentation, que si elle ne le faisait pas, elle était une incapable. Alors, pour s'en empêcher, elle se resservit un verre d'un alcool inconnu – elle n'avait pas fait attention au nom sur la bouteille – et s'éloigna de la table pour retourner à la recherche d'Audrey.

Elle fit le tour de la maison, pour finir par se retrouver devant la chambre de son amie. Entrer, ou non ? Puis elle céda, ouvrit la porte. A l'intérieur, c'était comme si la fête n'était plus là. Les sons étaient étouffés, la jeune fille n'entendait plus les rires et la musique. Tant mieux. Elle se sentait enfin au calme, apaisée. Prête à affronter Audrey. Puis ses pensées dérivèrent vers Maya. Comment passait-elle son nouvel an ? Lilah espérait que ça allait pour elle, surtout avec Ashley. Elle avait cru comprendre, au cours de leurs discussions mentales, que l'ex de Maya était l'une des causes les plus importantes du développement de son mal-être actuel.

La jeune fille secoua la tête, ce n'était pas le moment de se laisser distraire et de penser à Maya ; elle devait trouver Audrey et réfléchir à ce qu'elle voulait lui dire. Le peu d'alcool qu'elle avait bu lui embrouillait l'esprit, Lilah n'arrivait pas à réfléchir. Dans un dernier espoir de trouver l'hôtesse de maison, elle sortit de sa chambre et dévala les escaliers. Quand elle voulait s'isoler, il n'y avait qu'un seul endroit où Audrey allait. Sur le banc, au fond de l'immense jardin, sous le saule pleureur. Lilah connaissait bien cet endroit ; c'est là qu'elles se rendaient pour échanger les derniers potins. Elle courut en direction de l'arbre, se prit le pied dans une racine, s'écroula sur le sol. Elle ne savait pas si la chute était un signe du destin qui lui disait de ne pas y aller, un effet de l'alcool ou peu de nourriture qui se trouvait dans son estomac. Elle décida de ne pas y penser, pas encore, se releva, recommença à courir. En se rapprochant, elle entendit des voix, l'une masculine et l'autre féminine, qu'elle reconnut comme celle de son amie. La jeune fille se stoppa, écouta les paroles qu'ils échangeaient. En jetant un regard vers le banc de fer blanc, elle reconnut la chevelure blonde de Peter, le garçon sur lequel sa meilleure amie avait un crush depuis la seconde. Elle ne lui avait jamais parlé, n'avait jamais osé l'approcher, de loin comme de près. Ils n'avaient l'air d'être juste amis, de ce qu'elle pouvait voir. D'un coup, Lilah se sentit heureuse pour son amie, mais la colère prit rapidement le dessus. Elle aurait pu lui en parler. C'était presque sûr que Cameron était au courant, alors pourquoi ne lui en avait-il pas parlé non plus ?

Elle écarta d'un geste brusque le feuillage, apparaissant alors aux yeux d'Audrey et de Peter. Celui-ci la fixa d'un air surpris, avant de laisser Audrey et Lilah seules, en marmonnant quelque chose comme « je vais vous laisser. ».

- Bonsoir, Lilah. Je pense pas t'avoir invitée, pourtant.

Premier couteau dans le dos. Cam lui avait assuré qu'Audrey avait insisté pour qu'elle soit là, pour parler et s'expliquer.

- J'ai entendu du bruit alors je suis entrée.

Mia ne sourit même pas à sa tentative un peu désespérée pour détendre l'atmosphère.

- Tu as maigri, tu es dégueulasse. Je crois que tu t'es enfin rendue compte que tu vaux rien.

Deuxième couteau dans le dos. Alors comme ça, Mia avait toujours pensé ça d'elle ?

- Lilah, redescends de ton cheval. Tu te crois belle, intelligente, douée, gentille. Mais tu es juste bonne à exclure les autres. Ça fait si longtemps que je cherche à te détruire. On l'a fait pour moi, et maintenant je rigole en t'admirant te détruire toute seule.

Lilah dût se forcer à retenir ses larmes. Pourquoi ne jamais lui avoir dit tout ça ? Pourquoi tant vouloir qu'elle se détruise ?

- Tu vois, tu pleures. Tu es faible. Ta force était juste une image que tu te donnais.

Comment répondre à toutes ces accusations ? Elle sentit la bile lui monter ; elle voulait vomir. Ne plus voir Audrey devant elle. Mieux, lui briser les os. La voir souffrir comme elle souffrait à l'intérieur. D'un coup, son esprit dériva vers Maya. Et si elle aussi, de son côté, pensait ça d'elle ?

Ce fut trop. Elle vomit, juste à côté de là où se trouvait Audrey, qui la fixa d'un air dégoûté. Elle n'avait rien dans le ventre, à part de l'alcool, et peut-être un ou deux quartiers de pomme.

- Cameron m'a dit, pour cette fille que tu vois. Va te faire soigner, pauvre folle. Je suis sûre qu'elle te trouverait ridicule si elle te voyait.

Et elle partit, laissant Lilah seule avec ses pleurs.

Ne l'écoute pas. Evidemment que tu n'es pas ridicule.

Pour la première fois depuis qu'elle la connaissait, l'esprit de Maya qui logeait dans sa tête s'était complétement dépliée. Elle y prenait toute la place.

C'est elle qui est ridicule. Elle boit pour se donner du courage, pour aborder son crush. Toi, tu as une raison d'aller mal. Tu suffis, tu n'as pas besoin de te forcer à être quelqu'un d'autre. Sois toi-même, Lilah.

Mue par la force que lui avait donnée Maya, Lilah se leva et rentra chez elle. Là, elle retrouva ses toilettes et vomit une seconde fois. Elle avait rechuté. Au loin, elle entendit ses parents ses parents se souhaiter une bonne année. Elle soupira. Quelle belle façon de commencer l'année.

Etre soi-même, comme Maya le lui avait demandé, lui paraissait bien compliqué.

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant