- C'est de ce progrès-là dont je te parle, Ambre.
Nous sommes assis sur un banc depuis une vingtaine de minutes, à quelques pas de l'endroit où avait eu lieu notre conversation agitée. Ayden me regarde d'un air bienveillant et inquiet, craignant sûrement une nouvelle crise de ma part. Le regard dans le vide, je cherche une réponse à lui donner mais cette fois-ci rien ne me vient. Peut-être qu'il n'y a rien à lui répondre après tout.
- Tu as fait beaucoup de travail sur toi-même, sans même t'en rendre compte, ajoute-il après un soupir.
Il est temps que tu apprennes à vivre et gna gna gna.
Mais ça fait peur de vivre, quand on ne l'a jamais fait.- Si tu le dis, dis-je finalement sans même daigner le regarder.
Je croise les bras et soupire bruyamment. J'en ai marre d'être ici, marre de parler, je veux juste qu'il me fiche la paix. Ses progrès, il peut se les mettre là où je pense, j'ai d'autres choses à penser. Il se tourne légèrement vers moi et décroche un sourire.
- Tu ne sortais même plus, Ambre. Tu ne voyais plus personne, tu m'envoyais balader par tous les noms possibles et imaginables, tu n'avais aucune confiance en toi, dit-il en se rapprochant doucement.
Ambre, Ambre, Ambre, il n'a que ce mot-là à la bouche.
Je me tourne alors vers lui, les bras toujours croisés, l'expression toujours hautaine. Je me met à le regarder de haut en bas.- Tu sais très bien que ça ne marche plus avec moi, lance-t-il avant d'éclater de rire.
Je sais.
Je continue tout de même à le regarder comme si rien de tout cela m'atteignait. Mais ne le voyant pas céder après plusieurs minutes, je décide d'abandonner. Je me relève brusquement et commence à partir sans même me retourner. Je ne veux plus le voir, plus pour le moment.- Ambre ? Tu vas où ? me questionne-t-il surpris.
Il se relève mais ne me suit pas.
Tant mieux.
J'accélère le pas, pressée de rentrer dans mon cocon, à l'abris des regards et de tous ces gens.***
4 mois plus tôt...
Cela fait trois jours que je ne suis pas sortie. Je n'en vois plus l'intérêt. Je ne me suis jamais sentie aussi mieux qu'ici, sans avoir personne pour me juger ou me blesser, sans risquer de me rendre ridicule ou sujette aux moqueries, je ne peux pas demander mieux. Le calme qui m'entoure constamment me rassure, et je n'ai jamais ressenti autant de bien-être. Je ne veux plus sortir. Si sortir revient à souffrir, alors à quoi bon ? Je suis assise sur mon balcon depuis une bonne heure déjà, et mes cours ne m'ont jamais semblés aussi agréables. Le vent qui caresse mes cheveux me réconforte, et je ne crois pas avoir besoin d'en demander davantage. Pourtant, un bruit vient me retirer de ma rêverie et pire encore, de mon apaisement. Une personne frappe à ma porte et je ne veux pas savoir de qui il s'agit. Quelques secondes s'écoulent et je n'entends plus de bruit. Persuadée que la personne est partie, je me permets de faire un peu de bruit à mon tour mais la personne reprend de plus belle.
Par pitié, vas-t'en.
Pourtant elle continue, encore, encore et encore, jusqu'à ce que le bruit viennent marteler chaque partie de ma tête.
- Ambre, je sais que tu es là ! Ça fait plusieurs jours que je n'ai pas de nouvelles, je m'inquiète !
C'est Lou.
Par pitié, qu'elle s'en aille. Je suis désolée mais je ne veux pas te voir, je ne veux plus voir personne. Je suis bien comme cela, pourquoi s'en inquiéter ?- Ambre je t'en prie !
Je ne réponds pas.
- Ouvre-moi... ajoute-elle la voix brisée.
Je suis désolée...
Alors que je la pensais partie, une autre voix attire mon attention.- Tout va bien ? questionne une voix masculine à mon amie.
- Oui, c'est juste que mon amie ne sort plus et ne donne plus de nouvelles, répond-elle.
Je me demande bien ce qu'il peut se passer derrière cette porte. Et puis de quoi se mêle-t-il celui-là ?
- J'en suis désolé, voulez-vous que j'essaie ?, demande le jeune homme.
Je ne le connais pas, mais il m'agace déjà. Qu'il se mêle de ses affaires. Je l'entends alors se rapprocher de la porte, comme s'il essayait d'entendre le moindre son de ma part. Je m'immobilise soudainement, comme prise par la peur qu'il puisse me voir.
- Mademoiselle ? Tout va bien ?
Je me relève doucement en essayant tant bien que mal de ne pas faire de bruit, et me rapproche de la porte. Mon coeur bat à mille à l'heure.
Calme-toi...
Je prends une profonde respiration et tente de calmer ce dernier, mais rien y fait.
- Je ne sais pas ce qu'il vous arrive, mais je suis certain que vous méritez mieux que tout cela, ajoute-il d'une voix assuré.
Voilà qu'il joue les grands philosophes ! J'aurais vraiment tout vu, mais là, je crois que je tiens le gros lot. Alors que je commence à me rapprocher davantage de la porte, il reprend :
- Vous méritez de vivre, pourquoi s'en priver ?
Non mais j'hallucine !
Depuis quand je me prive de quoi que ce soit ? Sous prétexte que je ne sors plus alors je ne vis plus ? N'importe quoi ! Je suis très bien comme cela, et je n'ai pas besoin des mots d'un quelconque inconnu pour me dire ce que je dois faire. Je me jette alors sur la poignée de la porte, presque en furie et prête à lui sauter à la gorge. Mais lorsque j'ouvre cette dernière, je tombe nez à nez avec le jeune garçon qui parlait quelques secondes plus tôt au travers de ma porte. Je m'arrête brusquement malgré la colère qui m'envahit, perdue entre soulagement et étonnement, soudainement éprise d'un sentiment d'apaisement naturel.- Ayden...
***
Je suis rentrée depuis quelques minutes et comme à mon habitude, je n'ai pas pu m'empêcher de m'étaler sur mon lit. Je ne cesse de repenser à notre conversation, mais pour une fois, je ne sais pas s'il a vraiment raison. Peut-on vraiment parler de progrès ? Je pianote quelques mots très brouillon sur mon téléphone, à demi-satisfaite.
J'aimerais guérir,
oublier,
ne plus avoir peur.
J'aimerais savoir m'ouvrir au monde,
avancer,
aimer,
ne plus douter.Apprendre à vivre.*
En fait, il a juste totalement raison.
Et ça m'agace.
Il m'agace parce qu'il sait tout de moi sans que je n'ai besoin de lui en parler. Il lit en moi comme dans un livre, et à mes yeux, il n'y a rien de pire. Il connaît mes failles sans que je n'ai besoin de les lui dire, et cela me donne la sensation d'être vulnérable. Alors comment suis-je censée me sentir à côté d'une personne qui me rend vulnérable et inatteignable à la fois ? Comment confier toute ma vie entre ses mains ?
Et surtout, pourquoi je m'acharne à chaque fois à revenir vers lui ?
Pourquoi ?À ton avis...
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cf : page 180 de mon recueil La vie t'aimera
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C'était toi, malgré tout. [EN REECRITURE]
Teen Fiction"C'est donc ça ma vie désormais ? Ne plus pouvoir rien faire à cause de cette fichue anxiété sociale ? De quoi ai-je l'air ? Je ne peux pas rentrer comme cela de toute façon, qu'est-ce que l'on va bien pouvoir penser de moi ? Je n'ai rien pour plair...