1| renaissance

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Pointe, piqué, fouetté. Au rythme de la musique, mon corps bouge en harmonie avec mon esprit et est occupé à se concentrer sur la pirouette qui arrive. Ma jambe de terre est prête à réceptionner tout mon poids, je balance mon autre jambe et la contracte afin de la placer correctement. Une, deux secondes avant que ma cheville me trahisse et se dérobe. Je rencontre le sol froid de la scène de Shepherd Academy et un cri sourd se fait entendre dans les sièges du public. Mes yeux sont ouverts mais les bruits sourds. J'ai l'impression de flotter dans la mer sans pour autant avoir la moindre sensation. Tout me semble livide. Je suis livide...

- Laurel !

Le contact corporel d'Estelle me ramène à la réalité, un frisson me parcourt l'échine et la rousse m'aide à me redresser afin que je m'asseye. Estelle frictionne ses mains contre mes deux bras, comme pour me réchauffer, sauf qu'il fait une chaleur à crever à cause des projecteurs.

- Et bien alors ma belle, ça ne va pas ?

- Je suis désolée, ma hanche m'a lancé.

- Ce n'est rien, je pense que tu as assez répété pour ce matin.

- Tu crois ?

- Tu es debout depuis six heures Laurel, tu dois donner un cours dans une heure, et tu as une après-midi pour refaire ta valise, donner ton spectacle et t'envoler pour New-York.

Un ricanement sort de ma bouche

- Accorde toi une pause ma belle.

Je souffle et Estelle m'aide à me relever. J'attrape mon gilet en laine pour couvrir le haut de mon corps peu vêtu. J'enfile mes baskets et attrape mon sac après y avoir rangé mes pointes. Pour regagner ma chambre, je suis contrainte de traverser la partie Est de l'école de danse. Dans cette même école, je suis censée donner un cours dans une heure et en échange ils m'ont gentiment prêté leur scène pour répéter.

Pendant ma marche, de nombreux regards me sont lancés. Plusieurs admiratifs, d'autres envieux, ou encore vicieux. Du haut de mes vingt et un ans, ma carrière est à son summum. Après avoir connu notre premier succès à seize ans, nos carrières ont débuté dès notre plus jeune âge. Nous n'avons pas vraiment eu le temps de vivre, ce qui était censé être, nos années de lycée.

Je fais abstraction de ce que tout le monde ici pense de moi; et presse le pas pour arriver plus vite à mon "cocon". Estelle et moi entrons dans notre chambre; sans attendre plus longtemps je me précipite dans la salle de bain et laisse l'eau de la douche glacée noyer mon corps. Mon dieu, que cette température me brûle malgré sa fraîcheur. Les années à l'opéra m'ont apporté des choses merveilleuses mais également beaucoup de cruauté. Je résiste à cette eau glaciale grâce, à cause de, la compétition à l'opéra. Entre filles, nous nous battons pour obtenir la première place, pour obtenir la perfection et l'incarner. Chez les garçons, la violence est à son summum.

Ils laissent des marques sur le corps, et elles laissent des marques dans leurs têtes...

Je me savonne énergiquement avec mon savon à la noix de coco, j'en suis allergique et je n'ai eu le plaisir de connaître ce goût qu'une seule fois, quand mes parents et moi avons découverts que j'en étais allergique. Quitte à ne plus jamais avoir le goût, je peux toujours apprécier l'odeur. L'été touche à sa fin et cette odeur me conforte dans l'idée que ces quatre derniers mois n'ont pas été un fiasco total après l'accident. Je ressors désormais propre, avec une serviette autour de mon corps abîmé. Estelle est en train de travailller sur son ordinateur, toujours dans son ensemble noir de business woman une aura émane d'elle, celle du pouvoir et du contrôle. C'est elle qui m'aide à me contrôler depuis quelques temps, heureusement qu'elle est là.

Accorde moi cette danseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant