CHAPITRE 19 - Lilah

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Voilà maintenant quinze jours que la jeune fille a envoyé sa lettre à Maya, sa lettre où elle lui explique tout ce qu'elle ressent. Et elle n'a eu aucune nouvelle depuis. Ça lui fait mal, un peu, parce qu'elle en attendait. Cela fait presque deux mois qu'elles ne se sont pas vues. Lilah en souffre. Elle meure d'envie de revoir Maya, dans son entièreté, parce qu'elle lui manque.

*****

Sa vie continue. Lilah se lève, va au lycée, rentre, danse, esquive les repas. Elle continue de perdre du poids, de vomir, même si ça arrive en moins en moins. Elle colle un sourire à son visage, tout le temps, pour faire comme si ça allait bien, comme avant. Et tout le monde a l'air d'y croire, personne ne cherche à comprendre ce qui lui arrive. Elle enchaîne les rendez-vous avec sa psychologue, essaie de comprendre son trouble alimentaire. Mais même ça, Lilah a l'impression de le rater. Elle parle pendant l'heure entière de choses et d'autres, mais elle n'arrive toujours pas à mettre le doigt sur ce qui ne va vraiment pas. Peut-être est-ce Maya, peut-être est-ce Audrey, peut-être est-ce le regard déçu de son père. Mais elle secoue la tête. Pour l'instant, elle ne doit pas y penser. De toute façon, elle ne pense à rien en ce moment, elle est vide. Son âme s'est envolée en même temps que ses rêves de ballet, le sol s'est effondré sous ses pieds, même le sol qu'elle avait toujours connu. Elle n'a pas pointé le nez dans son studio depuis près d'un mois, sa mère ne cesse de lui reprocher tout et n'importe quoi, son père a toujours ce regard dans le vide, comme si il était déçu d'elle, ou de sa situation. Lilah sort son téléphone portable de la poche de son jean, le tripote pendant quelques secondes, vérifie que Cameron ne lui a pas envoyé un autre message. Celui-ci l'a invitée à la plage, sous prétexte qu'ils ne « s'étaient pas vu depuis des mois », et que Lilah l'esquive. Ce qui en soit n'est pas totalement faux, puisque Lilah a tendance à éviter tout le monde. Mais elle a accepté, et la voilà, marchant vers le bleu de la mer qu'elle aperçoit au loin. Et elle profite, pour la première fois depuis des heures, des jours, des mois, des années peut-être. Le vent dans ses cheveux, l'odeur salée de la mer juste à côté. Elle savoure.

Elle descend sur la passerelle de bois, cherche Cameron du regard. Elle aperçoit, à quelques mètres d'elle, une touffe blonde qui tranche sur le ciel bleu. Elle sourit, parce qu'elle sait qu'elle va retrouver une partie de la Lilah qu'elle était avant. Mais d'un seul coup, son sourire s'évanouit. Parce que Cameron n'est pas seul à l'attendre, comme elle le pensait. Cameron est accompagné d'une petite brune, un peu ronde, aux cheveux bouclés et à la peau mate. Cameron est accompagné d'Audrey. Même si Lilah n'est pas sûre d'avoir réellement fait quelque chose de mal avec elle, elle a un mouvement de recul. Mais elle ne peut pas s'enfuir, pas maintenant. Elle sent qu'elles doivent se dire les choses, une dernière fois, une bonne fois pour toutes. Alors elle relève le menton, reprends contenance et marche vers Audrey et Cameron.

- Bonjour, Cameron. On avait rendez-vous, mais je crois pas qu'Audrey devait être là. Ou alors j'ai mal compris, lança la jeune fille en croisant les bras.

- Effectivement, mais je pensais qu'il était temps que vous vous parliez. J'en ai marre de toujours devoir choisir entre vous tout le temps.

Cam avait ce sourire gêné qui le caractérisait, le bout des oreilles rouge écarlate. Elle essaie de ne pas se laisser attendrir, parce qu'après tout, Cameron a arrêté de la regarder comme avant, et qu'il n'est plus qu'une chose de plus qu'elle a perdu.

- T'as déjà fait ton choix, Cam.

- C'est faux, Lilah, tu le sais très bien. Vous avez dix minutes. Je serais au café sur l'esplanade, je reviendrais pas avant.

Et voilà que le grand blond dégingandé s'en va, main dans les poches, en abandonnant ses deux amies à leur sort.

- Tu sais, Lilah, je te l'ai déjà dit, mais j'en ai marre d'être ton ombre.

Lilah reste silencieuse, médite, réponds enfin.

- Tu es pas mon ombre, Audrey, je sais pas ce qui te fait penser ça. T'es une fille formidable, t'as pas besoin de le voir pour l'être.

- Pourtant on me remarque jamais. C'est tout le temps toi. La danseuse parfaite, la fille parfaite, mince et belle, qui a des bonnes notes. Moi, à côté, je suis rien, insignifiante.

La jeune fille connaissait bien ce sentiment, pour l'avoir souvent ressenti. Devant ses parents, Céleste, Madame Olga, Lilah avait l'impression d'être un moucheron qu'on pouvait supprimer d'un simple geste de la main. Mais jamais elle n'avait pensé que sa plus chère amie pouvait, elle aussi, ressentir ça. Elle resta mutique, attendit qu'Audrey continue. Mais son amie resta silencieuse. Elles se jaugèrent du regard pendant un moment, l'une triste de savoir que son amie avait gardé ça pour elle pendant si longtemps, l'autre en attente d'un jugement qui ne vint jamais.

- Je suis désolée, Audrey. Tellement désolée. J'ai très envie de te dire que tu aurais dû m'en parler, mais étant donné tout ce que tu viens de me dire, je comprends mieux pourquoi tu l'as pas fait. J'ai dû te paraître si loin, inaccessible ou je sais pas quoi. J'ai tellement mal joué mon rôle d'amie.

La danseuse sentait les larmes monter, l'émotion la submergeait. Elle ne devait pas pleurer. Elle continuait d'entendre dans sa tête tout ce qu'Audrey lui avait craché au Nouvel An.

- Mais, Audrey. Quitte à ce qu'on se dise tout, qu'on mette carte sur table. Au Nouvel An, tu m'as dit des choses horribles. Je comprends que tu aies été en colère, mais est-ce que tu avais besoin de me dire tout ça ? Je pense pas, non. Tu m'as dit que tu avais toujours voulu me détruire. On se connaît depuis nos six ans, Audrey. Comment tu peux vouloir détruire la personne avec qui tu as passé dix ans de vie ?

Les larmes roulaient sur les joues de la jeune fille, elle lui criait presque dessus. Face à elle, Audrey restait impassible, comme si elle ne regrettait rien. Et quand elle ouvrit la bouche pour parler, Lilah sentit ses craintes se confirmer.

- Je regrette pas. J'ai dit ça sous le coup de la colère, tu le méritais peut être pas, mais ça m'a soulagé de te dire tout ça. Je l'ai pensé, parfois, souvent même.

- J'ai été là pour toi quand tu étais au plus bas. Quand tes parents arrêtaient pas de se disputer. Quand ton hamster est mort, quand tu avais huit ans. Je t'ai toujours caché mes moments de bas, tu as jamais rien vu. Je te demande pas de les voir, de toute façon c'est trop tard maintenant. Mais là, ça fait presque quatre mois que j'ai vu le sol s'écrouler sous mes pieds, autant de temps que j'avale rien de plus que de l'eau ou une pomme de temps en temps. Tu aurais pu décider de m'aider. Mais tu n'as strictement rien fait pour. Tu te moquais de moi, de loin. Jamais d'attaque frontale, puisqu'apparemment tu es trop lâche pour ça aussi. Alors, Audrey, je suis sincèrement désolée de ne pas avoir été à la hauteur de nos dix ans d'amitié, mais avant de me reprocher quoi que ce soit, tu ferais bien de balayer devant ta porte.

Audrey resta muette, clouée sur place par la force des mots de Lilah. D'un même mouvement, elles s'assirent et attendirent Cameron, qui arriva deux minutes plus tard. Lilah se leva et épousseta son jean.

- Vous avez fini, c'est bon ? Cameron avait ce regard inquisiteur qu'elle sentait se poser partout sur son corps, comme s'il pouvait la déchiffrer entièrement par la seule force de ses yeux.

- Oui, c'est bon. Et je crois qu'on a plus rien à se dire.

La jeune danseuse fit volte-face et partit, laissant un Cameron ébahi et une Audrey anéantie. Lilah, de son côté, marchait rapidement, d'un air décidé. Mais personne ne pouvait voir les larmes qui dévalaient ses joues.

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant