CHAPITRE 22 - Maya

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Maya se sentait encore retournée par sa dernière discussion avec Lilah. Jamais, jamais, elles ne s'étaient autorisées de telles confessions, et pour être honnête, ç'avait été agréable. Agréable, mais difficile. Savoir mettre des mots sur ce qu'elle ressentait n'était pas franchement le point fort de la jeune dessinatrice. Mais là, tout lui dire, tout lui avouait, c'était comme une purge, une saignée des sentiments négatifs qu'elle traînait depuis des mois. Maintenant que les mots étaient sortis, ils ne pouvaient plus lui faire de mal. Plus rien ne semblait plus pouvoir l'atteindre. Et cela lui faisait tant de bien. Maya se sentait comme sur un petit nuage et elle espérait qu'il en était de même pour Lilah, où qu'elle soit. On lui avait dit les mots qu'elle avait toujours voulu entendre, avec peut-être un peu de retard certes, mais elle se sentait enfin si soulagée. Elle comprenait sa valeur, pour de vrai, elle se disait que, peut-être, contrairement à tout ce qu'elle avait toujours entendu de sa mère, elle ne valait pas rien. Elle était unique, elle était qui elle était, et elle rayonnait. Maya remerciait Lilah de tout son cœur de lui avoir fait comprendre tout ça, parce que jamais personne ne le lui avait dit.

Après tout, chaque personne est belle comme elle est. Personne ne devrait avoir besoin de changer, peu importe pour qui ou pour quoi. Tout le monde devrait être qui ils ont toujours eu envie d'être, de toutes façons, les rageux rageront.

Mais pour l'instant, et Maya s'en rendit compte, elle était au lycée. C'était l'heure d'étude obligatoire pour les internes, et elle avait décidé de se mettre à réviser ses quatorze textes de français. Face à elle, son classeur était ouvert, étalant sur sa table les ses feuilles de cours. Bien qu'il lui restait un peu plus d'un mois, juin arriverait vite, aussi Maya avait pris le parti de répartir au maximum son travail. Ainsi, elle aurait le temps de continuer ses recherches, à la fois sur Lilah mais aussi sur leur transmission de pensée, de dessiner et surtout de passer du temps avec sa famille, qu'elle avait un peu délaissée ces derniers temps. D'ailleurs, bien qu'elle ne sache pas ce qu'il s'était passé, Mila était ravie de voir que sa grande sœur reprenait du poil de la bête, depuis quelques temps.

En attendant, elle devait se concentrer un peu. Sur son petit bureau, de l'autre côté de la chambre, Louane était elle aussi penchée sur un commentaire de texte de type bac pour s'entraîner. Suivant son exemple, Maya se pencha sur la dissertation qu'elle devait rendre en fin de semaine. Les deux colocataires travaillèrent ainsi, concentrées et heureuses de se savoir l'une avec l'autre, durant toute l'heure d'étude.

*****

Elle allait rencontrer Lilah pour de vrai, enfin. Elle était dans le train, prête pour le premier trajet de train, direction Paris. Ensuite, elle prendrait la correspondance, direction Toulon. Elle avait enfin trouvé une adresse, celle du studio de danse de LIlah. Même si celle-ci avait abandonné le ballet, Maya savait, par ses visions, qu'il n'était pas rare qu'elle s'y rende tout de même. Pour danser un peu, parce que cela lui manquait, ou juste pour l'atmosphère. L'odeur de la colophane, la lumière, les grands miroirs en pied. Maya savait aussi que Lilah se sentait faible lorsqu'elle se rendait au studio, faible d'avoir abandonné la seule chose qu'elle pensait pouvoir faire correctement. La jeune dessinatrice mourrait d'envie de la voir, depuis plus longtemps qu'elle ne voulait bien se l'avouer. Peut-être avait-elle toujours voulu la rencontrer, même bien avant qu'elles ne se rencontrent.

Pourtant Maya avait un mauvais pressentiment. Qu'allait-elle bien pouvoir trouver dans cette ville qui lui était inconnue ? Et si, bien qu'elle lui ait affirmé le contraire, Lilah était juste une pure invention de son esprit ? Peut-être Maya allait-elle se heurter à un mur, se battre contre du vent, ne rien trouver, ou au contraire, trouver les réponses à tout ce qu'elle s'était toujours demandée. Mais pour l'instant, la jeune fille était dans le train direction Paris, avec pour seul bagage son sac à dos, qui ne contenait pas grand-chose, à part quelques vêtements, presque autant de sous-vêtements, et, surtout, le plus important, son carnet de croquis. Elle ne l'avait pas ouvert depuis des mois, trop occupée à se morfondre pour dessiner. Alors elle mit à profit les quelques heures de son trajet pour imaginer sa rencontre avec la danseuse. Peu importait que celle-ci se passe bien ou non, les coups de crayon défilaient sur le papier, où des accolades prenaient forme, au milieu de quelques baisers volés ou de gifles pas vraiment méritées. Sa version préférée était celle où les deux amoureuses étaient assises sur un banc, sous les arbres qui reprenaient des couleurs en ce début de printemps. Dans sa tête, la dessinatrice imaginait qu'elles avaient eu une longue discussion, pour apprendre à mieux connaître l'autre, puis l'une des deux – certainement Lilah, pour être honnête – aurait fait le premier pas. Maya voyait cette scène se dessiner dans son esprit sans trop de difficultés. Lilah écarterait une mèche de cheveux courts qui lui retombait sur le visage, sa main glisserait de ses cheveux à sa joue, s'arrêterait un instant, le temps pour les jeunes filles de se regarder droit dans les yeux. Puis la ballerine baisserait le regard vers les lèvres de la dessinatrice, avant de revenir à ses yeux, comme pour le demander l'autorisation. Maya n'aurait pas eu besoin de parler, elles se comprenaient sans un mot, comme par télépathie. Lilah se serait avancée lentement, si lentement que cela en deviendrait presque insupportable, alors Maya se jetterait sur ses lèvres, et ce serait délicieux. Ce serait la réponse à toutes leurs questions mutuelles, parce qu'elles n'avaient pas besoin de mot pour comprendre l'autre.

Enfin, Paris, puis les dernières heures de voyage. Ces dernières passèrent en un éclair, englouties par les dessins de Maya. A Toulon, le soleil était éblouissant, mais Maya ne voulait qu'une seule chose, retrouver son soleil, à elle. Mue par une étrange force, comme si on la poussait, elle se dirigeait vers le studio, comme si elle avait toujours su où il se trouvait, sans ouvrir l'application GPS de son téléphone portable. Une fois arrivée là-bas, l'impression qu'une mauvaise chose allait arriver, ou que quelque chose s'était déjà passé, Maya poussa la lourde porte avec une boule au ventre. Une légère odeur aigre de transpiration la prit à la gorge, et elle continua d'avancer doucement dans le bâtiment, à pas feutrés, comme si on pouvait la surprendre en flagrant délit d'espionnage à n'importe quel moment. Pris d'un instinct soudain, si fort qu'il lui retourna l'estomac, Maya poussa violemment les portes de ce qui semblait être un vestiaire. Vide, lui aussi, mais la dessinatrice ne s'arrêta pas là pour autant. Une odeur rance montait d'un renfoncement du mur, là où se trouvaient les toilettes. Elle entra, et la première chose qu'elle vit fut une flaque de sang. Ses chaussures, qui baignaient déjà dedans, se teintaient de carmin petit à petit. Horrifiée, elle voulut sortir immédiatement, mais la porte par laquelle elle était entrée était fermée à double tour. Se disant que cela ressemblait un peu trop au début d'un mauvais film d'horreur, elle se reprit et avança vers l'endroit d'où provenait le sang. Et là... Horreur. Abomination. Assise sur les toilettes, les yeux vitreux et dans le vide, le poignet gauche complétement tailladé, se trouvait Lilah. Maya hurla, puis pressa sa main contre sa bouche. Le cutter, celui que Lilah avait certainement été utilisé pour se couper les veines, était tombé par terre. Le corps était pâle, froid, vide. Soudain, Maya comprit. Lilah n'avait jamais été vivante, de toute sa vie.

*****

Maya se réveilla en hurlant dans sa petite chambre d'internat. Elle avait dû s'agiter dans son sommeil, parce que Louane était déjà à son chevet, accompagnée par un des surveillants de nuit du lycée.

- Mon dieu, Maya, tu m'as foutu une de ces peurs ! Dis-moi que ça va, par pitié. Il t'est arrivé quelque chose ?

- Je... Non, j'ai fait un mauvais rêve, un sacré cauchemar, même, répondit la lycéenne en s'attrapant le crâne. Bon sang, ce qu'elle avait mal à la tête !

Lilah. Elle devait vérifier que Lilah était envie, que tout allait bien de son côté. A la porte, Louane s'excusait auprès du surveillant de l'avoir dérangé, et demanda une dernière fois à Maya si tout allait bien, avant de se recoucher. La jeune dessinatrice allait certainement s'en remettre, mais quel traumatisme était-ce donc de voir un cadavre, même juste par une manifestation de son inconscient. Chamboulée, Maya fit de son mieux pour contacter Lilah, mais celle-ci ne réagissait pas, ce qui fit paniquer la lycéenne encore plus. Une fois, deux fois. Maya se concentra plus fort encore ; la troisième fois serait la bonne.

Enfin.

Mon dieu, Lilah, dis-moi que tu vas bien.

Evidemment que je vais bien, qu'est-ce qui te prends de me réveiller aussi tôt ? Il est, genre, trois heures du matin, Maya.

Je...J'ai fait un horrible cauchemar.

Ah bon ? Et c'était quoi, ce cauchemar si abominable ?

C'était affreux. Enfin, non, au début ça allait. J'étais dans le train pour qu'on se rencontre, je dessinais, ça allait. Puis je suis arrivée à Toulon, j'ai été à ton ancien studio de danse alors que je sais même pas où il est, bordel. Et là... Là, j'ai été d'instinct dans les toilettes. Tu baignais dans ton sang, Lilah, tu t'étais coupée les veines, c'était si morbide. Tu étais belle même morte, mais tes yeux... Tes yeux étaient dans le vide, ils fixaient un point je ne sais où dans l'univers. J'ai même pas pris la peine d'essayer de te réanimer, ça en valait pas la peine, ça se voyait que t'étais plus là. Je veux plus jamais voir ça de ma vie, bon sang, je me suis réveillée pleine de sueur, en hurlant. J'ai eu si peur.

Mon dieu... Je comprends, j'aurais réagi comme ça aussi, je crois. Tu as vu un cadavre pour la première fois de ta vie, et j'espère pour toi que ce sera la dernière, même si c'était dans un cauchemar. Mais tout va bien, Maya, tout va bien. Je vais bien, et je suis en vie.

Tu étais morte, Lilah. Tu étais morte.

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant