- Vous savez, je connais Audrey depuis qu'on a six ans. On s'était jamais vraiment disputées avant cette année. J'ai l'impression qu'elle passe son temps à m'esquiver. Elle me traite de folle. J'ai perdu mes deux meilleurs amis en dix minutes.
Voilà maintenant une heure que Lilah racontait sa dispute avec Audrey et l'abandon de Cameron à sa psychologue. Même si cela faisait plus de deux semaines qu'ils s'étaient retrouvés tous ensemble sur la plage, la danseuse n'arrivait pas à s'en remettre. Si à cela on ajoutait le regard vide de Maya lors de leur dernière vision, alors la jeune fille accumulait les remords. Elle se rejouait les scènes, ce qu'elle aurait pu faire de mieux, ce qu'elle n'aurait pas dû faire. Peut-être était-elle réellement devenue ce qu'on lui reprochait, une personne insensible, centrée sur son propre nombril sans rien voir autour d'elle.
Malgré cela, Lilah allait mieux. Ou en tout cas, semblait aller mieux. Elle mangeait à nouveau, pas grand-chose, mais au moins elle ne rejetait plus rien. Avoir laissé tomber Audrey était finalement bénéfique, c'était du moins ce que pensait Lilah, et lorsqu'elle en avait parlé à sa psychologue pendant la séance, celle-ci avait haussé un sourcil, sans pour autant ajouter quelque chose.
Le tic-tac incessant de l'horloge au-dessus du bureau agaçait la jeune ballerine, mais heureusement la consultation arrivait à son terme. Elle remercia le médecin d'un sourire et sortit dans la douceur de Toulon au mois d'avril. Les fleurs revenaient, les arbres verdissaient, les épaules et les jambes se découvraient. Tout semblait renaître, et la jeune fille aimait ça. Le printemps était toujours synonyme de renouveau, aussi Lilah en profitait chaque année pour faire le ménage dans sa vie au maximum. Cette année cependant elle n'en ressentait ni l'envie ni la force. Voir le monde se remettre à vivre alors qu'elle n'était plus qu'une enveloppe de chair vide et sans vie était trop dur. Parce que oui, elle faisait semblant, complètement semblant. Elle était juste une coquille vide entourée de strass et de paillettes pour contenter tout le monde. Pour faire comme si tout allait bien, alors que c'était complétement faux. De toute façon, les larmes rythmaient son année scolaire. Une fois chez elle, elle monta dans sa chambre et s'assit sur son lit. Là, elle repassa en boucle tout ce qu'il s'était passé cette année. Maya, Giselle et Céleste, son hospitalisation, la maladie, Noël. En retournant tous ces évènements, Lilah se dit que, finalement, son année de première ne s'était pas si mal déroulée que ça. Evidemment, elle avait été marquée par des moments plus sombres que d'autres. Les troubles alimentaires, les disputes, la danse.
En se redressant, Lilah sentit ses joues mouillées. Elle pleurait, encore. Comme si elle ne savait faire que ça. Mais après tout, n'était-ce pas là ce que lui répétait sans cesse la petite voix aigre dans sa tête ? La voix n'avait jamais disparue, elle s'était transformée pour s'adapter à Lilah. Et cette dernière n'en pouvait plus. Si elle ne vomissait plus, si elle remangeait, ce n'était pas pour autant que sa dysphorie s'était volatilisée, bien au contraire. Elle n'en disait plus rien mais sa vie continuait de sombrer, le sol continuait de s'effondrer sous pieds, le ciel continuait de lui tomber sur la tête à chaque seconde, chaque minute qui passait. Même si elle devait faire avec, rien ne lui paraissait plus compliqué qu'être elle-même. Elle ne voulait pas être quelqu'un d'autre, non, elle voulait juste arrêter de souffrir comme elle souffrait depuis le début d'année. Un gouffre est censé avoir un fond, n'est-ce pas ? Pourtant sa chute lui semblait interminable, sans fin, comme si elle n'arriverait jamais à se sortir du fond du trou.
*****
La semaine passa rapidement, cours, larmes, sommeil entremêlés. Les dates d'évaluations et de rendus se multipliaient, avec en plus l'annonce de la date du bac de français. Celui-ci était une nouvelle raison d'oppresser Lilah.
Il n'y avait qu'une seule chose que la ballerine pouvait faire ; demander à Maya si elle connaissait la raison qui rendait possible leurs échanges.
Ca y est, tu peux plus te passer de moi ? J'ai été là pour t'écouter te plaindre pendant dix minutes sans avoir le temps d'en placer une. Tu t'es enfin rendue compte que t'étais pas la seule sur cette Terre ?

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Le fil rouge
Teen FictionMaya est une lycéenne. Elle ne va pas bien, elle va même clairement mal. Elle enchaîne les problèmes à la maison. En somme, une fille très complexe. Lilah est une lycéenne. Petite fille modèle, danseuse classique, de bonnes notes. En somme, la fille...