CHAPITRE 26 - Maya

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Je pense qu'il est temps de te dire la vérité. On a vécu tellement de choses ensemble, tu es en droit de la connaître. S'il te plaît, ne m'en veux pas.

Evidemment, les mots de Lilah lui avaient fait peur, mais Maya ne voyait pas pourquoi elle lui en voudrait.

Puis elle avait compris. Les indices laissés çà et là par Lilah, des indices minuscules, mais qui auraient tout de même dû la mettre sur la piste de la vérité.

Lilah était morte. Lilah est morte. Lilah n'est plus de ce monde.

Je suis vraiment désolée, Maya. Je voudrais tellement pouvoir te rencontrer mais maintenant, tu comprends pourquoi c'est impossible. Je... Je me suis suicidée, il y a quelques années. L'histoire est pas vraiment joyeuse, mais je peux te la raconter.

Bien sûr que Maya voulait savoir toute l'histoire. En fin de compte, ses sens ne l'avaient pas trompée, elle était tombée amoureuse d'un fantasme, d'un fantôme qui s'évanouissait en un claquement de doigt dans l'air chaud du début d'été. Lilah était passée du statut d'être humain à celui d'âme, d'esprit. De ces esprits qui hantent la Terre à jamais, jusqu'à ce que la vérité éclate sur leur mort. De ces gentils spectres qui ressentent des choses, de la peine, de la haine, de l'amour. De ces fantômes qui continuent à vivre une vie qui leur semble être normale, celle qu'ils avaient avant la mort, alors que personne ne peut les voir. Sauf une poignée d'élus, auxquels Maya appartenait. La nouvelle lui était tombée dessus comme une chape de plomb. Elle savait que l'histoire n'arrangerait rien, bien au contraire. Mais elle voulait savoir. Elle devait savoir. Elle avait besoin de savoir. Elle qui n'avait jamais connu la douleur d'un deuil la découvrait aujourd'hui.

*****

« Tout a commencé à ma rentrée en première. Tout ce que tu as vu était réel, tout m'est arrivé, ce n'était juste pas cette année. Bref, j'avais passé l'intégralité de mon été dans le studio, en pointes et justaucorps pour danser et maintenir ma force physique au milieu des soirées et des pizzas. J'étais la meilleure élève de mon école. Le spectacle d'automne arrivait, Giselle. J'adore ce ballet depuis que je fais de la danse. Son histoire m'a toujours fascinée. Enfin, maintenant je le déteste. Je n'avais aucune envie de retourner au lycée. Comme on s'est rencontrées en septembre, tu ne sais pas ce qu'il s'est passé pendant les vacances. Mais je crois que, dès la fin de la seconde, j'ai su que Cameron et Audrey allaient me lâcher. J'y ai cru jusqu'au bout, enfin j'ai essayé. Au début d'année, tout allait bien, mais ça se dégradait à vue d'œil. Je faisais l'autruche, je me voilais la face à coup de sorties et de soirées. A l'anniversaire d'Audrey, je lui ai offert une croisière en Corse, rien que toutes les deux. Ils la feront ensemble, j'imagine. Ce n'est pas très grave. Puis tu es rentrée dans ma vie, à coup de carnet de croquis et de visions, et tu as chamboulé toute ma vie si bien réglée. Puis je me suis blessée, et je n'ai pas pu interpréter Giselle. J'ai eu l'impression que c'était la fin de ma vie, alors que c'était juste celle de ma carrière. Je suis tombée dans une grosse déprime, et dans l'anorexie. Rien d'important ensuite, je faisais semblant d'aller bien, avant de me retrouver à l'hôpital à cause de ma perte de poids. Tu ne l'as pas, je ne te l'ai pas dit ; Personne ne l'a su. Pour moi, retourner à l'hôpital, c'était un aveu de faiblesse. En sortant, je faisais mine de manger, avant de tout vomir dans les toilettes. Je sais, pitoyable. Puis le bac, je l'ai raté d'ailleurs. Ma soirée d'anniversaire. Le reste, tu le connais.

Je suis morte le mercredi 26 juillet 2017. C'est ce qui est écrit sur ma pierre tombale, en tout cas. Je ne sais pas si c'est vrai. Je pense que tu veux aussi savoir de quoi je suis morte. Je me suis ouvert les veines des poignets. Je sais, ironique, n'est-ce pas ? C'est ce que tu as vu dans ton cauchemar, il y a quelques mois. Tu te mutilais quand je t'ai rencontrée, puis tu as arrêté. Peut-être était-ce là un signe du destin. Je suis morte dans mon bain. Au début je paniquais. J'ai laissé tomber la lame dans la baignoire, puis mes bras sont retombés. Je crois que je commençais à comprendre ce qu'il était en train de se passer. Mes forces me quittaient, j'ai à peine eu le temps d'écrire une lettre à mes parents. J'au juste pu écrire Pardon, je vous aime, une connerie du genre. Je suis morte en regrettant de ne jamais avoir pu vivre ma vie comme je l'entendais. Je pesais un peu moins de 45 kilos. On m'a enterrée trois jours après, dans le cimetière à côté de mes grands-parents. Sur ma tombe, c'est écrit : Lilah Zery, 18 juin 2000 – 26 juillet 2017, fille et amie aimée. Aimée de quoi ? Il n'y avait personne d'autre que mes parents et le pasteur, ce jour-là. Je n'ai jamais pu faire les bêtises que les ados font normalement. Les fleurs commencent à flétrir au-dessus de moi. Après, ça devient un peu plus compliqué.

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant