J'avais passé le week-end à repenser à cette conversation - aurais-je vraiment dû me taire ? - et à l'image que cela avait pu renvoyer de moi. Mais moi, c'est aussi mon passé, et je sais que je ne pourrai jamais m'en séparer, mais s'il pouvait peser un peu moins lourd, alors pourquoi pas en parler? Je suis les failles qui m'ont construite et les quelques bouts de mon cœur qui battent encore. Je suis parfaitement incomplète.
Ce week-end avait été un réel moment de réflexion pour moi, sur ma vie tout entière et sur ce que je comptais en faire. Je me suis surprise à avoir peur du sort des autres plutôt que du mien, ou un peu des deux finalement. Parce que aussi naturel et habituel que cela puisse être, la mort sera pour moi mon éternelle ennemie. Je ne pourrai jamais accepter qu'un être plus puissant et inévitable que n'importe quel autre puisse emporter la seule chose que j'ai en ce monde. Je ne pourrai jamais me résoudre à accepter que les êtres que l'on aime plus que tout au monde puissent s'évaporer en un claquement de doigts, et que mes mots n'aient pas pu être dits à temps. Égoïste pour une fille qui n'ose même pas dévoiler ses sentiments à la personne qu'elle aime, et encore moins aux personnes qui lui ont toujours été proches. Ça a toujours été comme une sorte de malédiction chez moi. Aimer plus que ma propre vie, et ne jamais prendre le temps de le dire. pire encore, le regretter quand il est déjà trop tard. Trop de fois je me suis écroulée, trop de fois j'ai hurlé la douleur d'un départ éternel, à me détruire les cordes vocales et à ne plus pouvoir respirer. Pourtant je recommence à chaque fois. À chaque fois je me dis que j'aurai le temps, que je le ferai plus tard, mais bordel on a jamais le temps, jamais. On pense pouvoir le contrôler mais c'est faux. Au fond, je crois qu'on vit tout cela comme une malédiction. La mort. Moi, c'est de la vivre sans avoir pris le temps de vivre avant.
J'avais longuement réfléchi à cela - un peu trop - il en a fallu peu pour moi pour que je me décide à sauter dans le premier train. C'est un peu ça aussi mon problème je crois. Ressentir intensément, jamais assez souvent. Voilà déjà quelques heures que je suis chez mes parents, un carnet sur les jambes et un stylo à la main, à demi allongée sur le canapé du salon de jardin. Le ciel est dégagé et l'air est doux, le silence se fait parfois accompagner par le chant des oiseaux, et moi je ne peux pas rêver mieux pour trouver de l'inspiration. Les mots me viennent presque naturellement, que cela me semble irréel.
Les cours de lundi et de mardi étant annulés, j'ai décidé de rester ici pour la journée et de repartir demain en début de soirée. Je n'avais pas serré ma mère dans les bras comme je l'aurais tant souhaité, encore à cause de mes peurs à la con, mais peut-être qu'au final, c'est moi le problème, pas elles. Je n'ai même pas le courage de montrer à une personne combien je l'aime, quelle sorte d'égoïsme et de lâcheté est-ce ? J'ai tant de fois eu honte de ne pas avoir suffisamment montré la puissance de mes sentiments, peut-être ne m'a-t-on jamais appris combien ils étaient normaux. Peut-être ne m'a-t-on jamais aidé à grandir en me disant que ressentir intensément n'était pas une tare.- Qu'est-ce que tu écris ? me demande ma mère en s'installant dans un fauteuil à côté de moi.
- Des citations, mais rien d'incroyable.
- Tu penses que t'en feras un livre ?Je m'arrête d'écrire.
J'aimerais, mais je n'en ai pas les capacités.
Pourtant il n'y aurait rien de plus beau pour moi que de tenir mon propre livre entre mes mains. La fierté d'avoir accompli quelque chose, d'avoir eu le courage de parler de mon passé et de ce que je ressentais, ou ressens encore aujourd'hui. Mais il y a cette partie de moi qui me hurle que je n'y arriverai jamais, que ce n'est pas fait pour moi, que mes mots ne toucheront jamais autant que je le voudrais. Cette partie qui me fait abandonner la quasi-totalité de mes projets, qui me fait perdre confiance en moi et qui me fait croire que je ne mérite pas de réussir. Que finalement, je n'ai pas ma place ici, et que je ne l'ai probablement nulle part.- J'aimerais. Mais ce n'est pas parce que je le veux que je le peux, réponds-Je penaude.
J'aimerais tant lui donner une raison d'être fière de moi.
Je m'en suis toujours voulue de l'avoir autant fait souffrir pendant mon adolescence. Je me suis toujours sentie coupable de ce qu'il m'arrivait, parce que, que je le veuille ou non, cela l'impactait automatiquement. Bien trop, et bien plus que je ne pouvais l'imaginer. Ma mère s'était battue contre mes harceleur et contre mon harcèlement lui-même. Je l'ai vue crier au visage de ceux qui refusaient de m'aider, et qui en avaient pourtant le pouvoir, je l'ai vue pleurer à la peur de me perdre quand j'avais fait l'impensable, je l'ai vu se battre pour deux, quand je ne vivais plus. Elle a eu la force que je n'aurai jamais, et que sûrement personne n'aura jamais. Je me sentirai éternellement responsable de son propre bonheur et de sa propre santé, parce que ce sont l'une des choses que je lui dois le plus au monde.
Et ce que je trouve encore plus puissant aujourd'hui, c'est que malgré tout, elle est restée. Elle est restée quand je lui ai hurlé de partir. Elle est restée quand je lui ai hurlé que je la détestais alors que c'était de moi même dont je parlais. J'aurais pu la perdre, mais elle est restée. Aujourd'hui on a su retrouver ce qu'on avait trop vite perdu, et je pourrais détruire le monde pour lui donner ce qu'elle a tant mérité.
Maman, sois heureuse s'il-te-plaît.
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C'était toi, malgré tout. [EN REECRITURE]
Teen Fiction"C'est donc ça ma vie désormais ? Ne plus pouvoir rien faire à cause de cette fichue anxiété sociale ? De quoi ai-je l'air ? Je ne peux pas rentrer comme cela de toute façon, qu'est-ce que l'on va bien pouvoir penser de moi ? Je n'ai rien pour plair...