La première semaine avait été éprouvante sentimentalement pour Maya. Dès qu'elle avait croisée Ash – et le hasard avait fait qu'elles s'étaient croisées souvent – elle avait senti son estomac se retourner, comme au début de leur relation. Il y avait tellement de papillons dans son ventre qu'elle avait parfois peur de s'envoler. Alors elle avait essayé de la fuir, restant dans le bâtiment du lycée pendant que ses trois amies allaient fumer pendant les pauses, insistant, niant, et prétextant qu'elle devait dessiner. D'autres fois encore, elle avait été obligée de rester avec Ashley, aussi elle ne lui parlait pas et ne discutait qu'avec Maëve et Emilie. Elle n'aimait pas ça, elle ne pensait qu'à Ash, ce qu'elle avait fait avec Ash. La jeune fille voulait en parler, mais elle avait peur de la réaction de son ex. Alors elle avait arrêté, elle s'était concentrée sur le dessin, avait passé ses soirées à l'internat avec Louane à remplir son carnet pendant que sa colocataire écrivait. Le mercredi après-midi, au lieu d'aller faire les magasins avec ses copines, elle avait profité de son temps libre pour rendre visite à sa grand-mère qui, bien qu'elle ait été surprise de la voir, en avait été ravie et lui avait préparé des gaufres. Elles s'étaient rendues bras dessus bras dessous au parc pour dessiner ensemble. Joséphine avait pris la pose devant les arbres, faisant rire sa petite-fille, d'un rire vrai et sincère. Sa grand-mère avait vu que Maya n'allait pas bien, mais elle n'avait pas osé lui en parler. Elle savait comment sa petite-fille pouvait réagir, et elle ne voulait pas gâcher ce moment. Déjà qu'elle avait été surprise de voir Maya devant sa porte... Maintenant elle était surprise de voir la tristesse dans ses yeux. La jeune fille, de son côté, faisait tout pour se concentrer sur le dessin. Et pourtant, ses croquis représentaient seulement Lilah. Sur un lit d'hôpital, en train de danser, dans un vestiaire, dans un couloir. Toujours avec un pansement au pied. Elle y repensa, à cette blessure, cette scène à laquelle elle avait assistée sans que l'inconnue ne le sache. Qu'en penserait-elle, d'ailleurs ? Si elle savait que quelqu'un d'autre avait assisté à sa descente aux enfers, quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, qu'elle n'avait jamais vue, dont elle ne connaissait même pas le prénom, peut-être ? Maya savait inconsciemment que Lilah détesterait ça. Sur ce point-là, elles se ressemblaient. De ce que la jeune fille avait aperçu de la vie de son alter ego au cours de ces deux visions, Lilah dansait, elle dansait pour sa vie et sa vie était dansée. Et elle était douée. Maintenant, Maya voulait juste en découvrir plus. Elle avait les yeux dans le vide, penchée sur son carnet de croquis, dessinant avidement. Mamie Joséphine la regardait tendrement, un petit sourire aux lèvres. Sa petite-fille chérie était douée, elle aussi, et Marine n'avait jamais doutée de son talent. Pourtant la vieille dame savait que quelque chose – ou quelqu'un – l'étouffait. Mais quoi ? Et puis, Maya refusait toujours l'aide qu'on pouvait lui proposer, parce qu'elle pensait être lâche, ça Joséphine le savait. La jeune fille le lui avait avoué dans l'un de ses rares moments de faiblesse, ceux où elle pleurait et se laissait tomber dans les bras des personnes qu'elle aimait. Généralement, c'était Mila ou sa grand-mère, mais plus rarement une de ses amies. A chaque fois que cela arrivait, la jeune fille ressentait le besoin de s'exprimer d'une quelconque manière, alors elle appelait des gens, elle noircissant des pages entières de personnages qui lui ressemblaient comme deux gouttes d'eau, toujours entourés d'une noirceur, celle qu'elle ressentait au plus profond d'elle-même. Ces crises avaient débutées après le départ de son père, quand sa mère avait commencé à devenir violente.
*****
Le reste de la semaine avait été tout aussi dur pour la jeune fille. Rien que l'idée de devoir encore esquiver Ashley la fatiguait. Et si on ajoutait à ça les révisions pour un bac blanc de français qui se profilait doucement en décembre, le dessin et les cours normaux, Maya n'en pouvait plus. Le retour à l'internat était une bulle, un monde parallèle que la jeune fille appréciait et dont elle avait besoin pour décompresser, en quelque sorte. Alors quand arriva le week-end, elle était ravie de retourner chez elle pour se reposer. La seule tâche à son bonheur était sa mère, mais le fait de revoir sa sœur, qu'elle avait un peu négligée cette semaine, lui importait plus que n'importe quel coup qu'elle pouvait bien recevoir.
Mais pour l'instant, elle traînait sa valise de la semaine en direction de sa petite maison sous la pluie battante normande, et les gouttes se mélangeaient à ses larmes. Elle ne savait pas pourquoi elle pleurait. Tout ce qu'elle savait c'est que l'inconnue lui manquait. Elle lui manquait terriblement, et ce même si elle ne l'avait réellement connue qu'au cours de deux visions. D'ailleurs, les visions s'étaient arrêtées, et c'était pour cela qu'elle pleurait. Ne pas voir Lilah, dans ses rêves ou pendant qu'elle était éveillée, lui coûtait. Comment avait-elle pu devenir dépendante d'une illusion ? Peut-être n'était-elle qu'un mirage. Mais après tout, l'être humain n'était-il pas fait pour se rattacher à des fantasmes, à des chimères qui n'existaient pas ? Enfin, Maya aperçut la forme de sa maison, et elle en poussa la porte. A l'intérieur, une forte odeur de renfermé la prit à la gorge. Depuis combien de temps la maison n'avait pas été aérée ? Aucun bruit. Rien. Les volets étaient fermés, et c'était comme si la maison était à l'abandon. Dans l'entrée, là où se trouvaient normalement les affaires de cours de sa petite sœur, il n'y avait rien. Tout de suite plus inquiète, Maya attrapa son téléphone et gravit l'escalier en courant, laissant ses sacs en bas. Qu'avait-il bien pu se passer ? Qu'était-il arrivé à Marie ? Sa mère s'en était-elle prise à elle ? Avait-elle eu un accident ? Et où était Véronique ? Elle s'engouffra dans la chambre de sa sœur, pour y découvrir... Rien. Elle fouilla de gauche à droite, mais toujours rien. Pourtant elle était là, posée en évidence sur un oreiller : une lettre.
Maya,
D'abord, ne t'inquiète pas. Je vais bien, j'ai mon téléphone, tu peux m'appeler dès que tu le voudras. Je ne suis pas partie bien loin : je passe la semaine entière chez Sarah. C'est ma semaine de stage, souviens-toi, et comme elle habite juste à côté, donc c'est plus pratique. Tu ne m'as pas appelée de la semaine, et je n'en ai pas eu le temps non plus, alors j'ai pas pu te prévenir. Je sais que tu n'aimes pas ça, mais je vais essayer d'aller trouver une assistante sociale. Maya, on a besoin d'aide. Ce n'est pas normal de se faire taper par sa mère. Tu seras contre mon idée, je le sais, et je suis désolée de te laisser seule avec elle. Si ça peut te rassurer, elle n'est pas rentrée de la semaine.
Gros bisous, Mila.
La jeune fille ne savait pas si elle devait rire ou pleurer. Elle sourit devant la lettre de sa sœur, pourtant le fait que sa mère ne soit pas rentrée de la semaine ne la rassérénait pas du tout. Alors elle appela sa petite sœur.
- Allô ?
- Mila ? Je suis désolée de pas t'avoir appelée du tout. Comment tu vas ?
- Ça va. Maman est pas rentrée alors j'avais un peu peur, et j'ai dû manger des pâtes toute la semaine, mais ça va.
- Pourquoi t'as pas appelé mamie ?
- Je sais pas.
La discussion continua quelques instants encore, puis les deux sœurs raccrochèrent. Maya se fit des pâtes, qu'elle mangea devant la télé. Puis elle dessina encore, et partit se coucher. Véronique ne s'était pas montrée. Lilah non plus. Et Maya dormit bien, pour la première fois depuis des lustres.

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Le fil rouge
Novela JuvenilMaya est une lycéenne. Elle ne va pas bien, elle va même clairement mal. Elle enchaîne les problèmes à la maison. En somme, une fille très complexe. Lilah est une lycéenne. Petite fille modèle, danseuse classique, de bonnes notes. En somme, la fille...