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Nous avions discuté pendant de nombreuses minutes encore avec Héloïse. Elle n'a pas cherché à m'en faire dire davantage, sur mes sentiments envers Ayden et sur ce que je souhaiterais avec lui, et c'est peut-être mieux ainsi. Avant de couper l'appel vidéo, elle m'a envoyé la fameuse liste de choses à faire, mais je ne sais pas si je serai véritablement capable de faire chacune des choses qui y sont écrites. Parfois il me vient l'envie de faire un retour en arrière brutal, de tout envoyer en l'air et de retourner dans mon cocon. Et je ne sais pas ce qui me fait le plus peur : continuer d'avancer ou replonger ?  Peut-être un jour trouverais-je la réponse à toutes ces questions, à tous ces doutes qui m'accablent et me freinent quotidiennement. La liste est pourtant simple, mais les choses qui y sont écrites me semblent insurmontables.

Liste de choses à faire.
- aller à une soirée
-  inviter quelqu'un quelque part
- aller au cinéma
- demander à Ayden de le voir
- parler de choses qui te pèsent
- parler de choses qui te font du bien
- aller vers les autres
- terminer ton livre

Mon livre... Je l'avais presque oublié. Voilà déjà plusieurs jours que je n'y ai pas touché. Pourtant il a déjà beaucoup avancé, et c'est sûrement une chose dont je dois être fière. Mais mes doutes restant les mêmes, il m'est impossible de me dire qu'un jour ce livre sera entre mes mains, et que de nombreuses personnes souhaiteront le lire et en parler. Entre le plan et cette liste, je ne manque pas de choses à faire pour apprendre à vivre. Mais est-ce seulement guérir que d'apprendre à vivre ?

***

J'ai longtemps réfléchi à ce que je devais faire en premier, à qui je devais appeler, à qui je devais tenir au courant de telle ou telle chose. J'ai passé des jours à ressasser tout le chemin parcouru jusqu'ici, les exploits et les rechutes, les pleurs et les rires. Puis j'en suis venue à l'idée de ne plus suivre le plan, enfin, de ne plus y prêter réellement attention du moins, et de faire les choses comme je le sens, comme je le souhaite. Accepter d'être guidée par mes émotions. J'ai décidé de ne plus avoir à me confier, ou à prévenir telle personne de telles choses. Si les personnes tiennent véritablement à savoir les choses, elles le demanderont.
Lou et moi n'avions pas parlé depuis un moment. C'est peut-être cela, des vrais amis. Des personnes qui pourront ne pas se parler pendant des semaines sans que cela y change quoi que ce soit, des personnes qui pourront ne pas se voir pendant des longs jours sans que cela n'altère leur complicité et leur confiance. C'est du moins, ce que j'aime à croire. Au fond, ce n'est pas plus mal qu'elle ne me pose pas de questions, ou qu'elle ne cherche pas à me voir, parce que je ne sais pas si j'aurais le courage de lui répondre.

- Mademoiselle Ambre, vous êtes avec nous ?

Je sursaute surprise par la voix de mon professeur, et fais tomber mon stylo au passage.

- Oui, excusez moi, réponds-je en sortant de ma rêverie.

Alors que je sens mes joues rougir, je garde les yeux rivés sur ma feuille, de peur de croiser le regard d'une quelconque personne. Le cours se fait long, et je ne sais pas si je tiendrai encore longtemps. Je prends la feuille en face de moi et commence à griffonner quelques mots. Quelques phrases qui peut-être finiront dans mon livre, qui sait ? Alors que j'étais en train d'écrire une nouvelle citation, le prof nous indique que nous pouvons sortir, et que nous en avons fini pour aujourd'hui.
Il n'était pas trop tôt !
Je range mes affaires et sors avec précipitation. Je ne peux pas m'empêcher de repenser à l'incident qu'il y a eu en classe, et à ce que les autres ont bien pu penser de moi.
On s'en fiche, non ?
J'aimerais pouvoir n'en avoir rien à faire, mais ça reste encore bien trop compliqué pour moi. Il y a des blessures qui ne semblent pas vouloir guérir, et qui au moindre fait, semblent se rouvrir un peu plus. J'accélère le pas en priant pour que personne ne me regarde, parce que ça aussi, je semble ne pas en avoir véritablement guéri. Les regards posés sur moi, aussi douloureux que les mains sales contre lesquelles je ne me suis pas assez battue, semblent laisser des traces indélébiles sur mon corps. Une fois arrivée près de chez moi, je cours vers mon point de repère habituel, celui qui m'a vue rire et pleurer, et qui jamais, n'en a dit un mot. En cette saison, les saules pleureurs sont tout bonnement majestueux, et à mes yeux il n'y a rien de plus magnifique. Je m'assois avec précaution au pied de celui-ci, et prends une grande inspiration.
Ça va aller.
Je le sais, que ça va aller, il faut juste un peu plus de temps que prévu. Je repense alors à tout ce que j'ai traversé jusqu'ici, les larmes et les cris, les peurs et les douleurs, puis inévitablement, je pense à lui. Lui, qui m'a sauvée tant de fois sans même le savoir. Ayden a été l'ange gardien que je n'ai pas demandé, mais que je ne voudrais pour autant jamais voir partir. Il est ce que j'ai de plus précieux en ce monde, et je donnerais tout pour qu'on ne me l'enlève pas, je n'y survivrai pas. Il a su voir en moi des choses que jamais personne n'avait cherché à connaître ou à comprendre, il a su se battre malgré tout, rester quand je lui hurlais de partir, et je ne saurai jamais le remercier pour cela. Pourtant je ne peux m'empêcher de repenser à ce que Héloïse m'a dit, et un sentiment de honte me submerge. Il mérite de tout savoir. Il mérite plus que quiconque de savoir pourquoi, quand et comment.
Je sors de ma poche la fameuse liste que j'avais recopiée un peu plus tôt. Je la fixe attentivement, comme si les mots qui s'y trouvaient devaient être déchiffrés.
Tu devrais peut-être commencer par appeler Ayden...
Pourquoi diable passer un simple appel me semble aussi insurmontable ? Je reste figée quelques secondes avant de prendre mon téléphone en main, et après une longue hésitation, je me décide à le faire. Il mérite de savoir.

- Ambre ? Tout va bien ? Me demande-t-il inquiet.
- Euh... oui, oui tout va bien. Je... Je voulais juste prendre de tes nouvelles.

Quelle idiote tu fais.

- D'accord...

Un silence interminable s'écoule avant qu'il ne reprenne.

- Tu veux que l'on se voit ?

Mon cœur rate un battement. Bien sûr que je veux le voir, pour rien au monde. J'acquiesce sans hésitation, le sourire aux lèvres.

- J'arrive dans 20 minutes, ne t'enfuis pas, dit-il taquin.

C'était toi, malgré tout. [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant