Épine Gelée

Chapitre dix

Holly, assise sur son lit, fixait une petite tâche brunâtre sur le mur d'en face. Elle devait réagir. Au moins pour son frère. Pour ses parents. Il fallait qu'elle se ressaisisse, qu'elle trouve une solution, qu'elle remonte à la surface.

Soudain, elle entendit une petite voix fluette, mais décidée, percer le silence.

— Bonjour Holly. Est-ce que tu m'entends ?

L'intéressée sursauta, surprise et tourna la tête pour inspecter la pièce d'un regard interrogateur. Qui était-là ?

— Je vois bien que tu m'entends. Ne me vois-tu pas ? continua la douce voix.

Holly se redressa, méfiante. Était-ce une autre sorte de vision ? Les sons qu'elle entendait habituellement étaient puissants, dérangeants, gorgés de haine ou de peur. Or cette voix lui paraissait sympathique, bienveillante.

— Tu ne dois pas être encore prête, mais tu le seras bientôt. Que tu m'entendes est déjà un bon signe.

Debout au milieu de sa chambre, elle tournait, scrutant chaque recoin de la pièce. Qu'est-ce qu'il se passait ? À qui appartenait cette voix ? Il fallait qu'elle le sache ! Il le fallait à tout prix. Cette voix l'attirait. Elle l'appelait. Holly sentait qu'elle devait l'écouter, lui répondre. Cette voix ne devait pas disparaître.

Alors, elle entrouvrit ses lèvres et tenta de s'exprimer. Mais comment faisait-on déjà ? Cela faisait si longtemps. Elle referma sa bouche et se racla la gorge. Holly ignorait quel son aurait sa voix après tant de mois sans parler. Mais elle devait essayer.

— Qui ...

Ce simple mot n'était qu'un murmure rauque. Aucune puissance. Aucune émotion. Holly fut presque surprise de ce son. Elle tenta à nouveau, sans succès. La troisième tentative fut meilleure.

— Qui...es...tu ?

Ses cordes vocales lui faisaient mal. Elle porta machinalement sa main à sa gorge, la raclant bruyamment et fronçant les sourcils.

— Bois. Tu as besoin de t'hydrater Holly.

Elle obtempéra face à la voix. Se dirigeant vers le bureau blanc, elle s'empara du pichet d'eau qui lui parut si lourd et versa le liquide transparent dans un verre. Elle but doucement petite gorgée après petite gorgée. Le liquide tempéré glissa dans sa gorge comme un élixir tant attendu.

— Tu te demandes qui je suis ? C'est tout à fait normal. Je suis Aïna, la fée qui te guidera tant que tu accepteras d'avancer.

Aïna. Une fée. Une fée s'adressait à Holly et voulait l'aider ? La jeune irlandaise ne savait plus quoi penser, mais elle était persuadée qu'elle devait rester en contact avec cette créature, qu'elle devait lui faire confiance. Elle passa alors le reste de la journée à s'interroger sur cette nouvelle apparition, tout en ressassant les paroles de son grand frère. Il avait raison. Holly devait se reprendre en main. Cela devenait nécessaire.

Perdue dans ses pensées, Holly eu un léger sursaut lorsqu'elle entendit deux petits coups sur la porte de sa chambre. Elle fût d'autant plus surprise en découvrant que ce n'était pas Neal, mais son ami Lewis qui pénétrait dans la pièce. Pourquoi venait-il la voir ?

— Salut ! En rentrant du travail, je suis passé devant une petite boutique et j'ai pensé que je pouvais te trouver un petit quelque chose.

Comme à son habitude, Lewis était plein d'entrain. Rien ne pouvait ébranler sa bonne humeur. Toute la journée, il avait réfléchi à ce qu'il pouvait bien faire pour aider la jeune Holly. De quoi avait-elle besoin ? Et le soir, en sortant de la petite boutique d'horlogerie dans laquelle il travaillait depuis plusieurs années, il sut ce qui aiderait la jeune fille.

Lewis approcha de celle-ci, apparemment trop rapidement puisque Holly eu un mouvement de recul et cogna son dos contre le mur. Il s'arrêta, surpris, et se racla doucement la gorge. Il décida de ne pas relever ce qui venait de se passer.

— Enfin voilà. Je tiens à t'offrir ce cadeau un peu spécial.

Il marqua une pause, l'objet mis en avant entre ses mains. Il attendait une réaction de la part de la jeune fille, mais rien n'arriva. Il entreprit alors de lui expliquer ce que c'était.

— C'est un attrape-rêve. La vendeuse m'a dit que ça venait de la culture amérindienne. La légende dit qu'un homme avait rencontré un monstre terrifiant dans une grotte, lors d'une sortie en chasse. Il était tellement terrifié que toutes les nuits suivantes, il faisait des cauchemars tous plus horribles les uns que les autres. Un jour, il est parti à la chasse et s'est endormi dehors, près d'un arbre. Cette nuit-là, il n'avait pas fait de cauchemar. Le lendemain matin, il a découvert qu'une grande toile d'araignée avait été tissée sur l'arbre. Depuis ça, il a toujours pensé que les toiles d'araignées capturaient les mauvais rêves.

Holly l'écoutait avec une grande attention, tout en se demandant pourquoi il lui racontait cette histoire et pourquoi il tenait à lui offrir ce présent. Tout en manipulant machinalement l'attrape-rêve entre ses doigts, Lewis continuait son récit, se souvenant de ce que la vendeuse lui avait expliqué.

— Les araignées ne pouvaient pas tisser des toiles auprès des lits de tous les Amérindiens de la tribu, alors elles ont demandé de l'aide aux femmes. C'est comme ça que les attrape-rêves ont été créés.

Il hésita à s'approcher un peu de Holly, mais décida finalement de ne pas avancer. Il lui présenta l'attrape-rêve aux couleurs claires. Il appuya toutes ses explications en montrant l'une ou l'autre des parties de cet objet qui commençait à fasciner la jeune Holly.

— Le trou au centre laisse passer les rêves qui sont ensuite capturés par les plumes afin de les garder toujours près de la personne qui le possède. Les ficelles qui se croisent comme une toile d'araignée servent à emprisonner les mauvais rêves qui seront détruits au lever du jour. L'idéal est de le placer à la tête de son lit, un peu en hauteur.

Lewis se pencha doucement et étira son bras afin de déposer l'attrape-rêve au bord du lit. Une fois redressé, il ancra quelques secondes son regard dans celui de la jeune fille, puis sorti de la chambre avec une dernière parole.

— J'espère qu'il apaisera tes nuits.

Après plusieurs minutes, Holly saisit l'attrape-rêve. Elle l'étudia méticuleusement, le scrutant sous tous les angles. C'était un très bel objet. Au-dessus de la tête du lit, une petite pointe était enfoncée dans le mur. Holly prit soigneusement la boucle faite au sommet de son cadeau et l'enroula autour de la tête de la pointe.

Elle fixa l'objet, les plumes balayant le mur de gauche à droite. Elle ne savait pas si cette simple fabrication artisanale allait pouvoir apaiser ses nuits, mais elle aimait croire en l'aide que celle-ci pourrait lui apporter.

Holly se glissa sous les draps, le cœur plus léger en cette fin de journée. Demain sera un nouveau jour. Demain sera le début d'un quotidien meilleur.