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Cela fait désormais trois jours que je n'ai pas donné de nouvelles à Ayden, et à ma grande surprise, il ne m'en a pas demandées non plus. M'en veut-il de mon comportement puéril de l'autre jour ? J'aimerais que cela me soit égal, mais je ne peux pas m'empêcher de repenser à ce que j'ai pu lui dire. Est-ce que j'y suis allée trop fort cette fois-ci ? Va-t-il un jour me reparler ? Je suis en week-end depuis quelques heures seulement mais je suis pourtant déjà certaine que mon esprit ne me laissera pas me reposer. J'ai bien trop de choses à penser, trop de questions à me poser et tout mon comportement à analyser. Je dois impérativement savoir à quels moments j'ai dérivé, à partir de quels mots je me suis rendue ridicule. Je suis presque sûre qu'il me déteste à cette heure-ci.
Posée sur mon balcon, je prie intérieurement pour qu'il m'envoie un message, partagée entre la peur et l'envie de le revoir. Je sais que j'ai fait beaucoup de progrès, énormément même. Être de nouveau présente en cours est un miracle pour moi, même si cela reste encore difficile par moment. Pourtant, je sais qu'il y a une partie de moi qui reste accrochée au passé, qui, quoi que je semble faire, reste ancrée dans cette période douloureuse de ma vie. J'aimerais pouvoir tout lui dire mais les mots ne semblent plus suffire, alors à chaque fois je réagis comme une enfant en crise, en espérant que cela suffise à me protéger. Combien de fois vais-je encore fuir ce qui me fait du bien ? J'aperçois au loin un couple de jeune adulte se taquiner, et je me mets à les envier.
N'importe quoi.
Je sais. Pourquoi quelqu'un s'intéresserait à moi, c'est ça ? Pourquoi m'aimerait-on moi alors qu'il y a milles fois mieux partout ailleurs ? Je suis bien trop complexe, bien trop bancale, bien trop cassée. Personne ne veut des choses brisées, ça ne fait pas envie, ça ne sert à rien. Je regarde furtivement mon téléphone, toujours rien.
Appelle-le !
Et puis quoi encore ? Si c'est pour me faire jeter, alors je préfère ne rien tenter. Je dérive d'applications en applications, variant de ma galerie à mes réseaux sociaux en passant par mes mails, puis finis par m'attarder sur mes contacts. Je reste bloquée plusieurs minutes face au prénom qui s'inscrit sur mon téléphone, et décide sur un coup de tête de l'appeler.
Je laisse plusieurs sonneries retentir à mon oreille avant de raccrocher furtivement, envahie par la peur et la honte.
Que vas-tu lui dire ? Tu vas encore te rendre ridicule !
C'est exactement pour cela que je ne voulais pas l'appeler, mais comme d'habitude tu n'en fais qu'à ta tête.

A la vue du ciel qui se couvre, je décide de rentrer et de refermer la fenêtre. Je repose mon téléphone sur le bureau et prie pour qu'il n'ait pas reçu mon appel. Au fond, je n'ai rien à lui reprocher, rien à lui dire de mauvais, je sais pertinemment que son aide n'est pas une mauvaise chose pour moi, il faut seulement que j'apprenne à l'accepter. Qu'est-ce que j'y risque au final, si ce n'est que de vivre enfin ? Si j'échoue, rien ne devrait changer pour moi, non ? Je fais des allers et retours dans ma chambre, rongée par les doutes et les questions.

Qu'est-ce qui est le plus difficile finalement ? Avoir peur de vivre ou apprendre à le faire ?

Je m'arrête devant ma fenêtre et m'attache furtivement les cheveux avec l'élastique qui se trouve à mon poignet, peut-être enfin décidée à l'écouter. Je me mets à ronger l'ongle de mon pouce, anxieuse. Pourvu qu'il m'appelle, ou pas, je ne sais pas. Qu'est-ce que je veux au fond ? Vivre, non ? Alors pourquoi ça me fait si peur ? Pourquoi c'est si difficile pour moi de le concevoir ? De croire que quelqu'un soit enfin là pour m'écouter, me guider, m'encourager ?

Quelqu'un pour m'aimer, malgré mes plaies.

Je dois l'accepter, je le dois et je le ferai, coûte que coûte.

La sonnerie qui retentit soudainement dans ma chambre provoque en moi une sensation de peur et d'adrénaline confondue. Mon téléphone posé sur le bureau quelques minutes auparavant m'appelle, je me dirige vers lui et décroche à celui qui peut-être, me sauvera de mes tourments.

- Ayden ?

- Ambre, tu m'as appelé ?

Un frisson parcourt mon corps et un sourire se dessine sur mes lèvres.

Et si c'était lui ?

- Euh, oui, je... désolée, je me suis trompée., réponds-je soudainement envahie par mes doutes.

- Pas à moi, je sais que tu as quelque chose à me dire. Parle-moi.

Je regarde mon reflet dans le miroir de ma salle de bain laissée entre-ouverte, et je vois dans mon regard une peur que je n'avais jamais croisée au cours de ma vie. J'ai toujours fui ce qui me faisait peur, prenant toutes ces choses comme des dangers absolus, sans même prendre le temps d'en voir les plus belles parties. Je dois la vaincre, je ne dois plus laisser ces émotions prendre le contrôle de mes décisions, je ne dois plus laisser les personnes de mon passé prendre le contrôle sur mes pensées. Je prends une grande inspiration et laisse une larme couler sur ma joue.

- Ça fait peur ? Je veux dire, de vivre ?, le questionné-je enfin.

- Ça le peut, oui. Mais il n'y a rien de plus beau.

Une autre larme coule.

Mon corps tout entier tremble, et moi je ne fais que douter.

- Je ne te laisserai pas tomber., ajoute-il.

Un long silence s'installe, et je tente de ne pas laisser mes pensées me ronger. Je vais y arriver, je le dois. Il suffit de le dire, pas vrai ?

- Je... enfin.. Que me restera-t-il après ?

- Je ne comprends pas où tu veux en venir, me répond-il la voix plus grave.

J'inspire profondément, mon coeur manque de me lâcher, mais ça va aller.

Ça doit aller.

- Je veux dire, une fois que je vivrai, qu'est-ce que j'aurai perdu ? Que restera-t-il de celle que je suis aujourd'hui ?

Je peux l'entendre sourire de l'autre côté du téléphone.

- C'est donc cela qui te fait peur ? me demande-t-il.

Si ce n'était que cela...

- Ambre, pourquoi perdrais-tu des parties de celle que tu es ? La seule chose qui va te quitter c'est ta peur, et sûrement ta douleur, mais pour celle-ci, je serai là aussi., ajoute-il.

Cette fois-ci, je pleure pour de bon.

Je m'assois doucement sur mon lit et cherche quelque chose à lui dire, mais rien ne me vient. J'essuie furtivement les larmes qui se dessinent sur mes joues et tente de calmer ma respiration.

- Tu sais, parfois il n'y a pas de réponse à donner.

Il ne cessera donc jamais de lire en moi comme si tout lui était donné. Si c'était si facile pour moi, de faire la même chose avec lui.

- Je sais, réponds-je dans un soupir.

- N'aies pas peur de devenir la meilleure version de toi-même, dit-il d'un ton compatissant.

L'as-tu vécu Ayden ? As-tu ressenti ce que je ressens aujourd'hui ?

- Il y aura toujours quelqu'un pour t'aimer telle que tu es, ajoute-il enfin avant de laisser le silence s'installer.

J'en doute fortement pourtant.

Qui pourra m'aimer lorsque je serai la meilleure version de moi-même si personne ne peut le faire comme je le suis aujourd'hui ?

- Alors si es prête, j'ai quelque chose pour toi, annonce-t-il confiant.

J'inspire profondément et ferme les yeux. Je me repasse alors les images de nos moments passés et tout ce qu'il a pu provoquer en moi jusqu'à aujourd'hui. Je repense aux mots, aux carresses sur la joue, aux regards bienveillants et à nos peaux qui se touchent et je me sens soudainement éprise d'un sentiment d'apaisement.

- Je suis prête, dis-je malgré la peur qui, pourtant enfouie en moi, me hante.



C'était toi, malgré tout. [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant