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Nous nous sommes promenés comme cela pendant de très longues minutes, et j'aurais donné n'importe quoi pour que cela ne cesse pas. Pourtant nous sommes en bas de la résidence étudiante où je vis, et chaque seconde qui passe devient encore plus insupportable. Ayden est face à moi, le regard fuyant et les mains dans les poches de son sweat, il attend. Cette situation aurait pu gêner n'importe qui d'autre, pourtant je ne peux que me réjouir de le voir face à moi, aussi timide et fragile que je peux sûrement le paraître. Je ne veux pas qu'il s'en aille, pas maintenant, pas comme ça. J'ai tellement de choses à lui dire, tellement d'émotions en moi qui ne demandent qu'à sortir, tellement de peurs que je souhaiterais voir s'évanouir, et j'ai l'impression que sans lui tout ça sera impossible. J'ai besoin de lui, j'ai besoin de ses mots. Je me rapproche doucement de lui, et malgré le noeud qui se forme dans mon ventre, je prends tout le courage que je peux trouver en moi, et lui prends les mains. Je sens alors mes joues brûler, et je comprends que ce n'est plus seulement moi qui ait besoin de lui, mais mon corps tout entier. Je m'efforce à le regarder pour ne pas perdre pieds et prends une grande inspiration.

- Tu ne veux pas rester un peu ?, lui demandé-je dans l'espoir qu'il accepte.

Il ne me répond pas et se contente de sourire. Mais qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Est-il seulement en train de se moquer de moi ou attendait-il impatiemment que je le lui demande ? Malgré les questions qui envahissent mon esprit, aucune réponse supplémentaire ne vient. Il me prend la main et me tire jusqu'au pied d'un des arbres qui arborent les bâtiments résidentiels. Et sans le savoir, c'est sous mon arbre préféré qu'il me demande de m'asseoir à ses côtés, un magnifique saule pleureur dont les feuilles tombent jusqu'au sol et viennent me caresser les cheveux lorsque le vent vient à leur rencontre. Je ne pouvais pas rêver mieux.

- Ambre, je suis désolée de te demander cela, mais qu'est-ce qu'il te voulait le gars de tout à l'heure ?, me demande-t-il en se voulant bienveillant.

- Rien d'important, ne t'inquiète pas. Mais peut-on parler d'autres choses ?

- Tu sais, je ne sais pas ce que tu essaies de cacher, mais je sens bien qu'il y a des choses qui ne vont pas, des choses qui te pèsent, et ça se ressent sur ta façon d'être. Je ne te demande pas de te confier maintenant, ou de me dévoiler ta vie toute entière, mais je veux juste te rappeler que je suis là maintenant, quoi qu'il arrive, et que tu ne dois plus avoir peur.

Il n'attend pas une réponse de ma part et reprends.

- Ambre, tu es une magnifique personne, j'en suis certain. Mais je ne pourrai jamais t'aider, te réconforter, te pousser vers le haut si tu ne m'aides pas à ton tour. Tu le mérites pourtant, et je suis persuadé que tu le sais au plus profond de toi-même.

Une larme coule sur ma joue. Je n'ai rien à lui répondre, ou peut-être est-ce le contraire, peut-être ai-je trop de choses à lui dire, et que c'est bien ça le problème. J'aimerais lui dire ce que les autres m'ont fait, ce qu'ils ont provoqué en moi, ce qu'ils ont détruit et construit en retour, ce qu'ils ont pris de moi sans jamais me le rendre. J'aimerais lui dire que j'ai peur, que je doute, de moi, de la vie, de tout. J'aimerais verser toutes ses larmes qui n'ont jamais su couler, lui dire que je suis désolée d'être ce que je suis, d'être ce que j'ai été.

- Je suis désolée, réponds-je en essuyant ma joue d'un revers de main.
Il me prend la main et me rapproche de lui. Sans même hésiter, je me blottis contre lui et laisse mon coeur s'apaiser.

- Il est temps de vivre Ambre, chuchote-il avant de déposer un baiser sur mon front.

Vivre. Une fois de plus.
Ce mot ne cessera donc jamais de m'accompagner et pourtant, je ne sais toujours pas comment on doit faire pour le rendre vrai.

***

Ayden est reparti vers les coups de dix-neuf heures, et il me manque déjà horriblement. Je ne sais pas de quoi nous sommes censés nous qualifier, tout ce que je sais, c'est qu'il est là pour moi. Je décortique une nouvelle fois cette phrase dans ma tête, comme pour me persuader de son sens.

Il est là pour moi.

Pour moi. Mais dans quel but ? Qu'est-ce que cela peut bien lui apporter ? Il ne sera jamais là éternellement, je le sais. Pourtant j'aimerais me convaincre du contraire. J'aimerais pouvoir lui donner toute la confiance que je peux lui donner, mais rien n'est aussi simple.

Un nouveau message de : Lou.

Ayant passer l'après-midi avec Ayden, je n'avais pas pensé une seule fois à consulter mon téléphone.

Lou : Hey ! Alors ce livre ça avance ?

Décidément, elle ne perd pas le Nord. À croire que tout le monde attend plus une fameuse sortie de mon livre que moi-même.

Moi : Hey, non, et je ne pense pas que ça avancera de nouveau.

Je repose mon téléphone, excédée par la journée que je venais de vivre. Mes émotions finiront par me tuer. Je décide d'aller prendre une douche, histoire de me rafraîchir mais surtout, de me laver de toutes ces choses passées qui me marquent encore bien trop aujourd'hui. Si seulement je pouvais ne plus jamais y repenser.
Après plusieurs minutes à laisser l'eau couler et à me perdre dans mes pensées, je sors enfin, m'essuie et enfile le premier short ainsi que le premier haut que je trouve. Je regarde rapidement mon téléphone :

3 nouveaux messages de : Lou.

Je dépose mon téléphone sur mon lit et m'y installe pour manger - une salade de concombre et de mozzarella que j'avais préparé le matin même - sans oublier de poser mon ordinateur en face de moi afin de pouvoir regarder ma série en même temps. Je démarre alors l'épisode qui m'attendait.

4 nouveaux messages de : Lou.

J'avais presque oublié de lui répondre.

Lou : Mais pourquoi tu dis cela ? Bien sûr que si ton livre avancera de nouveau !

Lou : Tu écris merveilleusement bien, je suis sûre que tu seras une grande écrivaine.

Lou : N'abandonne pas, s'il-te-plaît.

Lou : Ne laisse pas tes peurs te guider, je sais que tu en es capable.

J'aimerais en être capable. J'aimerais pouvoir écrire aussi simplement, laisser parler mes émotions. Mais je n'y arrive pas. Elles sont trop fortes, trop présentes, trop conséquentes, trop tout. Et alors que mes pensées me martèlent de part et d'autres, je prends un crayon et écris grossièrement sur une feuille :

Je suis désolée.
Je suis désolée d'être dépassée par mes émotions,
De ne pas savoir les contrôler.
Désolée de ressentir tout trop fort, tout le temps.
Ce n'est pas facile de ressentir intensément.*

À croire que ce n'est pas si difficile, quand il s'agit de parler de ce qui me ronge.

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*cf : page 31 de mon recueil La vie t'aimera.

C'était toi, malgré tout. [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant