CHAPITRE 23 - Lilah

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Morte.

Sans vie.

Lilah savait que Maya avait compris, parce que Maya comprenait toujours tout ce qui n'était jamais dit à voix haute. Lilah savait que Maya avait compris ce qu'elle tentait désespérément de cacher à tout le monde : à l'intérieur, elle était morte. Elle était vide, une carapace, Mais avait-elle déjà été vivante, un jour ? Là demeurait toute la question. Elle n'avait que peu de souvenirs heureux, voir même aucun. Toute sa vie, la danse avait été son fil conducteur, et jamais elle n'avait eu la vie normale dont elle avait toujours rêvé. Bien que jusqu'à sa rencontre avec Maya elle ne pouvait pas se passer de cette vie bien réglée, celle-ci la dégoûtait de plus en plus. Tout ce que la jeune ballerine voulait faire, c'était briser les barrières qui l'enfermaient. Mais après le rêve que Maya lui avait raconté, ou plutôt son cauchemar, la seule chose qui inquiétait Lilah en était la signification. Ce cauchemar était-il prémonitoire ? Allait-elle réellement se donner la mort ? Elle espérait que non, très fort ; elle ne pouvait pas mourir avant d'avoir vécu quelque chose avec la dessinatrice. Un quelque chose même minuscule, parce que l'adolescente avait appris à aimer les plus petites choses, et maintenant, ces dernières lui importaient bien plus que les grandes choses. Alors, l'important dans son semblant d'histoire avec Maya, ce n'était pas leur relation en elle-même, mais tout ce qui s'y rapportaient. Leur rencontre, le carnet de croquis, Orgueil et Préjugés, les visions, la lettre, le cauchemar. Chaque moment comptait, des plus insignifiants aux plus significatifs. Parce que Lilah n'était pas seulement amoureuse de Maya, elle était amoureuse d'elles, de leurs parties minuscules qu'elles avaient appris à se dévoiler au fil du temps. Elle était amoureuse de son amour, ce qui apparaissait comme un problème récurrent à seize ans. Mais même en aimant aimer, Lilah savait que l'amour qu'elle portait à Maya était le sentiment le plus sincère, la sensation la plus enivrante qu'elle avait un jour pu ressentir. En fait, elle s'était rendue compte que pour vivre elle devait aimer. En si peu de temps, elle était devenue dépendante de cet amour, d'une affection qu'elle ne recevait même pas dans la vie réelle, d'une affection virtuelle. Pourtant elle espérait secrètement que tout ça n'était pas qu'irréel, parce qu'elle le sentait. Si tout était faux, alors elle serait brisée, encore plus qu'elle ne l'était déjà en ce moment. Comment briser quelque chose qui est déjà piétiné ? La barrière que la danseuse avait construite pour protéger son cœur depuis tant d'années n'existait plus, tout était tombé en miettes, éclaté en mille morceaux sur le sol. Maya, sans le savoir peut-être, avait réparé son cœur, son existence. Mais quelque chose qui a été brisé une fois, une unique fois, ne sera jamais plus la même qu'elle ne l'était auparavant. Même si Lilah allait mieux, elle savait que cela n'allait pas durer, qu'on l'avait trop souvent démolie pour le reconstruire en oubliant des pièces, éparpillées un peu partout, comme autant de satellites qui gravitent autour d'une planète.

En se relevant de son lit, où elle ne savait pas qu'elle s'était installée, elle sentit des larmes tremper ses joues. Etonnant, non ? Bien qu'elle continuait ses rendez-vous avec sa psychologue, la jeune lycéenne se sentait toujours plus dépassée par les évènements. Mais quels évènements, en fait ? La réalité. La réalité, sa réalité qu'elle se prenait comme une claque brûlante dans la figure. Une vérité, que Maya ne connaissait pas, mais qu'elle était la seule à ignorer. Tout le monde savait, sauf la dessinatrice. Mais Lilah ne pouvait pas lui dire. Et ceci tournait en boucle dans son esprit, la martyrisait ; tout lui dire, attendre encore un peu. Elle ne voulait surtout pas faire de mal à Maya, qui semblait se remettre peu à peu de cette vie qui avait toujours été si dure avec elle. Mais la jeune danseuse savait, elle avait pleinement conscience qu'un jour Maya devrait savoir. Elle savait aussi que celle qu'elle aimait comprendrait, malgré sa peine et sa douleur, elle chercherait le pourquoi du comment. De tout façon, si elle lui annonçait à la fin de l'année scolaire, en juin, après le bac de français, elle avait encore un peu de temps pour s'y préparer mentalement.

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