Le repas du soir n’était pas totalement prêt lorsque Holly entra chez elle. Encore la tête dans les nuages, elle déposa son sac à côté de la porte et alla rejoindre sa mère à la cuisine. Un simple sourire échangé et l’adolescente récupéra un couteau dans le tiroir en bois et aida à la découpe des légumes.
Edouard White ne put retenir un tendre sourire en voyant les deux femmes de son foyer cuisiner ensemble dans un silence apaisant. Cela lui rappelait de doux souvenirs, lorsque tout allait pour le mieux. Ce tableau lui faisait chaud au cœur. Il était, tout comme sa femme, rassuré du retour de leur cadette.
Il était évident que cette soirée passée tous les trois était la bienvenue pour cette famille. Les parents White ne savaient pas combien de temps resterait leur fille, mais ils profitaient de chaque instant. Leah observait son enfant attentivement, guettant de nouveaux hurlements, tout en priant intérieurement pour que ceux-ci n’arrivent jamais.
Les sujets de conversation étaient pauvres, mais cela n’avait guère d’importance. Ils parlaient du temps, des souvenirs passés, de Neal. Holly expliquait à quel point son frère était bien installé et dévoilait quelques anecdotes sur son travail dans la boutique de musique. Edouard aimait recevoir des nouvelles de son fils, mais il appréciait par-dessus tout entendre la douce voix de sa petite fille.
Le week-end, Holly avait pris l’habitude de se réveiller avec l’odeur alléchante des pancakes de Lewis. Seulement, il n’était pas là et elle n’était pas à Londres. Ce matin, en descendant les escaliers, c’est l’odeur du bacon qui chatouilla ses narines. Son estomac gargouilla lorsque lui revinrent en mémoire les œufs à la coque que sa mère préparait tous les samedis et tous les dimanches, sans exception.
L’adolescente avançait pieds nus sur le sol froid pour prendre place à table, mais celle-ci s’évapora avant qu’elle ne l’atteigne. Tout devint soudainement flou autour d’elle. Les murs disparurent, laissant place à de la pierre brute. L’odeur du petit-déjeuner fut remplacée par celle de l’humidité et de la roche. Le soleil qui tapait à travers les fenêtres avait laissé place à des ombres difformes. Une nouvelle vision se jouait, mais cette fois, Holly n’avait pas peur.
L’atmosphère n’était pas des plus agréables, néanmoins elle n’était pas non plus néfaste. La jeune Banshee marcha prudemment, essayant de comprendre où elle se trouvait. Elle entendit quelques gouttes d’eau tomber sur le sol à rythme régulier. Quelque chose semblait vivre ici. Effectivement, un petit tabouret en bois était couché sur le sol, à côté d’une table tout aussi petite. Une tasse, contenant probablement du thé devenu froid, trônait sur sa coupelle blanche avec de petits motifs roses. L’habitat était très peu meublé, mais pas vraiment ordonné.
Holly avança un peu plus, suivant une lueur dans une cavité adjacente. Elle s’y engouffra timidement avant de sursauter, lâchant un hoquet de surprise. En face d’elle se tenait un petit homme corpulent. Il avait de gros yeux laiteux, un visage rabougrit et une barbe brune en pagaille. Ses pieds gigantesques étaient nus et sales. Il grattait l’une de ses grosses oreilles d’où jaillissaient de longs poils hirsutes, semblant réfléchir. Mais ce qui étonna le plus l’adolescente fût la personne se tenant à ses côtés. C’était Lewis.
Soudain, elle sentit une lourde main se poser sur son épaule. Holly ne pu se retenir de sursauter et hurler de terreur. Et la vision s’évanouit en un instant. La main puissante n’était autre que celle de son père.
L’adolescente vit la souffrance, l’inquiétude et la tristesse tirer les traits du visage de ses parents. Leah White était bouche bée, ses yeux humides rivés sur sa fille. N’allait-elle pas mieux ?
Holly secoua la tête, comme pour chasser la vision de son esprit. Un large sourire étira ses lèvres, se voulant un air rassurant devant ses parents. Elle ne voulait pas les inquiéter. Elle souhaitait qu’ils comprennent qu’elle allait réellement mieux.
— Maman, tu as fait des œufs à la coque ? Ça fait une éternité que je n’en ai pas mangé !
Elle préférait ignorer la situation. Peut-être que ses parents ne lui poseraient pas de questions ? Leah White hocha la tête, quelque peu surprise. Ils s’installèrent autour du petit-déjeuner et commencèrent à manger, sans faire référence à ce qui venait de se passer.
Néanmoins, le couple restait vigilant. Certes, leur fille allait mieux, c’était indéniable. Elle n’avait pas émis de cri qui leur avait tant de fois glacé le dos. Elle ne s’enfermait pas dans le mutisme. Elle ne sautait aucun repas. Mais, ils savaient que quelque chose avait changé. Ils savaient aussi que leur cadette ne leur en parlerait probablement pas tout de suite, voire jamais.
— J’imagine que tu prévois de retourner vivre chez ton frère ? demanda Edouard White.
La femme essaya de cacher la tristesse qui prenait place sur son visage ridé par l’inquiétude de ces derniers mois. Elle comprenait que ses enfants avaient besoin d’être ensemble.
— Oui. Je vais réserver un billet d’avion pour demain soir. Est-ce que vous pourrez m’accompagner à l’aéroport, s’il vous plaît ? Je peux changer de date de départ si ça vous arrange !
Elle ne voulait surtout pas imposer ses choix. Tout ce qu’elle souhaitait était leur bonheur. Cependant, elle espérait revenir vite à Londres.
Edouard White assura à sa jeune fille qu’il paierait lui-même le billet et tout ce dont elle avait besoin et qu’ils l’accompagneraient à Waterford tous les deux, bien entendu.
Les embrassades qu’ils s’échangèrent devant la porte d’embarquement étaient bien moins tristes que la dernière fois. Les parents n’avaient que peu d’inquiétude concernant le voyage et cette fois-ci, ils étaient certains qu’envoyer Holly chez leur fils lui serait bénéfique.
— Nous avons été très heureux de te revoir ma chérie. La prochaine fois, préviens-nous plus tôt et on pourra peut-être prendre quelques jours de congés pour sortir un peu tous les trois ! Neal pourra peut-être se libérer aussi pour venir, tu ne penses pas ?
Leah White était impatiente de revoir ses enfants, de revoir sa famille réunie. Elle savait qu’elle devrait encore attendre, mais elle avait hâte. Holly le comprenait, elle en parlerait assurément à son frère. Peut-être pourraient-ils même inviter leurs parents à les rejoindre à Londres. Ils auraient alors la possibilité de compléter le carnet de voyage avec eux et créer des souvenirs merveilleux.
Aujourd’hui, Holly montait dans l’avion, le cœur gonflé d’espoir. Aujourd’hui, elle s’envolait sereine pour Londres.
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Épine Gelée
FantasyElle vivait dans une famille soudée et aimante. Elle croquait la vie à pleines dents et profitait des petits plaisirs de l'existence. Jusqu'à son seizième anniversaire. Désormais, elle ne pouvait laisser échapper que des cris inhumains. Elle se méta...