Chapitre trente-huit

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Les transports en commun n'étaient pas ce qui manquait à cette ville-état pleine de contrastes. Cependant, les deux amis privilégiaient la marche au maximum. L'adolescente souhaitait éviter la foule, éviter les endroits clos. Elle se sentait encore mal à cause de ce qu'il s'était passé dans l'avion. D'ailleurs, ni l'un ni l'autre n'avait évoqué cette soudaine vision.

L'heure du déjeuner était déjà passée, et leurs estomacs se firent entendre. Lewis les entraîna dans la boulangerie la plus proche. Ils prirent chacun un sandwich, accompagné d'une boisson, puis ils s'installèrent à l'entrée de l'impressionnant parc « Planten un Blomen ».

Il faisait beau. C'était agréable de s'assoir dans l'herbe, profiter du soleil et manger. Ils se sentaient dans leur bulle. Le parc était si grand, la verdure si luxuriante qu'ils n'avaient pas l'impression d'être en plein cœur du centre-ville.

— Tu sais que tu as des yeux magnifiques ? laissa-t-il échapper alors qu'il observait les pupilles uniques de la jeune fille, avec fascination, comme d'habitude.

Holly avala sa bouchée de pain de travers. Elle toussa pour s'en débarrasser et bu une gorgée de sa boisson. En même temps, les mots de Lewis résonnaient en écho dans sa tête. Ce dernier, en voyant que tout allait bien, se para d'un large et franc sourire. Elle lui plaisait toujours autant.

— Je suis censée répondre quoi ? questionna-t-elle en retour, la voix un peu rauque à cause du morceau de pain.

— Rien de spécial. Tu sais de quelle couleur ils sont ?

L'adolescente fronça les sourcils. Mais où voulait-il en venir ?

— Evidemment que je le sais ! Ils sont bleus !

Lewis pencha la tête sur le côté et grimaça légèrement. Comment lui expliquer ?

— Est-ce que tu t'es regardé dans un miroir, dernièrement, et en faisant attention à tes yeux ?

L'adolescente commençait à s'agacer. Elle ne comprenait pas. Elle prit son téléphone, le déverrouilla et alluma l'appareil photo. Elle observa son reflet dans l'écran. Après avoir essuyé un peu de sauce au coin de ses lèvres, elle vérifia la couleur de ses yeux.

— Ils sont bleus. C'est quoi le problème ?

— Ils sont violets pour moi. Je ne saurais pas comment l'expliquer, mais ça fait des semaines que je les vois de cette couleur. Ça ne change jamais. Des fois, ils sont plus intenses, mais toujours dans les tons violets. Est-ce que tu sais pourquoi ? Je n'ai rien vu à ce sujet sur internet, et pourtant, j'ai cherché !

Holly ne savait même pas quoi répondre. Sa bouche s'ouvrit pour former un magnifique « o » et ses yeux s'écarquillèrent. Comment était-ce possible ? Cette couleur avait-elle un lien avec sa condition de Banshee ? Aïna aurait-elle une réponse à lui apporter ? Son frère voyait-il également cette couleur plus qu'inhabituelle dans ses prunelles ?

— Je crois que je suis le seul à le voir. La question c'est juste : pourquoi ?

— Le seul ? C'est bizarre.

L'adolescente n'avait aucune explication à apporter. Comment aurait-elle pu ? Finalement, elle avait encore des choses à apprendre sur elle-même. Elle était devenue une Banshee depuis quelques mois et en avait conscience seulement depuis quelques semaines. Qu'ignorait-elle d'autre à son sujet ? La liste pouvait aussi bien comporter que deux lignes ou un millier. Qui sait ? Aïna saura peut-être l'aiguiller. Mais où était-elle ? La jeune fille ne l'avait pas revue depuis le soir de sa rencontre avec le Dullahan.

— On va faire un tour ? Nous sommes ici dans un but précis, rappela la jeune Banshee.

Lewis se leva, imitant l'adolescente.

— Ah oui, on doit rencontrer quelqu'un dont on ne connaît rien !

Nonchalant, il accompagna son exclamation d'un petit rire moqueur. Holly lui tira la langue, dans un geste enfantin et s'élança sur le chemin sans l'attendre.

De prime abord, elle les avait entraînés dans le Planten un Blomen seulement muée par son instinct. À présent, elle savait exactement où elle allait. Se remémorant sa vision, elle avançait, confiante, vers l'endroit où devait se terrer le Nain. La jeune Banshee le savait. Comment ? Elle l'ignorait.

Lewis la suivait sans un mot. Il observait les plantes exotiques de l'immense jardin. C'était splendide. Il prêtait également attention à sa partenaire secrète. Elle était concentrée. Jamais elle n'avait mis les pieds dans ce lieu auparavant, mais elle semblait connaître le chemin sur le bout des doigts.

Elle se stoppa et failli chuter à cause du jeune homme qui n'avait pas anticipé cet arrêt soudain.

— Est-ce que quelqu'un nous regarde ? lui intima-t-elle.

Fronçant les sourcils, il fit un tour sur lui-même, observant les alentours. Personne ne semblait prêter attention à leur duo. Pourquoi le ferait-il d'ailleurs ? Ils vivaient sans se soucier de ce qui les entouraient. C'était très simple. Et beau à voir.

— Négatif, cheffe ! s'exclama-t-il dans un demi-murmure.

Holly lui tapa gentiment l'épaule, comme pour lui faire comprendre de rester sage. Puis elle écarta le feuillage et passa à travers, suivi de près par son acolyte.

— Fais attention, ou sinon tu vas tomber.

Sur ces mots, elle poussa du pied un amas de feuilles compact et se glissa dans le trou. On aurait dit l'entrée d'un terrier, mais bien plus grand que pour accueillir une famille d'adorables lapins. Lewis s'engagea dans ce tunnel sombre en songeant à tous les films d'aventure qu'il avait pu voir. Ici, il ne serait pas le héros principal, mais plutôt l'homme secrètement amoureux de l'héroïne, toujours prêt à la protéger, même si elle en était capable seule.

Collés l'un contre l'autre, ils avancèrent doucement, longeant les parois de pierre et de terre du tunnel étroit. Lewis ignorait tout de la situation, mais l'adolescente semblait si confiante qu'il ne s'en formalisa pas. Elle savait ce qu'elle faisait, c'était évident.

Quelques mètres plus loin, ils s'arrêtèrent. Le tunnel se séparait en deux. Celui de gauche était sombre et semblait ne jamais finir. Celui de droite laissait percer une lueur et l'espoir de ressortir un jour de cet endroit. Lewis se mit à réfléchir tout haut.

— De suite, je voudrais prendre celui de droite. Dans les films, le chemin sombre n'est jamais le bon. Cependant, peut-être que c'est un piège et qu'il faut prendre celui de gauche ? Tu en penses quoi, Holly ?

La jeune Banshee laissa échapper un petit rire amusé.

— Il faut prendre celui de droite. Regarde en haut des alcôves.

— « Bienvenue chez Thrargolin Bottlerock », lu-t-il sur l'alcôve de droite. « Mon garde-manger », continua-t-il en lisant l'inscription sur l'alcôve de gauche. Mmh, voilà ce qui explique la pénombre ! Allons à droite !

Holly leva les yeux, amusée par le comportement de son ami.

— C'est parti ! lança-t-elle.

Les deux jeunes s'engagèrent alors sur le bon chemin. Il ne leur fallu que quelques pas pour faire face à un homme rabougrit. Le même homme qu'Holly avait vu dans une précédente vision. Ils avaient trouvé la bonne personne. Ce Nain allait les aider à affronter le Dullahan !

— Héliotrope, la jeune Changeling et son compagnon. Je vous attendais, annonça-t-il en anglais, avec un fort accent allemand, roulant exagérément chaque « r ».

Timidement et poussée par le léger coup de coude de Lewis, l'adolescente se racla la gorge et rectifia l'erreur de leur hôte.

— Désolée Monsieur Bottle..Bottlerock, mais je m'appelle Holly et je suis une Banshee, pas une Changeling.

Le vieil homme frotta la naissance de sa barbe en prononçant des « Mmh je vois » à peine perceptible, avant de s'adresser à nouveau à ses invités.

— Je sais qui tu es Héliotrope. Et toi, le sais-tu ?

Épine GeléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant