Chapitre treize

9 3 0
                                    

Assise en tailleur sur son lit, Holly fixait l'attrape-rêve que Lewis lui avait offert un soir en rentrant de son travail. Cet objet, avec son tissage et ses plumes pendantes, l'intriguait. Elle l'observait attentivement, penchant tantôt la tête vers la droite et tantôt vers la gauche. Les enchevêtrements de cet art résonnaient en elle sans qu'elle ne puisse savoir pourquoi.

Holly se réservait de multiples instants de solitude dans ses journées. Cela lui permettait de réfléchir sur elle-même, de reprendre ses esprits, de se retrouver. C'était cela. Holly essayait de se retrouver elle-même.

— Holly ? Tu veux déjeuner ?

Ethan hélait la jeune fille du bas des escaliers. Ses cours à la fac ne commençaient pas avant l'après-midi, mais cela ne lui avait pas permis de voir sa nouvelle colocataire de la matinée.

De moins en moins timide, bien que toujours réservée, Holly partageait de plus en plus de repas avec ses hôtes. C'est alors qu'elle descendit se joindre au jeune homme qui avait déjà préparé une délicieuse tarte au thon et qui dressait désormais une table pour deux. Lewis mangeait presque tout le temps au travail ou dans un petit café près de l'horlogerie. Quant à Neal, il venait déjeuner principalement lorsque sa sœur était seule à la maison.

Les discussions n'étaient jamais très longues avec l'Irlandaise. Elle avait perdu le goût de la parole et par conséquent parlait peu. Il était alors difficile de trouver un autre sujet de discussion que les banalités telles que « Comment vas-tu aujourd'hui ? » qui n'était pas forcément très approprié au vu de la situation.

C'est alors dans le silence presque total qu'ils déjeunèrent. En effet, la télévision était allumée en fond sonore, sur une chaîne diffusant les dessins animés. Depuis l'incident deux semaines auparavant, les informations étaient très peu appréciées de la maisonnée.

Se retrouvant seule dans l'habitat, Holly se sentait plus libre. La présence des hommes ne la dérangeait pas, mais cela la rendait quelque peu anxieuse à l'idée qu'une vision vienne tous les effrayer.

Cet après-midi, la jeune fille pris la décision de sortir prendre l'air. Le simple fait de poser un pied dehors lui donnait la chair de poule. Comment des inconnus réagiraient-ils s'ils l'entendaient lâcher un cri perçant ? Les jambes tremblantes, elle ouvrit la baie qui donnait sur le jardin de la location et se donnant assez de courage, elle sorti.

Une légère brise la fit frissonner, lui donnant ainsi la sensation d'être en vie. Et en vie elle l'était. Avec le temps, l'adolescente était de moins en moins l'ombre d'elle-même, mais il lui restait encore tellement de chemin à parcourir. Elle savait que jamais plus rien ne serait comme avant. Mais était-ce trop que d'espérer retrouver une vie presque normale ? Aujourd'hui, les orteils mouillés dans la pelouse trop haute, les yeux fermés figeant l'instant présent, Holly s'imaginait chez elle, en chemin vers son ponton favori de Dunmore East. Son village natal commençait à lui manquer. Ses parents commençaient à lui manquer. Sa vie lui manquait.

— Je sens ton cœur s'ouvrir...

Holly sursauta et découvrit la fée argentée en face d'elle. Cette dernière continua sur son éternel ton céleste.

— Tu es sur la bonne voie Holly. Tu progresses. Tu évolues. Tu seras bientôt prête à savoir qui tu es.

--

Savoir qui je suis. Cette phrase résonnait dans sa tête alors qu'elle était assise à même le sol, le dos appuyé contre le mur de la cuisine. Qui suis-je ? Cette question emplissait tout son être. Plus rien n'avait d'importance autour d'elle. À l'adolescence, on se cherchait, on cherchait son identité. Holly pensait s'être trouvé, pensait savoir quelle personne elle désirait devenir. Mais aujourd'hui, qui était-elle finalement devenue ?

Était-elle seulement humaine ? Après tout, elle était seule dans cette maison à être capable de voir et d'entendre une fée. Et tout le monde savait qu'une fée était un être surnaturel qui vivait, normalement, uniquement dans les contes et les histoires pour enfants.

À l'instar d'Aïna, l'Irlandaise était-elle une créature mystique ? Holly réfléchissait. Avait-elle déjà croisé, dans un conte, dans une histoire, dans une légende, un être hurlant d'effroi devant des visions de violences ? Cela lui semblait soudain terriblement absurde. Quel genre d'histoire pourrait représenter un tel personnage ? Sa situation ne faisait pas rêver, bien au contraire. Remuant la tête de gauche à droite, elle se ressaisit. Je ne suis pas un être surnaturel. Mais qui suis-je ?

Debout, elle arpentait le rez-de-chaussée à la recherche de réponses. Elle avait besoin de savoir. Besoin de se connaître. Son esprit bouillonnait. Holly ressassait les souvenirs de son enfance en espérant y déceler des indices, des détails qui lui permettraient d'affiner son identité.

Avait-elle déjà vu des morts auparavant ? Avait-elle déjà été victime de terreur nocturne ? Avait-elle déjà expérimenté elle-même une mort imminente ? Tout cela devenait ridicule et commençait à l'agacer.

— Tu veux savoir qui tu es ? Es-tu sûre d'être prête ? questionna posément la fée scintillante.

Holly se retourna vers la voix fluette. Oui elle voulait savoir. Elle voulait mettre un nom sur ce qu'elle était. Se questionner sur le fait d'être un humain ou non était un vrai tourbillon d'incohérences. Comment un jour dans notre vie nous pourrions nous poser cette interrogation ? C'était, encore une fois, quelque chose d'invraisemblable.

— Je veux savoir. J'ai besoin de savoir. Mettre un nom sur qui je suis ne me changera pas de toute façon...

Elle se voulait courageuse et déterminée, mais son regard plongeant vers le sol la trahissait. Elle n'était pas encore prête. Elle n'était pas encore assez forte. Et Aïna le savait.

— Ce n'est pas encore le moment Holly. Ouvre-toi aux autres. Épanouie-toi davantage. Et là alors tu sauras.

Sur ces dernières paroles, la fée disparut dans un petit tourbillon argenté, laissant l'adolescente au dépourvu. Mais pourquoi diable ne voulait-elle rien lui dire ? Était-ce si compliqué de prononcer un seul minuscule mot ? Ou alors la condition de Holly était-elle si complexe ? Pourquoi tant de mystère ? La jeune fille se sentait flouée. Dans l'incompréhension la plus totale quant à son existence.

Si elle résumait, elle ne savait d'elle que peu de choses. Elle serait un portail ouvert sur le monde de la mort. Une personne hurlant d'effroi face à des visions présentes ou futures reflétant la terreur, la mort. Tout cela lui parut soudainement encore plus irréel. Tout cela n'avait aucun sens. Et cette satanée fée qui se voulait aidante, mais qui ne l'aidait pas du tout !

Une idée traversa son esprit tourmenté. Et si une simple recherche internet lui donnait la réponse à ce mystère ? Mais cette pensée fut vite balayée. Combien de fois avait-elle entendu dire qu'internet n'était pas toujours la meilleure source d'information pour comprendre son état de santé ? De plus, le seul moyen d'y avoir accès était d'utiliser l'ordinateur de son frère et elle ne souhaitait pas le lui demander. Le plus sage restait encore de prendre son mal en patience. Aïna devait savoir ce qu'elle faisait. Si elle disait que la jeune fille n'était pas encore tout à fait prête pour une telle révélation, alors c'était sûrement le cas.

Fatiguée de cette après-midi mouvementée, elle s'installa dans le canapé gris du salon. Repliée sur elle-même à l'instar d'un fœtus, elle se laissa rapidement emporter par les bras de morphée.

Épine GeléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant