Nous marchons depuis une dizaine de minutes déjà. Le silence qui s'est installé entre nous ne me dérange pas, au contraire. Cela me permet de m'évader, de laisser libre cours à mes pensées. Le parc n'a pas changé. Le chemin que nous empruntons est bordé de fleurs et de saules pleureurs, les oiseaux dansent au dessus de la rivière, et moi je donnerais tout pour ne jamais partir d'ici. Je ferme les yeux et respire profondément, laissant mes poumons s'emplir de cet endroit qui ne cesse d'apaiser mes peurs. Quelques secondes se sont écoulées, et je ne peux m'empêcher de sourire. À quoi peut-il penser en me voyant ainsi ? Je dois avoir l'air ridicule. Pourtant, au fond de moi, je souhaite que cela me soit égal, parce que si je le pouvais, je passerais des heures, des jours ici, à observer la beauté des oiseaux, à écouter les chants des arbres qui m'entourent. Si je le pouvais, ou du moins, si j'osais, je danserais jusqu'à n'en plus pouvoir, riant à s'en briser la voix, et je ne ferais qu'un avec la nature. Cela me manque, d'être heureuse.
- Qu'est-ce qui me vaut le plaisir de voir un tel sourire ? me demande-t-il tout en me regardant tendrement.
Je ne m'attendais pas à devoir sortir aussi rapidement de ma rêverie. Je m'arrête de marcher, perturbée par sa question. Que suis-je censée répondre ? Je ne veux pas passer pour une idiote, et pourtant aucune autre réponse ne me vient.
- Oh pas grand-chose, réponds-je, tout en remettant ma mèche de cheveux derrière mon oreille, encore gênée par ce qui venait de se passer.
Voyant l'expression perplexe dans son regard, je me doute qu'une chose le taraude. Par pitié, qu'a-t-il encore à me demander qui pourrait davantage lui montrer une part de moi que je souhaite cacher ?
- Je peux te poser une question ? me questionne-t-il tout en prenant soin de ne pas sembler trop indiscret.
Et malgré la peur qui se forme dans mon ventre et la douleur insaisissable de ma gorge qui se noue, je décide de lui répondre.
- Oui, bien sûr.
Il décide alors de se poser face à moi. Du haut de son mètre quatre-vingt, il paraît comme un protecteur, un ange gardien qui ne cesserait jamais d'être là pour moi, et qui, coûte que coûte, se battrait pour moi. C'est en tout cas, ce que j'aimerais croire. Mais les choses ne sont pas si faciles, n'est-ce pas ? Ayden s'approche un peu plus de moi, se trouvant alors à quelques centimètres.
- Pourquoi tu ne t'autorises jamais à être heureuse ? Je veux dire, cela ne fait pas longtemps que l'on se connaît et pourtant je vois bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas. On dirait que tu refuses de vivre. Tu existes depuis des années mais as-tu, ne serait-ce qu'une seule fois, essayé de vivre ?
Je m'attendais à tout, absolument tout, mais jamais à cela. Ses mots sont arrivés comme des coups de poignards, et une fois de plus, je ne sais pas ce que je suis censée répondre. Et puis au fond, y'a-t-il une bonne réponse à donner ? Ses questions tambourinent encore dans ma tête. Je n'avais jamais réfléchi à cela. Pourtant, quand j'y pense, je sais qu'il a parfaitement raison. Mais comment vivre quand on ne sait pas comment faire ? Comment se lever un matin en se disant que ça ira ? Comment exister sans cette boule au ventre qui ne part pas ? Je suis spectatrice de ma propre vie, depuis des mois, des années peut-être. Je n'ai jamais su comment je devais faire, qui je devais être, pour vivre.
- Je ne sais pas Ayden. Peut-être parce que je ne sais pas comment on fait, lui réponds-je en évitant son regard.
Il relève mon visage en posant sa main en dessous de mon menton et me regarde dans les yeux. Je peux voir sa tristesse comme il peut voir ma détresse et c'est à se demander lequel de nous deux tombera en premier.
- Je t'apprendrai, me répond-il en déposant un baiser sur mon front.
Nous recommençons à marcher, parlant de tout et de rien, laissant notre discussion en suspens, dans un coin de notre tête, là où toutes les discussions qui marquent nos vies décident de se loger. On parle de la vie, de la nuit, des étoiles et de nous. Il me raconte ses bêtises d'adolescent paumé, ses moments de joie et ses moments de peine, mais ne fait en revanche jamais allusion à son enfance. Je ne cherche pas à en savoir davantage, après tout cela ne me regarde pas.
***
Je suis rentrée assez tard, vers vingt heures trente si je ne me trompe pas. Après avoir mangé quelque chose de rapide et regardé une ou deux émissions banales sur mon ordinateur, je me décide à l'éteindre et à m'étaler sur mon lit.
Je n'arrête pas de repenser à ce qu'Ayden m'a dit trois heures plus tôt, sur le fait que je n'avais jamais essayé de vivre. Vivre. C'est le mot le plus simple de l'univers et pourtant le plus difficile à concevoir. Et je crois bien que cela le reste encore bien trop pour moi. Je crois que je vais devoir continuer de survivre, au moins pour un temps. Le temps que mes larmes cessent de couler, et que mon coeur cesse de se briser. Le temps que cette souffrance s'apaise et cesse de me détruire à chaque inspiration. Le temps que ce trou béant dans ma poitrine s'en aille, peut-être pour de bon. Le temps que je comprenne. Que je comprenne que oui, je mérite de vivre, et d'être heureuse.
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C'était toi, malgré tout. [EN REECRITURE]
Teen Fiction"C'est donc ça ma vie désormais ? Ne plus pouvoir rien faire à cause de cette fichue anxiété sociale ? De quoi ai-je l'air ? Je ne peux pas rentrer comme cela de toute façon, qu'est-ce que l'on va bien pouvoir penser de moi ? Je n'ai rien pour plair...