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J'avais longuement réfléchi à la façon dont je devais continuer à vivre. C'est idiot à dire, peut-être encore plus à penser. Suis-je véritablement obligée d'en parler ? Suis-je obligée de raconter l'obscurité qui m'entourait, la douleur infinie qui me nouait gorge et qui ne cessait de s'agrandir au fil des jours? Ne pourrais-je pas le hurler à la place ? Hurler comme la solitude et les mots m'ont brisée, hurler comme je souffrais, et comme chaque jour qui passait me tuait un peu plus que le précédent? J'ai tant de fois imaginer ce que serait ma vie si j'arrivais à poser tous les mots que j'aimerais poser, à quoi ressemblerait mon livre, et le titre que je lui donnerais. J'ai tant de choses à raconter, peut-être un peu trop. Mais trouverais-je seulement la force d'essayer ?
Apprendre à vivre, quelle idée stupide quand on ne veut pas réellement essayer.

Ambre : Merci de m'avoir écoutée.

Je repose mon téléphone sur mon bureau, le cœur toujours lourd et l'esprit tourmenté. Il faut que j'en parle, que je l'écrive, que je le hurle. Plus que tout au monde j'en ai besoin. Je me dois bien ça, non ? Alors je me pose devant mon ordinateur et j'écris. J'écris mes peurs, mes doutes, mes pleurs. J'écris comme le monde m'a fait mal, comme il m'a détruite. J'écris les mots violents prononcés à une gamine de quatorze ans, qui pensait que ne plus respirer était sa seule issue. J'écris ma colère contre toutes ces personnes qui ont souhaité me voir un jour disparaître, et celles qui ont tout fait pour.  J'écris comme ils ont tout perdu, et moi tout gagné : la force d'exister. Pourtant, j'ai la sensation que je ne serai jamais assez satisfaite, que les mots ne seront jamais assez, jamais puissants, jamais suffisamment nombreux, pour apaiser mon cœur de toutes ces atrocités. Mais qui peut bien souhaiter à une enfant de mettre fin à sa propre vie? De quel droit peut-on pousser une personne à commettre l'irréparable, et pourquoi ? Tant de questions auxquelles je ne trouverai jamais réponse, tant de questions auxquelles on a su me dire que ce n'était que des enfants.
Mais moi aussi, je n'en étais qu'une.

Ayden : je serai toujours là pour t'écouter. Je serai toujours là pour écouter ce que personne n'a voulu écouter auparavant.

Une larme coule sur ma joue, puis mes pensées m'emportent.

***

- Donc vous êtes en train de me dire que des élèves vous insultent ? me demande-t-il froidement.
- Oui... Enfin, ils me laissent toute seule, ils se moquent de moi...
- Oui bon c'est tout à fait normal ça mademoiselle, c'est juste pour rigoler.
- Non, mais vous ne comprenez pas. Je me sens vraiment mal. C'est comme ça tous les jours, j'en peux plus.

Une larme coule sur ma joue, puis une deuxième. Je tire machinalement sur ma manche, la boule au ventre tout en sachant où je vais devoir en venir.

- Y'a pas de quoi en faire une histoire, ce ne sont que des histoires d'adolescents, rien de plus. Vous êtes trop sensible, ajoute-il d'un regard accusateur.

La gorge nouée, je me rapproche du directeur. Je lève la manche de mon pull avec précaution, et le regarde dans les yeux.

- S'il-vous-plaît, je ne vais vraiment pas bien, j'ai besoin qu'on m'aide. Dites-leur quelque chose, faites quelque chose.

Il regarde mon bras abîmé avec effroi et dégoût avant de prononcer l'imprononçable.

- Maintenant ça suffit, sortez de mon bureau, et si vous en parlez à qui que ce soit, je vous ferai virer de l'établissement, vous m'avez bien compris ?

Les mots avaient été dits, et il était trop tard pour retourner en arrière. Ils ne seront jamais punis, et je vais devoir continuer à vivre malgré les mots, les insultes et les faits. Mais suis-je vraiment obligée de rester en vie si tout pouvait s'arrêter là maintenant ?

C'était toi, malgré tout. [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant